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Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages.
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré

Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,

En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent;
Et son trop de lumière, importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux.
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie,
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits,
Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,155
Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces,
En habits de marquis,156 en robes de comtesses,
Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur voulait la scène plus exacte;
Le vicomte, indigné, sortait au second acte.157
L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,

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Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu; 158

L'autre, fougueux marquis,159 lui déclarant la guerre,
Voulait venger la cour immolée au parterre.
Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains

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La Parque l'eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa Muse éclipsée.
L'aimable Comédie, avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.

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Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.

Toi donc, qui, t'élevant sur la scène tragique,

Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits,
De Corneille 160 vieilli sais consoler Paris,

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Cesse de t'étonner, si l'envie animée,
Attachant à ton nom sa rouille envenimée,
La calomnie en main, quelquefois te poursuit.

En cela, comme en tout, le Ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.

Le mérite en repos s'endort dans la paresse;

Mais, par les envieux un génie excité,

161

Au comble de son art est mille fois monté;
Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance;
Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance;
Et, peut-être, ta plume, aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.
Moi-même, dont la gloire ici moins répandue
Des pâles envieux ne blesse point la vue,
Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis,
De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis,

Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue,
Qu'au faible et vain talent dont la France me loue.
Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher,

Tous les jours, en marchant, m'empêche de broncher;
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde,
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde;
Je sais sur leur avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs
Imite mon exemple; et, lorsqu'une cabale,
Un flot de vains auteurs, follement te ravale,
Profite de leur haine et de leur mauvais sens.
Ris du bruit passager de leurs cris impuissants:
Que peut contre tes vers une ignorance vaine?
Le Parnasse français, ennobli par ta veine,162
Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l'équitable avenir.
Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre, malgré soi perfide, incestueuse,
D'un si noble travail justement étonné,

Ne bénira d'abord le siècle fortuné

Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles?
Cependant, laisse ici gronder quelques censeurs
Qu'aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.
Et qu'importe à nos vers que Perrin 168 les admire,
Que l'auteur du Jonas 164 s'empresse pour les lire;

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Qu'ils charment de Senlis le poète idiot,165
Ou le sec traducteur 166 du français d'Amyot;
Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées
Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées;
Pourvu qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois;
Qu'à Chantilly Condé 107 les souffre quelquefois,
Qu'Enghien 168 en soit touché; que Colbert et Vivonne,
Que La Rochefoucauld, Marsillac,169 et Pomponne,
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,
A leurs traits délicats se laissent pénétrer?
Et, plût au ciel encor, pour couronner l'ouvrage,
Que Montausier 170 voulût leur donner son suffrage!
C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits;
Mais, pour un tas grossier de frivoles esprits,
Admirateurs zélés de toute œuvre insipide,
Que, non loin de la place où Brioché 11 préside
Sans chercher dans les vers ni cadence ni son,
Il s'en aille admirer le savoir de Pradon!

171

-“Epître VII,” 1677.

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IO

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THE TRANSITION

Fénelon, Bayle and Fontenelle mark the transition from the period of discipline, political, religious and literary, of the seventeenth century to the eighteenth century with its philosophic, scientific and questioning attitude. Fénelon, whose dominant trait was sentiment, became involved, to his own misfortune, with Bossuet in the affair of "Quietism." In his Télémaque (1699), written for his pupil, the Duc de Bourgogne, he develops his pedagogic theory. His Lettre à l'Académie contains his proposals as to the future work of that body. And his political ideas foreshadow the eighteenth century.

Bayle and Fontenelle, both disciples of Descartes, carried his. doctrine to its logical conclusion. Bayle is the fountain head of practically all the philosophic ideas of the century and the initiator of the scientific method applied to historical research. The "Encyclopédie" and Voltaire both owe him much. Scientific accuracy, the critical spirit, scepticism, the separation of morality and religion, and tolerance are exemplified in his Dictionnaire (1697); all these are found again and again in the eighteenth century.

The method of "renvoi" was also first used by Bayle. This consisted in using a clever system of cross references by which the author conveyed to the initiated through a series of relatively innocent articles truths which, if bluntly stated, would have aroused the church and authorities against him.

Fontenelle, as perpetual secretary of the Academy of Sciences, sought to make science and philosophy accessible to the "gens du monde," which won for him the epithet of "vulgarisateur." As a sceptic in matters of religion (Histoire des Oracles, 1687), he evidences the latent revolt against the acceptance of authority in the matter of dogma and tradition.

FÉNELON

(1651-1715)

"L'ÉLOQUENCE"

Il ne faut pas faire à l'éloquence le tort de penser qu'elle n'est qu'un art frivole, dont un déclamateur se sert pour imposer à la faible imagination de la multitude, et pour trafiquer

de la parole: c'est un art très sérieux, qui est destiné à instruire, à réprimer les passions, à corriger les mœurs, à soutenir les lois, à diriger les déliberations publiques, à rendre les hommes bons et heureux. Plus un déclamateur ferait d'efforts pour m'éblouir par les prestiges de son discours, plus je me révolterais contre 5 sa vanité: son empressement pour faire admirer son esprit me paraîtrait le rendre indigne de toute admiration. Je cherche un homme sérieux, qui me parle pour moi, et non pour lui; qui veuille mon salut, et non sa vaine gloire. L'homme digne d'être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, 10 et de la pensée que pour la vérité et la vertu. Rien n'est plus méprisable qu'un parleur de métier, qui fait de ses paroles ce qu'un charlatan fait de ses remèdes. . .

Le véritable orateur n'orne son discours que de vérités lumineuses, que de sentiments nobles, que d'expressions fortes et 15 proportionnées à ce qu'il tâche d'inspirer. Il pense, il sent, et la parole suit. "Il ne dépend point des paroles," dit saint Augustin," "mais les paroles dépendent de lui." Un homme qui a l'âme forte et grande, avec quelque facilité naturelle de parler et un grand exercice, ne doit jamais craindre que les 20 termes lui manquent; ses moindres discours auront des traits originaux que les déclamateurs fleuris ne pourront jamais imiter. Il n'est point esclave des mots; il va droit à la vérité. Il sait que la passion est comme l'âme de la parole. Il remonte d'abord au premier principe sur la matière qu'il veut débrouil- 25 ler; il met ce principe dans son vrai point de vue; il le tourne et le retourne, pour y accoutumer ses auditeurs les moins pénétrants; il descend jusqu'aux dernières conséquences par un enchaînement court et sensible. Chaque vérité est mise en sa place par rapport au tout: elle prépare, elle amène, elle appuie 30 une autre vérité qui a besoin de son secours. Cet arrangement sert à éviter les répétitions qu'on peut épargner au lecteur; mais il ne retranche aucune des répétitions par lesquelles il est essentiel de ramener souvent l'auditeur au point qui décide lui seul de tout.

Il faut lui montrer souvent la conclusion dans le principe. De ce principe, comme du centre, se répand la lumière sur toutes les parties de cet ouvrage; de même qu'un peintre place dans son tableau le jour, en sorte que d'un seul endroit il dis

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