Page images
PDF
EPUB

en la relevant. Vous avez l'air du mouton d'or qui est au cou de monsieur de Bourgogne.

Jacques Charmolue éleva la voix.

-Greffier, écrivez. - Jeune fille bohème, vous avouez votre participation aux agapes,479 sabbats et maléfices de l'enfer, avec 5 les larves, 480 les masques et les stryges? 481 Répondez.

souffle.

Oui, dit-elle, si bas que sa parole se perdait dans son

- Vous avouez avoir vu le bélier que Belzébuth fait paraître dans les nuées pour rassembler le sabbat, et qui n'est vu que 10 des sorciers?

[blocks in formation]

-Vous confessez avoir adoré les têtes de Bophomet, ces abominables idoles des templiers?

Oui.

Avoir eu commerce habituel avec le diable sous la forme d'une chèvre familière, jointe au procès?

[ocr errors]
[ocr errors]

.Oui.

15

Enfin, vous avouez et confessez avoir, à l'aide du démon, et du fantôme vulgairement appelé le moine bourru, dans la nuit 20 du vingt-neuvième jour de mars dernier, meurtri et assassiné un capitaine nommé Phœbus de Châteaupers?

Elle leva sur le magistrat ses grands yeux fixes, et répondit comme machinalement, sans convulsion et sans secousse: Oui. Il était évident que tout était brisé en elle.

- Ecrivez, greffier, dit Charmolue. Et, s'adressant aux tortionnaires : Qu'on détache la prisonnière, et qu'on la

ramène à l'audience.

25

Quand la prisonnière fut déchaussée, le procureur en cour d'église examina son pied encore engourdi par la douleur. — 30 Allons! dit-il, il n'y a pas grand mal. Vous avez crié à temps. Vous pourriez encore danser, la belle!

Puis il se tourna vers ses acolytes de l'officialité : — Voilà enfin la justice éclairée! Cela soulage, messieurs! Mademoiselle nous rendra ce témoignage, que nous avons agi avec toute 35 la douceur possible.

(1831.)

SAND

(1804-1876)

LA MARE AU DIABLE

LA LIONNE DU VILLAGE

[Germain, a farmer and a widower, has gone, at the instigation of his father, to present himself as a suitor for the hand of a rich widow. Much against his will-for his heart has been touched by the kindness of a young peasant girl, Marie-he approaches the house of his intended father-in-law.]

Il trouva le père Léonard au seuil de sa maison blanche, assis sur un beau banc de bois peint en vert-épinard. Il y avait six marches de pierre disposées en perron, ce qui faisait voir que la maison avait une cave. Le mur du jardin et de la chènevière était crépi à chaux et à sable. C'était une belle 5 habitation; il s'en fallait de peu qu'on ne la prît pour une maison de bourgeois.

Le futur beau-père vint au-devant de Germain, et après lui avoir demandé, pendant cinq minutes, des nouvelles de toute sa famille, il ajouta la phrase consacrée à questionner poliment 10 ceux qu'on rencontre, sur le but de leur voyage: Vous êtes donc venu pour vous promener par ici?

-Je suis venu vous voir, répondit le laboureur, et vous présenter ce petit cadeau de gibier de la part de mon beau-père, en vous disant, aussi de sa part, que vous devez savoir dans 15 quelles intentions je viens chez vous.

-Ah! ah! dit le père Léonard en riant et en frappant sur son estomac rebondi, je vois, j'entends, j'y suis! Et, clignant de l'œil, il ajouta: Vous ne serez pas le seul à faire vos compliments, mon jeune homme. Il y en a déjà trois à la maison 20 qui attendent comme vous. Moi, je ne renvoie personne, et je serais bien embarrassé de donner tort ou raison à quelqu'un, car ce sont tous de bons partis. Pourtant, à cause du père Maurice et de la qualité des terres que vous cultivez, j'aimerais mieux que ce fût vous. Mais ma fille est majeure et maîtresse 25 de son bien; elle agira donc selon son idée. Entrez, faitesvous connaître; je souhaite que vous ayez le bon numéro!

Pardon, excuse, répondit Germain, fort surpris de se trouver en surnuméraire là où il avait compté d'être seul. Je ne savais pas que votre fille fût déjà pourvue de prétendants, et je n'étais pas venu pour la disputer aux autres.

5

Si vous avez cru que, parce que vous tardiez à venir, répondit, sans perdre sa bonne humeur, le père Léonard, ma fille se trouvait au dépourvu, vous vous êtes grandement trompé, mon garçon. La Catherine a de quoi attirer les épouseurs, et elle n'aura que l'embarras du choix. Mais, entrez à la maison, vous dis-je, et ne perdez pas courage. C'est 10 une femme qui vaut la peine d'être disputée.

Et poussant Germain par les épaules avec une rude gaîté: -Allons, Catherine, s'écria-t-il en entrant dans la maison, en voilà un de plus!

Cette manière joviale mais grossière d'être présenté à la 15 veuve, en présence de ses autres soupirants, acheva de troubler et de mécontenter le laboureur. Il se sentit gauche et resta quelques instants sans oser lever les yeux sur la belle et sur

sa cour.

La veuve Guérin était bien faite et ne manquait pas de 20 fraîcheur. Mais elle avait une expression de visage et une toilette qui déplurent tout d'abord à Germain. Elle avait l'air hardi et content d'elle-même, et ses cornettes garnies d'un triple rang de dentelle, son tablier de soie, et son fichu de blonde noire étaient peu en rapport avec l'idée qu'il s'était faite d'une 25 veuve sérieuse et rangée.

Cette recherche d'habillement et ces manières dégagées la lui firent trouver vieille et laide, quoiqu'elle ne fût ni l'un ni l'autre. Il pensa qu'une si jolie parure et des manières si enjouées siéraient à l'âge et à l'esprit fin de la petite Marie, 30 mais que cette veuve avait la plaisanterie lourde et hasardée, et qu'elle portait sans distinction ses beaux atours.

Les trois prétendants étaient assis à une table chargée de vins et de viandes, qui étaient là en permanence pour eux toute la matinée du dimanche; car le père Léonard aimait à faire 35 montre de sa richesse, et la veuve n'était pas fâchée non plus d'étaler sa belle vaisselle, et de tenir table comme une rentière. Germain, tout simple et confiant qu'il était, observa les choses avec assez de pénétration, et pour la première fois de sa vie il

se tint sur la défensive en trinquant. Le père Léonard l'avait forcé de prendre place avec ses rivaux, et, s'asseyant lui-même vis-à-vis de lui, il le traitait de son mieux, et s'occupait de lui avec prédilection. Le cadeau de gibier, était encore assez copieux pour produire de l'effet. La veuve y parut sensible, et 5 les prétendants y jetèrent un coup d'œil de dédain.

Germain se sentait mal à l'aise en cette compagnie et ne mangeait pas de bon cœur. Le père Léonard l'en plaisanta. - Vous voilà bien triste, lui dit-il, et vous boudez contre votre verre. Il ne faut pas que l'amour vous coupe l'appétit, car un 10 galant à jeun ne sait point trouver de jolies paroles comme celui qui s'est éclairci les idées avec une petite pointe de vin. Germain fut mortifié qu'on le supposât déjà amoureux, et l'air maniéré de la veuve, qui baissa les yeux en souriant, comme une personne sûre de son fait, lui donna l'envie de protester 15 contre sa prétendue défaite; mais il craignit de paraître incivil, sourit et prit patience.

Les galants de la veuve lui parurent trois rustres. Il fallait qu'ils fussent bien riches pour qu'elle admit leurs prétentions. L'un avait plus de quarante ans et était quasi aussi gros que 20 le père Léonard; un autre était borgne et buvait tant qu'il en était abruti; le troisième était jeune et assez joli garçon; mais il voulait faire de l'esprit et disait des choses si plates que cela faisait pitié. Pourtant la veuve en riait comme si elle eût admiré toutes ces sottises, et, en cela, elle ne faisait pas preuve 25 de goût. Germain crut d'abord qu'elle en était coiffée; 482 mais bientôt il s'aperçut qu'il était lui-même encouragé d'une manière particulière, et qu'on souhaitait qu'il se livrât davantage. Ce lui fut une raison pour se sentir et se montrer plus froid et plus grave.

30

L'heure de la messe arriva, et on se leva de table pour s'y rendre ensemble. Il fallait aller jusqu'à Mers, à une bonne demi-lieue de là, et Germain était si fatigué qu'il eût fort souhaité avoir le temps de faire un somme auparavant; mais il n'avait pas coutume de manquer la messe, et il se mit en route 35 avec les autres.

Les chemins étaient couverts de monde, et la veuve marchait d'un air fier, escortée de ses trois prétendants, donnant le bras tantôt à l'un, tantôt à l'autre, se rengorgeant et portant

haut la tête. Elle eût fort souhaité produire le quatrième aux yeux des passants; mais Germain trouva si ridicule d'être traîné ainsi de compagnie par un cotillon,483 à la vue de tout le monde, qu'il se tint à distance convenable, causant avec le père Léonard, et trouvant moyen de le distraire et de l'occuper assez 5 pour qu'ils n'eussent point l'air de faire partie de la bande.

(1848.)

« PreviousContinue »