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lure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté et comme possédé par le démon de mon cœur.

La nuit, lorsque l'aquilon ébranlait ma chaumière, que les pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu'à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner les nuages amoncelés, comme 5 un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait que la vie redoublait au fond de mon cœur, que j'aurais la puissance de créer des mondes. Ah! si j'avais pu faire partager à une autre les transports que j'éprouvais! O Dieu! si tu m'avais donné une femme selon mes désirs; si, comme à notre premier 10 père, tu m'eusses amené par la main une Ève tirée de moimême. . . . Beauté céleste! je me serais prosterné devant toi; puis, te prenant dans mes bras, j'aurais prié l'Éternel de te donner le reste de ma vie!

Hélas! j'étais seul, seul sur la terre. Une langueur secrète 15 s'emparait de mon corps. Ce dégoût de la vie que j'avais ressenti dès mon enfance revenait avec une force nouvelle. Bientôt mon cœur ne fournit plus d'aliment à ma pensée, et je ne m'apercevais de mon existence que par un profond sentiment d'ennui.

-Génie du Christianisme, Book IV, part II, René, 1802.

LES MARTYRS

LES FRANCS ALLANT AU COMBAT

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Parés de la dépouille des ours, des veaux marins, des urochs 387 et des sangliers, les Francs se montraient de loin comme un troupeau de bêtes féroces. Une tunique courte et serrée laissait voir toute la hauteur de leur taille et ne leur cachait pas le genou. Les yeux de ces Barbares ont la couleur 25 d'une mer orageuse; leur chevelure blonde, ramenée en avant sur leur poitrine, et teinte d'une liqueur rouge, est semblable à du sang et à du feu. La plupart ne laissent croître leur barbe qu'au-dessus de la bouche, afin de donner à leurs lèvres plus de ressemblance avec le mufle des dogues et des loups. 30 Les uns chargent leur main droite d'une longue framée, et leur main gauche d'un bouclier qu'ils tournent comme une roue rapide; d'autres, au lieu de ce bouclier, tiennent une

espèce de javelot, nommé angon, où s'enfoncent deux fers recourbés; mais tous ont à la ceinture la redoutable francisque, espèce de hache à deux tranchants, dont le manche est recouvert d'un dur acier: arme funeste que le Franc jette en poussant un cri de mort, et qui manque rarement de frapper le 5 but qu'un œil intrépide a marqué.

Ces Barbares, fidèles aux usages des anciens Germains, s'étaient formés en coin, leur ordre accoutumé de bataille. Le formidable triangle, où l'on ne distinguait qu'une forêt de framées, des peaux de bêtes et des corps demi-nus, s'avan- 10 çait avec impétuosité, mais d'un mouvement égal, pour percer la ligne romaine. A la pointe de ce triangle étaient placés des braves qui conservaient une barbe longue et hérissée, et qui portaient au bras un anneau de fer. Ils avaient juré de ne quitter ces marques de servitude qu'après avoir sacrifié un 15 Romain. Chaque chef dans ce vaste corps était environné des guerriers de sa famille, afin que, plus ferme dans le choc, il remportât la victoire ou mourût avec ses amis. Chaque tribu se ralliait sous un symbole: la plus noble d'entre elles se distinguait par des abeilles ou trois fers de lance. Le vieux 20 roi des Sicambres,388 Pharamond, conduisait l'armée entière et laissait une partie du commandement à son petit-fils Mérovée. Les cavaliers francs, en face de la cavalerie romaine, couvraient les deux côtés de leur infanterie; à leurs casques en forme de gueules ouvertes, ombragées de deux ailes de 25 vautour, à leurs corselets de fer, à leurs boucliers blancs, on les eût pris pour des fantômes ou pour ces figures bizarres que l'on aperçoit au milieu des nuages pendant une tempête. Clodion, fils de Pharamond et père de Mérovée, brillait à la tête de ces cavaliers menaçants.

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Sur une grève, derrière cet essaim d'ennemis, on apercevait leur camp, semblable à un marché de laboureurs et de pêcheurs; il était rempli de femmes et d'enfants, et retranché avec des bateaux de cuir et des chariots attelés de grands bœufs. Non loin de ce camp champêtre, trois sorcières en 35 lambeaux faisaient sortir de jeunes poulains d'un bois sacré, afin de découvrir par leur course à quel parti Tuiston 389 promettait la victoire. La mer d'un côté, des forêts de l'autre, formaient le cadre de ce grand tableau.

Le soleil du matin, s'échappant des replis d'un nuage d'or, verse tout à coup sa lumière sur les bois, l'océan et les deux armées. La terre paraît embrasée du feu des casques et des lances. Les instruments guerriers sonnent l'air antique de Jules César partant pour les Gaules. La rage s'empare de 5 tous les cœurs, les yeux roulent du sang, la main frémit sur l'épée. Les chevaux se cabrent, creusent l'arène, secouent leur crinière, frappent de leur bouche écumante leur poitrine enflammée, ou lèvent vers le ciel leurs naseaux brûlants, pour respirer les sons belliqueux. Les Romains commencent le 10 chant de Probus.390

"Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs, combien ne vaincrons-nous pas de millions de Perses !"

Les Grecs répètent en chœur le pæan, 391 et les Gaulois l'hymne des Druides.392 Les Francs répondent à ces cantiques 15 de mort ils serrent leurs boucliers contre leur bouche, 393 et font entendre un mugissement semblable au bruit de la mer que le vent brise contre un rocher; puis tout à coup, poussant un cri aigu, ils entonnent le bardit 394 à la louange de leurs héros :

"Pharamond! Pharamond! nous avons combattu avec

l'épée.

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"Nous avons lancé la francisque à deux tranchants; la sueur tombait du front des guerriers et ruisselait le long de leurs bras. Les aigles et les oiseaux aux pieds jaunes poussaient 25 des cris de joie; le corbeau nageait dans le sang des morts; tout l'océan n'était qu'une plaie: les vierges ont pleuré longtemps!

"Pharamond! Pharamond! nous avons combattu avec l'épée. "Nos pères sont morts dans les batailles, tous les vautours 30 en ont gémi: nos pères les rassasiaient de carnage! Choisissons des épouses dont le lait soit du sang et qui remplissent de valeur le cœur de nos fils. Pharamond, le bardit est achevé, les heures de la vie s'écoulent, nous sourirons quand il faudra mourir !"

Ainsi chantaient quarante mille barbares. Leurs cavaliers haussaient et baissaient leurs boucliers blancs en cadence, et à chaque refrain ils frappaient du fer d'un javelot leur poitrine couverte de fer. -Les Martyrs, Book VI, 1809.

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ROMANTICISM

Romanticism is a literary revolution which became most pronounced in France between 1820 and 1830, and whose principles were predominant until about 1843. It was a reaction against classicism rather than a movement with a definite progressive program. The romantics demanded the abolition of the delimitation of literary genres, of the arbitrary distinctions between "mots nobles" and "mots bas"; they rebelled against the studied effacement of an author's personality in his writings, as summed up by Pascal's phrase: "le moi est haïssable"; and they refused to recognize the authority of Boileau's Art Poétique with its meticulous rules governing verse structure and style and its doctrine of "raison." They demanded complete liberty in art, the recognition of the right of the individual to express his own ideas, fancies, passions in the form that seems to him most fitting. Encouraged by the success of Chateaubriand and Mme. de Staël, and by the foreign examples of Scott, Ossian and Byron, Goethe and Schiller, they organized the Romantic School whose manifesto was Hugo's Préface de Cromwell (1827).

The influence of this revolution was far reaching. Lyric poetry, freed from its shackles, blossomed forth for the first time in more than two centuries. The drama, breaking down the barriers that separated tragedy and comedy, opened new fields to the dramatic. writer and prepared the way for Dumas fils and Augier. The historical novel and narrative history, evoking with picturesque and characteristic details the life of the past, made possible the work of Balzac and Flaubert. In a word, Romanticism liberated and renewed all forms of literary expression.

HUGO
(1802-1885)

PRÉFACE DE CROMWELL

La muse purement épique des anciens n'avait étudié la nature que sous une seule face, rejetant sans pitié de l'art presque tout ce qui, dans le monde soumis à son imitation, ne se rapportait pas à un certain type du beau. Type d'abord magnifique, mais, il arrive toujours de ce qui est systématique, 5

devenu dans les derniers temps faux, mesquin et conventionnel. Le christianisme amène la poésie à la vérité. Comme lui, la muse moderne verra les choses d'un coup d'œil plus haut et plus large. Elle sentira que tout dans la création n'est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le 5 difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l'ombre avec la lumière. Elle se demandera si la raison étroite et relative de l'artiste doit avoir gain de cause sur la raison infinie, absolue, du créateur; si c'est à l'homme à rectifier Dieu; si une nature mutilée en sera plus belle; si l'art 10 a le droit de dédoubler, pour ainsi dire, l'homme, la vie, la création; si chaque chose marchera mieux quand on lui aura ôté son muscle et son ressort; si, enfin, c'est le moyen d'être harmonieux que d'être incomplet. C'est alors que, l'œil fixé sur des événements tout à la fois risibles et formidables, et 15 sous l'influence de cet esprit de mélancolie chrétienne et de critique philosophique que nous observions tout à l'heure, la poésie fera un grand pas, un pas décisif, un pas qui, pareil à la secousse d'un tremblement de terre, changera toute la face du monde intellectuel. Elle se mettra à faire comme la na- 20 ture, à mêler dans ses créations, sans pourtant les confondre, l'ombre à la lumière, le grotesque au sublime, en d'autres termes, le corps à l'âme, la bête à l'esprit ; car le point de départ de la religion est toujours le point de départ de la poésie. Tout se tient. (1827.)

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RÉPONSE À UN ACTE D'ACCUSATION

Oui, je suis ce Danton! je suis ce Robespierre!
J'ai contre le mot noble à la longue rapière,

Insurgé le vocable ignoble, son valet,

Et j'ai, sur Dangeau 395 mort, égorgé Richelet. 896

Oui, c'est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.

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J'ai pris et démoli la bastille des rimes.

J'ai fait plus: j'ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l'enfer

Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales;
J'ai de la périphrase écrasé les spirales,

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