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tout cela finira, il le sait. Origine du monde, origine de l'espèce, question des races, destinée de l'homme en cette vie et en l'autre, rapports de l'homme avec Dieu, devoirs de l'homme envers ses semblables, droits de l'homme sur la création, il n'ignore de rien, et quand il sera grand, il n'hésitera pas davantage sur le droit naturel, sur le droit politique, sur le droit des gens, car tout cela sort, tout cela découle avec clarté et comme de soi-même du christianisme. Voilà ce que j'appelle une grande religion : je la reconnais à ce signe, qu'elle ne laisse sans réponse aucune des questions qui intéressent l'humanité (1). »

Nous aimons à relire ces paroles d'un maître et d'un ami, qui, à son jeune âge, s'était nourri des vérités chrétiennes, et qui peutêtre les eût encore goûtées si les épreuves de la vie s'étaient prolongées pour lui. Il faut se garder sans doute de prêter à ceux qui ne sont plus nos propres sentimens, mais il est bien permis de garder de leur âme un fidèle et complet souvenir. Même au temps où Jouffroy portait le poids du doute, lorsqu'il laissait sa plume nous dire avec complaisance comment les dogmes finissent, il eût fallu bien peu de chose pour qu'il apprît à ses dépens comment ils se perpétuent! La croyance a ses mauvais jours; ses rangs se déciment parfois, l'armée semble se fondre : elle ne saurait périr. Pour remplacer les déserteurs, pour la recruter sans cesse, n'y a-t-il pas les douleurs, les misères de ce monde, le besoin de prier et la soif d'espérance?

Laissons là ce doux et profond penseur dont nous aimons à suivre à travers le passé la lumineuse trace; revenons au grand et ferme esprit qui aujourd'hui nous occupe et à qui tant de liens et tant de souvenirs nous attachent aussi. Sans l'avoir suivi pas à pas, nous ne l'avons pas perdu de vue. Nous avons cotoyé son œuvre en essayant d'en exprimer l'esprit. Il faudrait maintenant revenir en détail sur chacune de ces méditations. Que de choses nous ont échappé ! Que de traits de lumière, que d'aperçus, que de pensées! Nous avons tout au plus rendu compte de la partie du livre où les limites de la science, la croyance au surnaturel et surtout la merveilleuse concordance entre les dogmes chrétiens et les problèmes religieux que l'homme apporte en naissant, sont exposées avec tant de grandeur et tant d'autorité. Ce que Jouffroy, dans la page que nous avons citée, indique d'un simple trait, M. Guizot l'établit par preuves convaincantes en mettant chaque dogme vis-à-vis du problème auquel il correspond. Personne encore n'avait donné à l'harmonieuse relation de ces demandes et de ces réponses un tel caractère d'evidence. Ce sont aussi deux morceaux qui demanderaient

~ (1) Mélanges philosophiques, par M. Th. Jouffroy, 1 vol. in-8°, 1833, p. 470.

un examen à part que les deux méditations sur la révélation et sur l'inspiration des livres saints. Il y a là des idées d'une rare sagesse, des distinctions qui font la juste part à l'ignorance humaine sans que le vrai caractère d'inspiration qui brille dans les saints livres. puisse en souffrir la moindre atteinte. Mais le principal honneur de cette œuvre, ce qui lui donne à la fois sa plus franche couleur et son parfum le plus prononcé, ce sont les deux dernières méditations, Dieu selon la Bible, Jésus-Christ selon l'Evangile.

Ces deux tableaux sont de style différent comme les deux sujets ic commandent. Rien de plus hardi, de plus abrupt, de plus vraiment biblique que le portrait du Dieu des Hébreux, de ce Dieu qui « n'a point de biographie, point d'aventures personnelles, » à qui rien n'arrive, chez qui rien ne change, toujours et invariablement le même, immuable au sein de la diversité et du mouvement universel. « Je suis celui qui suis. » Il n'a pas autre chose à vous dire de luimême, c'est sa définition, son histoire; nul n'en peut savoir rien de plus, comme aussi nul ne le peut voir, et malheur s'il était visible! Son regard donnerait la mort. Entre l'homme et lui quel abîme!

Aussi la distance est grande pour passer d'un tel Dieu au Dieu selon l'Évangile, de Jéhovah à Jésus-Christ. Quelle nouveauté, quelle métamorphose! Le Dieu solitaire sort de son unité; il se complète tout en restant lui-même; le Dieu courroucé dépose sa colère, il s'émeut, s'attendrit, s'humanise; il rend à l'homme son amour, il l'aime assez pour se charger lui-même de racheter sa faute dans le sang de son fils, c'est-à-dire dans son propre sang. C'est la victime, ce fils obéissant jusqu'à la mort, qu'il s'agit de nous peindre. Portrait sublime, essayé bien des fois, et toujours vainement. Dironsnous que M. Guizot a touché ce but impossible? Non, mais il a pour l'atteindre essayé de moyens heureux. Il nous fait successivement passer devant son divin modèle, en lui prêtant, s'il est permis d'ainsi parler, les poses qui laissent le mieux voir les plus touchans aspects de cette incomparable figure. Il le met en présence tantôt de ses seuls disciples, de son troupeau d'élite et d'affection, tantôt de la foule assemblée au pied de la montagne, au bord du lac ou dans le temple, tantôt de femmes pécheresses ou de chastes matrones, tantôt de simples enfans. Dans chacun de ces cadres, il recueille, il rassemble, il anime, en les réunissant, les traits épars de JésusChrist. Son talent sobre et contenu, puissant par la raison, éclatant dans la lutte, semble, au contact de tant de sympathie et d'une charité si tendre, s'enrichir de cordes nouvelles, et ce n'est pas seulement d'une éloquence émue, c'est d'un genre d'émotion plus douce et plus pénétrante que vous ressentez l'influence en achevant ces pages profondément chrétiennes.

TOME LVII. 1865.

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Aussi nous comprenons l'heureux effet que sur certaines âmes ce livre a déjà produit. Ce n'est pas jusqu'aux masses que l'influence en peut descendre. Ce style, ces pensées, cet accent, n'ont jamais aspiré aux succès populaires; mais depuis les hauteurs moyennes jusqu'aux sommets de notre société combien d'âmes flottantes à qui ce guide inattendu peut apporter secours! C'est un chrétien comme il en faut pour opérer ce genre de guérisons: il n'est pas homme du métier, il n'a ni robe ni soutane; c'est un volontaire de la foi, et de plus il déclare avoir connu lui-même les anxiétés du doute et les avoir vaincues; chacun peut donc faire comme lui. Derrière les pas d'un homme qui dans le domaine de la pensée occupe une telle place, qui a donné de telles preuves de liberté d'esprit et de haute raison, on se hasarde volontiers, et pour certains catholiques intelligens, mais attiédis, ce n'est pas un médiocre aiguillon que de voir de pareils exemples de soumission et de foi venir d'un pro

testant.

Il est encore un service plus grand, plus général, que ces Mèditations nous semblent avoir rendu. Depuis huit ou dix mois qu'elles ont vu le jour, ne vous paraît-il pas que la polémique anti-chrétienne a quelque peu baissé de ton? On aurait pu s'attendre à l'explosion de certaines colères : il n'en a rien été. Les critiques les plus véhémens se sont tenus sur la réserve, et le moyen d'attaque a surtout consisté dans la conspiration du silence. De là une sorte de détente, au moins momentanée. Bien des causes sans doute y contribuaient d'avance, ne fût-ce que l'excès même de l'attaque et les impertinences de certains assaillans; mais le livre, disons mieux, l'acte de M. Guizot a, selon nous, sa bonne part dans ce désarmement. Une profession de foi si nette et si vigoureuse ne peut pas être attaquée mollement. Pour répondre à un homme qui franchement se dit chrétien, il faut avoir pris son parti soi-même et déclarer tout haut qu'on est anti chrétien. Or aujourd'hui ceux qui le sont le plus n'aiment pas toujours à le dire. C'est quelque chose de bien tranché : notre temps se plaît aux demi-teintes; il a le goût des nuances; on lui fait baisser pavillon en arborant une couleur. Voilà comment le christianisme lui-même recueille un certain profit du peu de bruit qu'on fait autour de ces Méditations. Ce n'est pas pour l'auteur le moindre prix de ses efforts. Qu'il continue du même ton, dussent ses adversaires persévérer dans le silence; il les embarrassera de plus en plus, tandis qu'il donnera de plus en plus force et courage à ceux qui penchent du bon côté.

L. VITET.

LA

QUESTION PÉNITENTIAIRE

EN 1865

LA PEINE DE MORT. LA LIBERTÉ PRÉPARATOIRE DES CONDAMNÉS.

De l'Amélioration de la loi criminelle, par M. Bonneville de Marsangy, conseiller
à 1 cour impériale de Paris, 2 vol.

La question de la réforme pénitentiaire existe-t-elle encore? ou bien, au silence qui s'est fait autour d'elle depuis fort longtemps, a-t-on pu croire que décidément elle devait être rangée parmi celles qui, après avoir occupé un moment les esprits, disparaissent sans retour? Il n'en est rien heureusement, et je n'en voudrais d'autre preuve que le récent et remarquable ouvrage de M. Bonneville de Marsangy, conseiller à la cour impériale, où cette question revit tout entière. Pour peu que l'on veuille d'ailleurs considérer à quel point elle est liée par des rapports intimes et nécessaires aux vicissitudes et au progrès du mouvement social, on s'aperçoit aisément qu'elle est de celles que l'on peut bien négliger quelquefois, que l'on néglige même beaucoup trop, mais auxquelles, bon gré, mal gré, il faut cependant toujours revenir. L'on y revient surtout lorsque, après la période de lassitude et d'engourdissement qui suit tout essai de réforme éconduit ou avorté, on est surpris tout à coup et comme réveillé en sursaut par cette affreuse certitude que, pendant ce temps, le mal, loin de se ralentir, a pris des proportions de plus en plus effrayantes. Chacun s'émeut alors ou paraît s'émouvoir; on déplore le passé, on s'inquiète de l'avenir, on s'étonne que, soit

oubli, soit défaillance, l'œuvre utile ait subi une aussi longue et aussi fâcheuse interruption. Peut-être même est on bien près d'être convaincu que de nouveaux retards seraient de nature à compromettre gravement des intérêts de premier ordre. N'est-ce pas bien là en ellet, sinon, trait pour trait, l'histoire même, du moins. une assez fidèle image de l'évolution qui tend à s'accomplir dans les esprits? Qu'on en juge par quelques faits.

Le mouvement de réforme pénitentiaire, qui ne remonte guère au-delà de 1830, devint assez général, on le sait, vers la fin du dernier règne. Il suffirait, pour en donner une juste idée, de signaler les hommes recommandables à plus d'un titre qui s'y engagèrent alors le plus résolûment. Parmi eux, il conviendrait de citer en première ligne M. le président Bérenger, d'autant plus que, comme aux jours les plus actifs et les mieux remplis de sa vie judiciaire et politique, le problème pénitentiaire est encore aujourd'hui l'une des plus chères préoccupations de sa noble et 1 borieuse vieillesse. A côté de ce nom si respecté viendraient se placer les noms de MM. de Tocqueville et Gustave de Beaumont, entourés depuis de taut d'éclat. Il ne faudrait pas oublier non plus ceux de MM. Charles Lucas et Moreau Christophe, alors inspecteurs-généraux des prisons, qui, malgré l'extrême divergence de leurs vues, apportèrent l'un et l'autre à cette polémique le très utile tribut de lumières puisées aux meilleures sources. C'est ainsi sans doute que le mouvement finit par pénétrer dans les régions officielles et même dans les conseils du gouvernement. En France comme en Angleterre, on voulait entrer dans la voie si grandement ouverte par les États-Unis, et dans des proportions plus restreintes par quelques cantons suisses, ceux notamment de Genève et de Lausanne. Aussi dès 1847 avait-on saisi la chambre des pairs d'un projet de loi qui consacrait les plus notables et les plus utiles innovations; mais au moment même où ce projet allait être enfin soumis à la discussion, il disparut dans le tumulte et le désordre des événemens de 1848. A dater de cette époque, on rencontre bien çà et là encore quelques améliorations de détail, mais sur les réformes fondamentales rien ne s'offre qui mérite d'être signalé.

Cependant, si je ne m'abuse. les amis persévérans de la réforme peuvent enfin se croire à la veille d'un retour longtemps attendu, et il semble, en vérité, que les motifs si sérieux d'utilité sociale qui avaient inspiré leurs premiers efforts tendent à reprendre un légitime ascendant sur les esprits. Ne serait-ce pas que pendant ce long intervalle de torpeur et d'inertie on aurait du moins recueilli, d'une expérience qui, après tout, ne pouvait être entièrement perdue, cette forte et utile leçon, que l'heure des expédiens et des palliatifs est passée, et que désormais, si l'on veut en finir avec un

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