sèche, qu'il assujettit sous ses pieds; puis, avec le tranchant de cette pierre, il fit une pointe à un autre morceau de branche également sèche, mais d'une espèce de bois différent. Il posa ensuite ce morceau de bois pointu dans le petit trou de la branche qui était sous ses pieds, et, le faisant rouler rapide- 5 ment entre ses mains, comme on roule un moulinet dont on veut faire mousser du chocolat, en peu de moments il vit sortir, du point de contact, de la fumée et des étincelles. Il ramassa des herbes sèches et d'autres branches d'arbres, et mit le feu au pied du palmiste, qui, bientôt après, tomba avec 10 un grand fracas. Le feu lui servit encore à dépouiller le chou de l'enveloppe de ses longues feuilles ligneuses et piquantes. Virginie et lui mangèrent une partie de ce chou crue, et l'autre cuite sous la cendre, et ils les trouvèrent également savoureuses. Ils firent ce repas frugal, remplis de joie 15 mais cette joie était troublée par l'inquiétude où ils se doutaient bien que leur longue absence de la maison jetterait leurs mères. Virginie revenait souvent sur cet objet. Cependant Paul, qui sentait ses forces rétablies, l'assura qu'ils ne tarderaient pas à tranquilliser leurs parents. 20 Après dîner, ils se trouvèrent bien embarrassés, car ils n'avaient plus de guide pour les reconduire chez eux. Paul, qui ne s'étonnait de rien, dit à Virginie: "Notre case est vers le soleil du milieu du jour; il faut que nous passions, comme ce matin, par-dessus cette montagne que tu vois là-bas avec 25 ses trois pitons.358 Allons, marchons, mon amie." . . . Ils descendirent donc le morne de la Rivière-Noire du côté du nord, et arrivèrent, après une heure de marche, sur les bords d'une large rivière qui barrait leur chemin. Cette grande partie de l'île, toute couverte de forêts, est si peu connue, 30 même aujourd'hui, que plusieurs de ses rivières et de ses montagnes n'y ont pas encore de nom. La rivière sur le bord de laquelle ils étaient coule en bouillonnant sur un lit de roches. Le bruit de ses eaux effraya Virginie; elle n'osa y mettre les pieds pour la passer à gué. Paul alors prit Vir- 35 ginie sur son dos, et passa, ainsi chargé, sur les roches glissantes de la rivière, malgré le tumulte de ses eaux. . . . Quand Paul fut sur le rivage, il voulut continuer sa route, chargé de sa sœur, et il se flattait de monter ainsi la montagne qu'il 359 voyait devant lui à une demi-lieue de là; mais bientôt les forces lui manquèrent, et il fut obligé de la mettre à terre, et de se reposer auprès d'elle. Virginie lui dit alors: "Mon frère, le jour baisse; tu as encore des forces, et les miennes me manquent; laisse-moi ici, et retourne seul à notre case, '5 pour tranquilliser nos mères.-Oh! non, dit Paul, je ne te quitterai pas. Si la nuit nous surprend dans ces bois, j'allumerai du feu, j'abbattrai un palmiste; tu en mangeras le chou, et je ferai avec ses feuilles un ajoupa pour te mettre à l'abri." Cependant Virginie, s'étant un peu reposée, cueillit sur le tronc (10 d'un vieux arbre, penché sur le bord de la rivière, de longues feuilles de scolopendre qui pendaient de son tronc. Elle en fit des espèces de brodequins, dont elle s'entoura les pieds, que les pierres des chemins avaient mis en sang; car, elle avait oublié de se chausser. Se sentant soulagée par la fraîcheur 15 de ces feuilles, elle rompit une branche de bambou, et se mit en marche, en s'appuyant d'une main sur ce roseau, et de l'autre sur son frère. Ils cheminaient ainsi doucement à travers les bois: mais la hauteur des arbres et l'épaisseur de leurs feuillages leur firent 20 bientôt perdre de vue la montagne, sur laquelle ils se dirigeaient, et même le soleil, qui était déjà près de se coucher. Au bout de quelque temps ils quittèrent, sans s'en apercevoir, le sentier frayé dans lequel ils avaient marché jusqu'alors, et ils se trouvèrent dans un labyrinthe d'arbres, de lianes et de 25 roches, qui n'avait plus d'issue. Paul fit asseoir Virginie, et se mit à courir ça et là, tout hors de lui, pour chercher un chemin hors de ce fourré épais; mais il se fatigua en vain. Il monta en haut d'un grand arbre, pour découvrir au moins la montagne; mais il n'aperçut autour de lui que les cimes des 30 arbres, dont quelques-unes étaient éclairées par les derniers rayons du soleil couchant. Cependant l'ombre des montagnes couvrait déjà les forêts dans les vallées; le vent se calmait, comme il arrive au coucher du soleil, un profond silence regnait dans ces solitudes, et on n'y entendait d'autre bruit que 35 le bramement des cerfs qui venaient chercher leurs gîtes dans ces lieux écartés. Paul, dans l'espoir que quelque chasseur pourrait l'entendre, cria alors de toute sa force: "Venez, venez au secours de Virginie!" Mais les seuls échos de la forêt répondirent à sa voix et répétèrent à plusieurs reprises: "Virginie! . . . Virginie!" -Paul et Virginie, 1787. CHÉNIER (1762-1794) L'INVENTION Ainsi donc, dans les arts, l'inventeur est celui ... Ce qu'elle n'a point fait, mais ce qu'elle a pu faire; Travaille. Un grand exemple est un puissant témoin. De la cour d'Apollon 362 que l'erreur soit bannie, LA JEUNE CAPTIVE "L'épi naissant mûrit de la faux respecté; Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été Boit les doux présents de l'aurore; ... Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui, 5 ΙΟ 15 20 25 30 35 "Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort: Moi je pleure et j'espère; au noir souffle du nord Je plie et rélève ma tête. S'il est des jours amers, il en est de si doux ! "L'illusion féconde habite dans mon sein: Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel, Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel "Est-ce à moi de mourir? Tranquille je m'endors, "Mon beau voyage encore est si loin de sa fin! Au banquet de la vie à peine commencé, La coupe en mes mains encor pleine. 5 10 15 20 "Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson; Et comme le soleil, de saison en saison, 25 Je veux achever mon année. Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin, Je n'ai vu luire encor que les feux du matin : 30 "O mort! tu peux attendre, éloigne, éloigne-toi; Pour moi Palès 366 encore a des asiles verts, 35 Je ne veux pas mourir encore." |