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Ainsi triste et captif, ma lyre toutefois
S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces vœux d'une jeune captive;

Et secouant le joug de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d'elle.

(1794.)

IAMBES

Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Anime la fin d'un beau jour,

Au pied de l'échafaud j'essaie encore ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour.

Peut-être avant que l'heure, en cercle promenée,
Ait posé sur l'émail brillant,

Dans les soixante pas où sa route est bornée,

Son pied sonore et vigilant,

Le sommeil du tombeau pressera ma paupière.
Avant que de ces deux moitiés

Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces murs effrayés

Le messager de mort, noir recruteur des ombres,

Escorté d'infâmes soldats,

Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres,
Où, seul dans la foule, à grands pas

J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime,
Du juste trop faibles soutiens,

Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime;
Et chargeant mes bras de liens,

Me traîner, amassant en foule à mon passage
Mes tristes compagnons reclus

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ΙΟ

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Qui me connaissaient tous avant l'affreux message,
Mais qui ne me connaissent plus.

Eh bien! j'ai trop vécu. Quelle franchise auguste,
De mâle constance et d'honneur

Quels exemples sacrés doux à l'âme du juste,
Pour moi quelle ombre de bonheur,

Quelle Thémis terrible aux têtes criminelles,
Quels pleurs d'une noble pitié,

Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles,
Quels beaux échanges d'amitié

Font digne de regrets l'habitacle des hommes?

La peur blême et louche est leur dieu,

La bassesse, la fièvre. . . . Ah! lâches que nous sommes ! Tous, oui tous. Adieu, terre, adieu.

Vienne, vienne la mort! que la mort me délivre! . . .

Ainsi donc mon cœur abattu

Cède au poids de ses maux! - Non, non, puissé-je vivre!

Ma vie importe à la vertu;

Car l'honnête homme enfin, victime de l'outrage,

Dans les cachots, près du cercueil,

Relève plus altiers son front et son langage,

Brillant d'un généreux orgueil.

S'il est écrit aux cieux que jamais une épée

N'étincellera dans mes mains;

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Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée
Peut encor servir les humains.

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Justice, Vérité, si ma main, si ma bouche,

Si mes pensers les plus secrets,

Ne froncèrent jamais votre sourcil farouche,
Et si les infâmes progrès,

Si la risée atroce, ou, plus atroce injure,

L'encens de hideux scélérats,

Ont pénétré vos cœurs d'une large blessure,

Sauvez-moi. Conservez un bras

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Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.

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Mourir sans vider mon carquois !

Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois!

Ces vers cadavereux de la France asservie,

Egorgée! ... O mon cher trésor,

O ma plume! Fiel, bile, horreur, Dieux de ma vie !
Par vous seuls je respire encor.

Nul ne resterait donc pour attendrir l'histoire

Sur tant de justes massacrés,

Pour consoler leurs fils, leurs veuves, leur mémoire!
Pour que des brigands abhorrés

Frémissent aux portraits noirs de leur ressemblance,
Pour descendre jusqu'aux enfers

Nouer le triple noeud, le fouet de la vengeance

Déjà levé sur ces pervers!

Pour cracher sur leurs noms, pour chanter leur supplice!

Allons, étouffe tes clameurs;

Souffre, ô cœur gros de haine, affamé de justice.

Toi, Vertu, pleure, si je meurs.

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(1794.)

THE PRECURSORS OF ROMANTICISM

MME. DE STAËL — CHATEAUBRIAND

The reaction against classical tradition, already noted in Rousseau and Chénier, became more marked in the work of Mme. de Staël (1766-1817) and Chateaubriand (1768-1848). Mme. de Staël pointed out (De l'Allemagne, 1810) that literature based upon Latin and Greek models had already reached its highest state of perfection in France, and that, not being in accord with modern French life and spirit, it was not susceptible of further development. She suggests that her countrymen follow the example of Germany and seek inspiration in their own national history and in their own religion. The work of Chateaubriand is the embodiment of these ideas. His analysis of his own melancholy soul (René, 1802), his communion with nature and his power to depict her wealth of colors, sounds and perfumes (Atala, 1801), his religious enthusiasm (Le Génie du Christianisme, 1802), his picturesque evocation of the past, especially of the Middle Ages (Les Martyrs, 1809), which prepared the way for narrative history and the historical novel, made him the first great modern. All of the elements of romanticism already exist in the poetic prose of Chateaubriand.

MADAME DE STAËL
(1766-1817)

"LA POÉSIE CLASSIQUE ET LA POÉSIE ROMANTIQUE"

La poésie païenne doit être simple et saillante comme les objets extérieurs; la poésie chrétienne a besoin des mille couleurs de l'arc-en-ciel pour ne pas se perdre dans les nuages. La poésie des anciens est plus pure comme art, celles des modernes fait verser plus de larmes; mais la question pour 5 nous n'est pas entre la poésie classique et la poésie romantique, mais entre l'imitation de l'une et l'inspiration de l'autre. La littérature des anciens est chez les modernes une littérature transplantée: la littérature romantique ou chevaleresque est chez nous indigène, et c'est notre religion et nos institutions IO

qui l'ont fait éclore. Les écrivains imitateurs des anciens se sont soumis aux règles du goût les plus sévères; car, ne pouvant consulter ni leur propre nature, ni leurs propres souvenirs, il a fallu qu'ils se conformassent aux lois d'après lesquelles les chefs-d'œuvres des anciens peuvent être adaptés à 5 notre goût, bien que toutes les circonstances politiques et religieuses qui ont donné le jour à ces chefs-d'œuvres soient changées. Mais ces poésies d'après l'antique, quelque parfaites qu'elles soient, sont rarement populaires, parce qu'elles ne tiennent, dans le temps actuel, à rien de national.

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La poésie française, étant la plus classique de toutes les poésies modernes, est la seule qui ne soit pas répandue parmi le peuple. Les stances du Tasse sont chantées par les gondoliers de Venise; les Espagnols et les Portugais de toutes les classes savent par cœur les vers de Calderon 367 et de Ca- 15 moëns.368 Shakespeare est autant admiré par le peuple en Angleterre que par la classe supérieure. Des poèmes de Goethe et de Bürger 369 sont mis en musique, et vous les entendez répéter des bords du Rhin jusqu'à la Baltique. Nos poètes français sont admirés par tout ce qu'il y a d'esprits 20 cultivés chez nous et dans le reste de l'Europe; mais ils sont tout à fait inconnus aux gens du peuple et aux bourgeois même des villes, parce que les arts en France ne sont pas, comme ailleurs, natifs du pays même où leurs beautés se développent.

Quelques critiques français ont prétendu que la littérature 25 des peuples germaniques était encore dans l'enfance de l'art: cette opinion est tout à fait fausse; les hommes les plus instruits dans la connaissance des langues et des ouvrages des anciens n'ignorent certainement pas les inconvénients et les avantages du genre qu'ils adoptent, ou de celui qu'ils rejettent; 30 mais leur caractère, leurs habitudes et leurs raisonnements les ont conduits à préférer la littérature fondée sur les souvenirs de la chevalerie, sur le merveilleux du moyen âge, à celle dont la mythologie des Grecs est la base. La littérature romantique est la seule qui soit susceptible encore d'être perfec- 35 tionnée, parce qu'ayant ses racines dans notre propre sol, elle est la seule qui puisse croître et se vivifier de nouveau; elle exprime notre religion; elle rappelle notre histoire; son origine est ancienne, mais non antique.

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