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montagne qu'elle a perdu sa fraîcheur et sa gaîté. C'est ton funeste amour qui l'a tuée! »

XCVIII.

Zilla ne répondit rien. Bertha se trompait peut-être; mais la fée sentait bien que cette mère affligée ne l'aimerait plus. Herman éperdu essaya en vain d'adoucir leurs blessures. Zilla quitta le chalet et courut au glacier. Elle osa donner un baiser au cadavre impassible de la reine, et elle but la coupe; mais, au lieu d'être foudroyée, elle se sentit comme renouvelée par une sensation de confiance et de joie, et elle crut entendre une voix d'enfant qui lui disait Viens donc!

XCIX.

Elle retourna au chalet. L'enfant était couchée dans une corbeille de fleurs. Sa mère priait auprès d'elle, entourée de ses autres beaux enfans qui s'efforçaient de la consoler, et qu'elle regardait avec douceur, comme pour leur dire : « Soyez tranquilles, je ne vous aimerai pas moins. » Le père creusait une petite fosse sous un buisson d'aubépine. Il versait de grosses larmes, mais il préparait avec amour et sollicitude la dernière couchette de son enfant. En voyant la fée, il lui dit : « Pardonne à Bertha! >>

C.

Zilla se mit aux genoux de la femme : « C'est toi qui dois me pardonner, lui dit-elle, car je vais suivre ton enfant dans la mort. Elle m'a appelée, et c'est sans doute qu'elle va revivre dans un meilleur monde et qu'il lui faut une autre mère. Ici je n'ai su lui faire que du mal, mais il faut que je sois destinée à lui faire du bien ailleurs, puisqu'elle me réclame. Je ne sais ce que tu veux dire, répondit la mère. Tu as pris la vie de mon enfant, veux-tu donc aussi m'emporter son âme? L'âme de notre enfant est à Dieu seul, dit Herman; mais, si Zilla connaît ses desseins mystérieux, laissons-la faire. Mettez l'enfant dans mes bras, » dit la fée. Et quand elle tint ce petit corps contre son cœur, elle entendit encore que son esprit lui disait tout bas : « Allons, viens! Oui, partons! » s'écria la fée. Et, se penchant vers elle, elle sentit son âme s'exhaler et se mêler doucement, dans un baiser maternel, à l'âme pure de l'enfant. Herman fit la tombe plus grande et les y déposa toutes deux. Durant la nuit, une main invisible y écrivit ces mots : « La mort, c'est l'espérance. »> GEORGE SAND.

Palaiseau, 10 avril 1865.

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UN HIVERNAGE

CHEZ

LES ESQUIMAUX

Life with the Esquimaux, the narrative of Captain C. F. Hall; London 1864.

Il est des contrées qui nous repoussent, comme d'autres nous attirent. Autant la zone tropicale a d'attrait pour l'homme en lui promettant de loin les délices d'une existence facile et nonchalante, autant les régions polaires inspirent de répulsion, car sur une terre morne et stérile la nature ne satisfait à aucun des besoins de l'humanité; c'est par une lutte incessante contre les élémens que les voyageurs qui traversent ces contrées, les indigènes même qui les habitent, peuvent assouvir leur faim, apaiser leur soif et se prémunir contre les atteintes d'une température pour laquelle le corps humain n'a pas été constitué. Le soleil, principe de toute vitalité énergique, n'y déverse que des rayons obliques et se cache pendant une partie de l'année; ne semble-t-il point que là où la lumière fait défaut, la vie est près de s'éteindre faute d'aliment, et ne subsiste que par grâce? Qu'est-il besoin d'ailleurs de fouiller les terres polaires et d'approfondir les mystères qu'elles recèlent, tant qu'à la surface du globe il restera d'autres régions inexplorées qui ne portent pas dans leur sein un germe de mort et de désolation?

Une industrie pleine de hasards et de dangers, la pêche de la baleine, attire encore néanmoins quelques navigateurs dans les mers arctiques. La baleine franche, le plus gros des cétacés et aussi le plus productif en huile, qui descendait autrefois, dit-on, jusqu'aux

côtes d'Europe et abondait dans les parages de Terre-Neuve, s'est retirée insensiblement vers les latitudes plus froides où elle est mieux abritée contre les poursuites des hommes. Ceux-ci la suivent jusque dans ces régions presque inabordables. Il n'y a pas d'année où quelques bâtimens baleiniers n'hivernent dans les glaces du détroit de Davis et de la baie d'Hudson, de préférence dans l'une des nombreuses baies découpées à l'intérieur du petit continent qui sépare ces deux bras de mer. Des pêcheurs intrépides vont même bien plus près du pôle. Parmi les plus hardis explorateurs des régions polaires, on compte des capitaines de navires armés pour la pêche de la baleine. Ces marins vivent pendant leur hivernage en contact journalier avec les Esquimaux, habitans de ces contrées stériles, mais ils s'occupent peu d'étudier leurs mœurs et leur existence; ignorant leur langue, ils se bornent en général aux rapports passagers que créent entre eux des échanges de vivres et de services.

D'autres expéditions, d'un intérêt purement scientifique, furent dirigées à diverses époques vers ces hautes latitudes. La plus célèbre, sinon par les résultats, au moins par l'impulsion qu'elle a donnée aux voyages de découvertes vers le pôle boréal, fut celle de sir John Franklin, qui avec deux navires, l'Erebus et la Terreur, quitta l'Angleterre en 1845. Aucune nouvelle de l'expédition n'étant venue en Europe depuis l'époque du départ, d'autres navires furent, on le sait, expédiés sur les traces de sir John Franklin. Grâce aux efforts empressés de l'amirauté anglaise, au concours bienveillant d'un Américain, M. Grinnell, qui fit à lui seul les frais d'une de ces campagnes, et surtout grâce au dévouement persévérant de lady Franklin, qui consacra sa fortune entière à ces entreprises, on put continuer pendant quinze ans les voyages de recherches. Si ces voyages ont été féconds en résultats géographiques, le but principal n'a par malheur pas été atteint. Quoiqu'une trentaine de navires aient parcouru les mers où Franklin s'est perdu et qu'une somme de 50 millions de francs ait été, dit-on, dépensée dans ces tentatives infructueuses, on n'a point encore de détails précis sur la dernière expédition de l'infortuné navigateur et sur l'événement qui l'a terminée. Dans le voyage fait par le Fox en 1858, sous le commandement de sir Leopold Mac Clintock, on a pu seulement s'assurer que Franklin, plusieurs de ses officiers et des hommes de son équipage, après avoir abandonné leurs navires emprisonnés dans les glaces, étaient morts de faim et de froid sur la Terre-du-RoiGuillaume, vers le 68° degré de latitude. Il fut avéré aussi qu'en avril 1848 cent cinq hommes de cette expédition étaient encore vivans; plusieurs d'entre eux pouvaient donc avoir prolongé leur existence jusqu'à l'époque actuelle, en restant au milieu des Esqui

maux qui habitent en nomades ces terres désolées. Au retour de sir Leopold Mac Clintock, on reconnut qu'il y avait quelque espoir de recueillir de nouveaux indices sur le sort de ces malheureux, mais qu'il fallait tenir compte des difficultés insurmontables qui arrêtent les navires dans des mers gelées pendant neuf mois de l'année et suivre un plan différent de celui qui avait été adopté jusqu'alors. Quelques hommes isolés, qui se soumettraient volontiers à la façon de vivre des Esquimaux, qui adopteraient leurs mœurs, leur genre d'existence, et comprendraient leur langue, devaient pénétrer avec moins de peine dans les terres polaires et y recueillir par une fréquentation quotidienne des indigènes la tradition du séjour d'autres hommes blancs dans les mêmes parages. Pour subsister au milieu des glaces et y conserver la force et la santé, il est indispensable de vivre comme les Esquimaux vivent eux-mêmes. Quand l'équipage d'un bâtiment baleinier est attaqué du scorbut, le capitaine met les hommes malades au régime des indigènes; nourris de viandes crues et couchant sous des huttes de neige, ils guérissent promptement. On s'habitue bien vite à une telle existence qui n'a rien d'incompatible avec la constitution physique de l'Européen. L'homme blanc peut supporter sans péril les froids de l'extrême nord; il peut s'y accoutumer et passer même de longues années sous ce climat excessif, pourvu qu'il sache modifier ses habitudes. Il est donc probable que plusieurs des compagnons de Franklin vivent encore au milieu des Esquimaux des terres de Boothia, de Victoria et du Prince-Albert, où l'expédition de ce célèbre navigateur est venue misérablement échouer. Si l'on en visitait les rivages aux mois de juillet, août, septembre, qui sont les plus doux et les plus favorables de l'année pour voyager dans les glaces, il serait possible sans doute de lier connaissance avec les Esquimaux qui les ont rencontrés; peut-être les retrouverait-on eux-mêmes; au moins on pourrait découvrir les tombes de ceux qui ont succombé, réunir des débris de l'expédition et recueillir de précieux renseignemens sur une entreprise encore enveloppée de tant de mystères.

Telles sont les pensées qui avaient inspiré M. Hall au début du voyage qu'il a entrepris dans les mers arctiques. Le but qu'il s'était proposé n'a pas été atteint, et l'on va voir quels événemens l'ont empêché d'aller jusqu'au bout; mais il a préparé la voie en étudiant à fond pendant un séjour de déux années les mœurs curieuses des peuplades du Nord. Avant de repartir pour une nouvelle expédition où il pourra profiter de l'expérience acquise, il a raconté les aventures de cette première et pénible pérégrination, qui ne fait que confirmer les espérances précédemment conçues.

1.

M. Hall partit de New-London, dans le Connecticut, le 29 mai 1860, sur le trois-mâts George Henry, qui était expédié dans le détroit de Davis pour la pêche de la baleine, et sur lequel les armateurs lui avaient gracieusement offert le passage gratuit. Il n'était accompagné que d'un Esquimau, nommé Kudlago, qu'un baleinier avait amené aux États-Unis peu de temps auparavant et qui devait servir d'interprète. Le George Henry devait aller de conserve avec un autre bâtiment, le Rescue; 29 hommes d'équipage, sous le commandement du capitaine Budington, composaient, avec les deux explorateurs, tout le personnel des deux navires qui devaient séjourner pendant dix-huit mois ou deux ans au milieu des glaces, sans communication aucune avec le monde civilisé.

La première partie du voyage, - des États-Unis au Groënland, tout le long des côtes de Terre-Neuve, du Labrador et du Groënland méridional, — ne présente qu'un médiocre intérêt. Néanmoins on observe avec curiosité les indices successifs par lesquels, à mesure que l'on s'avance vers le nord, se révèle la nature àpre du climat. D'abord apparaissent les oiseaux des mers polaires, les mouettes et les pétrels, qui abondent dans ces régions où la mer pourvoit aisément à leur subsistance, et qui n'en sortent guère que par hasard, entre deux pontes, pour faire un court séjour dans les latitudes plus chaudes. Un peu lourds de forme, ils ne se jouent pas moins à travers les vagues et happent au passage les poissons qui leur servent de nourriture. Plus loin, on rencontre les baleines par troupes plus ou moins nombreuses; mais celles qui s'avancent ainsi vers le sud n'appartiennent pas au genre mysticète, ce ne sont pas des « baleines du Groënland; » c'est la physale, espèce plus petite, plus vive en ses mouvemens, plus dangereuse à combattre, et que les pêcheurs n'attaquent pas. parce que leurs bateaux y courraient trop de risques et que d'ailleurs elle ne fournit que peu d'huile d'assez mauvaise qualité. A mesure que le navire poursuit sa route vers le nord, le voyageur peut aussi remarquer que le crépuscule du soir s'allonge et que le ciel reste illuminé par les clartés indirectes du soleil longtemps après que cet astre a disparu au-dessous de l'horizon, phénomène qui indique que l'on approche du cercle polaire, au-delà duquel le soleil cesse de se coucher pendant plusieurs jours au solstice d'été, et s'efface tout à fait pendant une période également longue au moment du solstice d'hiver. Enfin si l'on suit avec le thermomètre les variations de température de l'eau de mer, on s'aperçoit un jour qu'elle s'abaisse bien près de zéro, ce

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