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Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie
N'éveille déjà plus notre esprit endormi,
Aux lèvres du mourant collé dans l'agonie,
Comme un dernier ami:

Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage,
Pour relever vers Dieu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l'image,
Réponds, que lui dis-tu?

Tu sais, tu sais mourir ! et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines

Du soir jusqu'au matin.

De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir :
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!

Je chercherai la place où sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu,
Et son âme viendra guider mon âme errante

Au sein du même Dieu.

Ah! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche,
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L'héritage sacré !

Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure;
Et, gage consacré d'espérance et d'amour,

De celui qui s'éloigne à celui qui demeure

Passe ainsi tour à tour,

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Jusqu'au jour où, des morts perçant la voûte sombre,
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble éveillera ceux qui dorment à l'ombre
De l'éternelle croix !

ADIEU À GRAZIELLA 407

Adieu! mot qu'une larme humecte sur la lèvre;
Mot qui finit la joie et qui tranche l'amour;
Mot par qui le départ de délices nous sèvre;
Mot que l'éternité doit effacer un jour!

Adieu!... je t'ai souvent prononcé dans ma vie,
Sans comprendre, en quittant les êtres que j'aimais,
Ce que tu contenais de tristesse et de lie,

Quand l'homme dit: "Retour!" et que Dieu dit: "Jamais!"

Mais aujourd'hui je sens que ma bouche prononce
Le mot qui contient tout, puisqu'il est plein de toi,
Qui tombe dans l'abîme, et qui n'a pour réponse
Que l'éternel silence entre une image et moi! . . .

Et cependant mon cœur redit à chaque haleine
Ce mot qu'un sourd sanglot entrecoupe au milieu,
Comme si tous les sons dont la nature est pleine
N'avaient pour sens unique, hélas! qu'un grand adieu!

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Oh! laissez-moi! c'est l'heure où l'horizon qui fume

Cache un front inégal sous un cercle de brume;

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L'heure où l'astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline :
On dirait qu'en ces jours où l'automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.

Oh! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, tandis que seul je rêve à la fenêtre

Et que l'ombre s'amasse au fond du corridor, -
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d'or?

Qu'elle vienne inspirer, ranimer, ô génies!

Mes chansons, comme un ciel d'automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,

Et longtemps, s'éteignant en rumeurs étouffées,

Avec les mille tours de ses palais de fées,

Brumeuse, denteler l'horizon violet!

(5 septembre 1828.)

EXTASE

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Et j'entendis une grande voix.
-L'Apocalypse.

J'étais seul près des flots, par une nuit d'étoiles.
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles,
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel,
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
Les flots des mers, les feux du ciel.

Et les étoiles d'or, légions infinies,

A voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,
Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu;
Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n'arrête,
Disaient, en recourbant l'écume de leur crête:

C'est le Seigneur, le Seigneur Dieu!

(25 novembre 1828.)

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LES FEUILLES D'AUTOMNE, 1831

LORSQUE L'ENFANT PARAÎT

Le toit s'égaye et rit.

A. CHÉNIER.

Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris; son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,

Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,

Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant;

L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints! la grave causerie

S'arrête en souriant.

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,

L'onde entre les roseaux;

Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare

De cloches et d'oiseaux!—

Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine

Quand vous la respirez;

Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures

Et de rayons dorés!

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Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,

N'ont point mal fait encor;

Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,

Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds! bel ange

A l'auréole d'or!

Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.

Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche;

Vos ailes sont d'azur.

Sans le comprendre encor, vous regardez le monde.
Double virginité! corps où rien n'est immonde,
Ame où rien n'est impur!

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,

Laissant errer sa vue étonnée et ravie,

Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers!

Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même

Dans le mal triomphants,

De jamais voir, Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfants.

(18 mai 1830.)

LES RAYONS ET LES OMBRES, 1840

TRISTESSE D'OLYMPIO

Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas

mornes;

Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes

Sur la terre étendu,

L'air était plein d'encens et les prés de verdures,
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son cœur s'est répandu.

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