15 ΙΟ Le mal dès lors régna dans son immense empire; Et la terre, et le ciel, et l'âme, et la matière, Levez donc vos regards vers les célestes plaines, Ce grand consolateur: Malheureux! sa bonté de son œuvre est absente; Vous cherchez votre appui? l'univers vous présente De quel nom te nommer, ô fatale puissance? Inconcevable loi; Qu'on tremble sous ta main, ou bien qu'on la blasphème, Toujours, c'est toujours toi! Hélas! ainsi que vous j'invoquai l'Espérance; C'est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes, Qu'elle livre au Malheur. Si du moins au hasard il décimait les hommes, Avec d'égales lois! Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes, La beauté, le génie, ou les vertus sublimes, Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices De cent taureaux choisis on formait l'hécatombe, Engraissaient leurs autels. 35 309 25 20 5 Créateur tout-puissant, principe de tout être, Roi de l'immensité, Tu pouvais cependant, au gré de ton envie, Sans t'épuiser jamais, sur toute la nature L'espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte. Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître? Ou l'a-t-il accepté? Sommes-nous, ô hasard, l'œuvre de tes caprices? Pour ta félicité? Montez donc vers le ciel, montez, encens qu'il aime, Plaisirs, concerts divins; Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles, Du palais des destins! Terre, élève ta voix; cieux, répondez; abîmes, Qu'une plainte éternelle accuse la nature, Du jour où la nature, au néant arrachée, Aux désordres du mal la matière asservie, Toute chair gémissant, hélas! et toute vie Jalouse du néant! 35 3309 25 20 15 ΤΟ 5 Des éléments rivaux les luttes intestines; Attendant sur le seuil tes œuvres éphémères; La vertu succombant sous l'audace impunie, L'errante liberté Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice; Le règne illimité! La valeur sans les dieux décidant les batailles! Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu'il aime, La fortune toujours du parti des grands crimes; La gloire au prix du sang; Les enfants héritant l'iniquité des pères; Au siècle renaissant! Hé quoi! tant de tourments, de forfaits, de supplices, Tes lugubres autels? Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre, Héritiers des douleurs, victimes de la vie, Endorme le Malheur, Jusqu'à ce que la Mort, ouvrant son aile immense, L'éternelle douleur! 5 ΤΟ 15 20 25 30 35 (1818.) NOUVELLES MÉDITATIONS POÉTIQUES, 1823 LE CRUCIFIX Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante Que de pleurs ont coulé sur tes pieds que j'adore, 5 Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme; IO De son pieux espoir son front gardait la trace, 15 La mort sa majesté. Le vent qui caressait sa tête échevelée Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits, Un de ses bras pendait de la funèbre couche; Ses lèvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore; 5 ΙΟ 15 Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée, Et sur l'œil sans regard la paupière affaissée Et moi, debout, saisi d'une terreur secrète, Je n'osais! ... Mais le prêtre entendit mon silence, Emportez-les, mon fils!" Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage! Placé près de ce cœur, hélas! où tout s'efface, Tu l'as contre le temps défendu de l'oubli, Et mes yeux goutte à goutte ont imprimé leur trace O dernier confident de l'âme qui s'envole, Viens, reste sur mon cœur! parle encore, et dis-moi A cette heure douteuse où l'âme recueillie, Alors qu'entre la vie et la mort incertaine, 20 25 30 |