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EIGHTEENTH CENTURY MASTERS

Montesquieu, by the complexity of his character, might be considered as belonging to both centuries. His scientific accuracy, his esprit, his "préciosité" make him a contemporary of Fontenelle, yet by his kindliness, his "sensibilité" and his preoccupation with the "genre humain," he is of the eighteenth century. His Lettres persanes (1721) are a critique of religious and political questions. In his Esprit des Lois (1748), he speaks for moderation, religious tolerance and a monarchy like the English regulated by the nobility and the parliament.

Buffon, "Intendant du Jardin du Roi," a natural scientist whose method is exact observation and then generalisation. There is less of scientific nomenclature in his descriptions of animals than would be expected. Precision, avoidance of technical terms, nobility of style, what may be called the human characteristics of animals is what he presents to the reader.

Voltaire, the greatest name in the eighteenth century, philosopher, controversialist, historian, poet, dramatist, an indefatigable letter writer, a vigorous combatant for tolerance and justice, at times a sceptic, at times a cynic, always "spirituel," always writing with clearness, precision and simplicity, covering in his work practically every field of human knowledge-vain, prudent, an epicurean-such is in brief this man whose influence extends throughout the eighteenth century and even to our day.

Diderot's work lacks measure, equilibrium and finish. Through all of it are strewn his ideas, his mobility, his "sensibilité" and his lack of mastery of himself. In the novel, Richardson especially is his model because he had the art of moving his readers, the art of detail and the pathetic. In philosophy, Diderot was a frank atheist, a believer in the goodness of nature and of man's instincts. In the drama, he established and laid down the rules for the "drame," the intermediary between the tragedy and the comedy, the painting of "condition rather than characters." Almost by his own efforts as author and director, and against the outcry of Jesuit and Jansenist, he succeeded in completing the task of the Encyclopédie, of which the last ten volumes appeared in 1765. It is a vast storehouse of rationalism, critical and scientific examination of politics and religion, of the church and state; and his method, to avoid trouble with authority, was the method of "renvoi" used by Bayle.

MONTESQUIEU

(1689-1755)

"PORTRAIT DE MONTESQUIEU PAR LUI-MÊME"

L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté.

Je suis presque aussi content avec des sots qu'avec des gens d'esprit, et il y a peu d'hommes si ennuyeux, qui ne m'ait 5 amusé, très souvent: il n'y a rien de si amusant qu'un homme ridicule.

J'ai naturellement eu de l'amour pour le bien et l'honneur de ma patrie, et peu pour ce qu'on appelle la gloire; j'ai toujours senti une joie secrète lorsque l'on a fait quelque règlement 10 qui allait au bien commun.

Je n'ai pas été fâché de passer pour distrait: cela m'a fait hasarder bien des négligences qui m'auraient embarrassé. J'aime les maisons où je puis me tirer d'affaires avec mon esprit de tous les jours.

Dans les conversations et à table, j'ai toujours été ravi de trouver un homme qui voulût prendre la peine de briller: un homme de cette espèce présente toujours le flanc, et tous les autres sont sous le bouclier.

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Ce qui m'a toujours donné une assez mauvaise opinion 20 de moi, c'est qu'il y a fort peu d'états dans la République auxquels j'eusse été véritablement propre.

Quant à mon métier de président, j'avais le cœur très droit; je comprenais assez les questions en elles-mêmes; mais, quant à la procédure, je n'y entendais rien. Je m'y étais pourtant 25 appliqué; mais, ce qui m'en dégoûtait le plus, c'est que je voyais à des bêtes ce même talent qui me fuyait, pour ainsi dire.

Je n'ai jamais vu couler de larmes sans en être attendri.

Je suis (je crois) presque le seul homme qui ait fait des 30 livres, ayant sans cesse peur de la réputation de bel-esprit. Ceux qui m'ont connu savent que, dans mes conversations, je ne cherchais pas trop à le paraître, et que j'avais assez le talent de prendre la langue de ceux avec qui je vivais.

Quand on s'est attendu que je brillerais dans une conversation, je ne l'ai jamais fait. J'aimais mieux avoir un homme d'esprit pour m'appuyer, que des sots pour m'approuver.

Je n'ai jamais été tenté de faire un couplet de chanson contre qui que ce soit.

J'ai fait en ma vie bien des sottises, et jamais des méchancetés.

J'ai la maladie de faire des livres et d'en être honteux quand je les ai faits.

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Je n'ai point aimé à faire ma fortune par le moyen de la 10 Cour; j'ai songé à la faire en faisant valoir mes terres, et à tenir ma fortune immédiatement de la main des Dieux.

Je rends grâces au Ciel de ce qu'ayant mis en moi de la médiocrité en tout il a bien voulu mettre un peu moins dans mon âme.

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Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à 20 l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au Genre humain, je la regarderais comme un crime.

J'aime incomparablement mieux être tourmenté par mon cœur que par mon esprit.

"COMMENT PEUT-ON ÊTRE PERSAN?"

RICA AU MÊME 191

A Smyrne

Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à 25 l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du Ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi: les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel, nuancé de mille couleurs, qui m'entourait; si j'étais aux spectacles, je trouvais d'abord cent

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lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: "Il faut avouer qu'il a l'air bien persan." Chose admirable! je trouvais de mes portraits partout, je me 5 voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.

Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare, et, quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé 10 que je dusse troubler le repos d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement: libre de tous les 15 ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique: car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé et qu'on 20 m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche. Mais, si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: "Ah! ah! Monsieur est Persan! C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan?"

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-A Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712.

"THÉOLOGIE ET MORALE”

USBEK A RHÉDI

A Venise

Je vois ici des gens qui disputent sans fin sur la Religion; mais il semble qu'ils combattent en même temps à qui l'observera le moins.

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Non seulement ils ne sont pas meilleurs Chrétiens, mais même meilleurs citoyens, et c'est ce qui me touche: car, dans 30 quelque religion qu'on vive, l'observation des lois, l'amour

pour les hommes, la piété envers les parents, sont toujours les premiers actes de religion.

En effet, le premier objet d'un homme religieux ne doit-il pas être de plaire à la Divinité, qui a établi la religion qu'il professe? Mais le moyen le plus sûr pour y parvenir est sans doute d'observer les règles de la société et les devoirs de l'humanité: car, en quelque religion qu'on vive, dès qu'on en suppose une, il faut bien que l'on suppose aussi que Dieu aime les hommes, puisqu'il établit une religion pour les rendre heureux; que s'il aime les hommes, on est assuré de lui plaire 10 en les aimant aussi, c'est-à-dire en exerçant envers eux tous les devoirs de la charité et de l'humanité, et en ne violant point les lois sous lesquelles ils vivent.

Par là, on est bien plus sûr de plaire à Dieu qu'en observant telle ou telle cérémonie: car les cérémonies n'ont point un 15 degré de bonté par elles-mêmes; elles ne sont bonnes qu'avec égard et dans la supposition que Dieu les a commandées. Mais c'est la matière d'une grande discussion; on peut facilement s'y tromper: car il faut choisir les cérémonies d'une religion entre celles de deux mille.

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Un homme faisait tous les jours à Dieu cette prière: "Seigneur, je n'entends rien dans les disputes que l'on fait sans cesse à votre sujet. Je voudrais vous servir selon votre volonté; mais chaque homme que je consulte veut que je vous serve à la sienne. Lorsque je veux vous faire ma prière, je 25 ne sais en quelle langue je dois vous parler. Je ne sais pas non plus en quelle posture je dois me mettre: l'un dit que je dois vous prier debout; l'autre veut que je sois assis; l'autre exige que mon corps porte sur mes genoux. . . . Il m'arriva l'autre jour de manger un lapin dans un caravanséraï. Trois 30 hommes qui étaient auprès de là me firent trembler: ils me soutinrent tous trois que je vous avais grièvement offensé: l'un,1 parce que cet animal était immonde; l'autre, parce qu'il était étouffé; l'autre enfin, parce qu'il n'était pas poisson. Un Brahmane qui passait par là, et que je pris pour juge, 35 me dit: "Ils ont tort, car apparemment vous n'avez pas tué vous-même cet animal. Si fait, lui dis-je. — Ah! vous avez commis une action abominable et que Dieu ne vous pardonnera jamais, me dit-il d'une voix sévère. Que savez-vous si l'âme

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