Jusqu'au jour où, des morts perçant la voûte sombre, Adieu! mot qu'une larme humecte sur la lèvre; Adieu! . . . je t'ai souvent prononcé dans ma vie, Quand l'homme dit: "Retour!" et que Dieu dit: "Jamais!" Mais aujourd'hui je sens que ma bouche prononce Et cependant mon cœur redit à chaque haleine Oh! laissez-moi! c'est l'heure où l'horizon qui fume Cache un front inégal sous un cercle de brume; 5 IO 15 20 L'heure où l'astre géant rougit et disparaît. Oh! qui fera surgir soudain, qui fera naître, Et que l'ombre s'amasse au fond du corridor, - Qu'elle vienne inspirer, ranimer, ô génies! Mes chansons, comme un ciel d'automne rembrunies, Et longtemps, s'éteignant en rumeurs étouffées, Avec les mille tours de ses palais de fées, Brumeuse, denteler l'horizon violet! (5 septembre 1828.) EXTASE 5 10 15 Et j'entendis une grande voix. J'étais seul près des flots, par une nuit d'étoiles. Et les étoiles d'or, légions infinies, A voix haute, à voix basse, avec mille harmonies, C'est le Seigneur, le Seigneur Dieu! (25 novembre 1828.) 20 25 LES FEUILLES D'AUTOMNE, 1831 LORSQUE L'ENFANT PARAÎT Le toit s'égaye et rit. A. CHÉNIER. Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille. Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Innocent et joyeux. Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Les chaises se toucher, Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie S'arrête en souriant. La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure, L'onde entre les roseaux; Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare, De cloches et d'oiseaux! Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine Quand vous la respirez; Mon âme est la forêt dont les sombres ramures Et de rayons dorés! ΤΟ 15 20 25 30 Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, N'ont point mal fait encor; Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange, Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds! bel ange A l'auréole d'or! Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche. Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche; Vos ailes sont d'azur. Sans le comprendre encor, vous regardez le monde. Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire, Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles, La maison sans enfants. (18 mai 1830.) LES RAYONS ET LES OMBRES, 1840 TRISTESSE D'OLYMPIO Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas mornes; Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes Sur la terre étendu, L'air était plein d'encens et les prés de verdures, 5 ΙΟ 15 20 25 30 L'automne souriait; les coteaux vers la plaine Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine; Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme, Il voulut tout revoir, l'étang près de la source, Les retraites d'amour au fond des bois perdues, Il chercha le jardin, la maison isolée, S IO La grille d'où l'œil plonge en une oblique allée, 15 Pâle, il marchait. — Au bruit de son pas grave et sombre Il voyait à chaque arbre, hélas! se dresser l'ombre Il entendait frémir dans la forêt qu'il aime Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même, Y réveille l'amour, Et, remuant le chêne ou balançant la rose, Se poser tour à tour. Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire, Couraient dans le jardin; Ainsi, parfois, quand l'âme est triste, nos pensées Il contempla longtemps les formes magnifiques Il rêva jusqu'au soir; Tout le jour il erra le long de la ravine, 20 25 30 35 |