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Laissant s'évertuer le menu populaire

Après l'ombre du gueux, qui n'était que chimère.
Le vrai voleur, c'était lui-même, et par son mot,
Le drôle! il avait mis tout le monde en défaut.
Or, comme j'admirais ce tour de passe-passe
Et comme on en impose à l'ignorante masse,
A part moi je me dis: Au monde des salons
Que de semblables gens aujourd'hui nous voyons!
C'est le jeu. Par trop sot serait le personnage
Qui se présenterait sans un masque au visage
Dans ce champ de lumière et de publicité
Où vit si follement notre société.

Que veut-on? Usurper l'honneur et les hommages
Naturellement dus à la vertu des sages?

Non, ce but de nos jours n'agite point le cœur,
Et l'on a peu souci de paraître meilleur.

Ce qu'on cherche plutôt, c'est un bon artifice
Qui permette à chacun de suivre en paix son vice,
Sans craindre le scandale et les cris indiscrets
Des gratteurs de papier, des faiseurs de caquets.
Pour cela, de la règle on revêt l'apparence,

Et, sous ce domino de parfaite décence,

Dans le raout mondain, jusqu'aux derniers momens,
On donne libre cours à ses débordemens.
Ainsi, sans rappeler la vulgaire rouerie
De tous ces fins escrocs de bonne compagnie
Qui savent attirer votre or de leur côté

En se donnant des airs d'austère probité,

Que d'autres vont mettant la recette en usage!
Don Juan est marguillier et pousse au mariage;
Valère le joueur, héros du lansquenet,
Qui, sur le tapis vert de son tripot secret,
Du Pactole vingt fois épuiserait la source,

Déclare à tout venant qu'il faut fermer la Bourse.
Phryné, riche du bien de plus de vingt amans,
Et le cou ruisselant d'or et de diamans,
S'irrite à tout propos du luxe des lorettes,

Et demande un décret qui borne leurs toilettes.
Puis l'on entend l'avide et gras Trimalcion
Tonner contre la table et sa profusion;
Soulouque larmoyant flétrit la tyrannie,
Et Basile indigné crie à la calomnie.

UNE RÉFUTATION D'HORACE.

Il me souvient qu'un jour, aux plaines de l'Ombrie,
Voyageant, suivant l'us de la vieille Italie,

Dans le carrosse lourd d'un lent velturino,
Nous primes à mi-route un compagnon nouveau.
On avait dépassé d'un mille ou deux Spolète,
Ville antique et sans peur, la seule qui tint tête
Au fameux Annibal. Notre homme dans son coin,
Après force saluts, s'assit, puis, avec soin
Rangeant ses vêtemens et fermant la paupière,
S'endormit au roulis du coche dans l'ornière.
Tandis qu'il sommeillait en ronflant doucement,
J'examinai son air et son accoutrement.
C'était un beau vieillard basané de visage,
Et sur le front duquel la rude main de l'âge
Avait en sens divers tracé maint sillon creux
Et semé sur le poil plus d'un flocon neigeux.
Il portait un habit en drap de couleur brune,
Culotte également de drap, puis à chacune
Des jambes guêtre en cuir montant jusqu'au genou,
Le tout enveloppé, depuis les pieds au cou,
D'un large manteau brun. Selon toute apparence,
Le hasard du chemin m'avait mis en présence
D'un fermier du pays qui, sans autre attirail,
Allait dans quelque foire acheter du bétail.
Or, tout en regardant sommeiller le bonhomme,
A part moi je disais : Il rêve dans son somme
De vaches, de moutons et du gain qu'il pourra
Réaliser; puis, quand il se réveillera,
Le même rêve encor remplira sa cervelle,
Ne pensant qu'à grossir d'écus son escarcelle
Pour le repos final, et ses jours, un par un,

S'useront jusqu'au terme en ce cercle commun.
Après tout, n'est-ce pas une façon de vivre

Comme une autre, et qui vaut l'agrément de poursuivre
Une rime sonore en son vol vagabond,

Souvent métier de dupe?

Arrivés près du mont

Où naquit saint François, un moment l'on arrête
Pour laisser respirer après si longue traite
Les chevaux fatigués; chacun s'élance à bas
Du coche, et me voilà debout, croisant les bras,

De long en large allant, flânant. Enfin j'avise
Sur le bord de la route une superbe église,
Un pieux monument, qu'on me dit faire abri
Au toit où l'œil du saint à la clarté s'ouvrit.
La curiosité me poussant, j'y pénètre,
Et je ne tarde pas à voir et reconnaître,
Parmi les visiteurs de la sainte maison,
Mon compagnon de route en fervente oraison.
Il était à genoux et disait sa prière
D'un air si recueilli, de si grave manière,
Que j'eus vraiment plaisir à contempler un peu
Ce vieillard élevant son humble cœur à Dieu.
Bientôt le voiturin au coche nous rappelle.
Nous remontons, et l'on galope de plus belle.
Retrouvant près de moi l'honnête campagnard
Et ne lui voyant plus dans l'œil aucun brouillard,
Pour mieux passer le temps, avec lui je m'abouche,
Et m'enquiers de sa vie et de ce qui le touche.
Il me dit qu'il est fils des monts de Norcia,
Paysan ombrien, et qu'à Livourne il va

Pour langueyer des porcs; telle est son industrie.
Chaque an, à pareil jour, il quitte sa patrie
Et descend en Toscane exercer son métier.
Là, plus d'un laboureur, plus d'un riche fermier
Lui donne de l'ouvrage, et l'argent qu'il en tire,
Cent écus à peu près, qu'il met en tire-lire
Et rapporte au pays, tout le reste du temps
A vivre lui suffit. Bref, depuis quarante ans
Il n'a jamais manqué de faire son voyage.

Les révolutions au désastreux orage,

Les guerres ont eu beau passer sur son chemin,
Elles n'ont entravé ni ses pieds ni sa main.

Pourtant, quand viendra l'heure où, n'y voyant plus goutte

Et n'étant plus de force à se remettre en route,

Il faudra s'arrêter, il laissera sa part

De travail à son fils, qui, fort habile en l'art
Qu'il exerce, prendra pour lui sa clientèle
Et fera subsister sa vieillesse mortelle
Jusqu'au jour où du monde il se retirera
Non troppo s'contento della sua vita.
Cette dernière phrase à mes oreilles sonne
D'une façon étrange, imprévue, et m'étonne.
J'invite le bonhomme à me la répéter.

Lui, sans malice aucune et sans même hésiter,
Me la répète ainsi qu'il vient de me la dire.
Alors de m'écrier: O mon maître en satire,
Horace, cher Flaccus, je vous prends en défaut!
Si dans quelque recoin de ce monde falot
Vous, le fin ricaneur, vous pouviez encor vivre,
Comme je vous ferais rayer de votre livre
Cette affirmation au verbe trop certain,
Que nul n'est ici-bas content de son destin!
N'ai-je pas rencontré même en votre patrie
Un homme s'avouant satisfait de la vie?
Et cet homme n'est pas un des rares esprits
De la littérature, un des grands favoris
Du splendide Plutus, mais une âme chrétienne
Peinant au plus bas rang de la famille humaine!
Oh! la bonne leçon pour tous ces altérés
De richesse et d'honneurs profanes ou sacrés,
Tantales inquiets, sans repos et sans joie,
Dans l'océan de biens où leur âme se noie,
Et qui, chargés de croix, de places et d'honneurs,
Meurent rêvant encor de nouvelles faveurs!

Il en est un surtout de cette folle race

Que j'eusse avec mon vieux voulu voir face à face,
Et le tympan frappé de l'aveu franc et net
Que si naïvement ses deux lèvres m'ont fait!
C'est celui dont le pas, du midi jusqu'à l'ourse,
Fatigua notre France à le suivre en sa course,
Et qui disait un jour au brave compagnon
De sa gloire blåmant sa vaste ambition,
Et prétendant qu'à Dieu, si Dieu l'eût laissé faire,
Il eût ravi le trône en la céleste sphère :

« Cette place, Duroc, point n'en voudrais, ma foi!
Car elle ne serait qu'un cul-de-sac pour moi. »
Qui sait?... Peut-être bien que le terrible sire
Aurait mis quelque frein à sa fureur d'empire
En voyant tant de calme heureux sous les dehors
D'un pauvre paysan, d'un langueyeur de porcs.

AUGUSTE BArbier.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

14 mai 1865.

La partie peut-être la plus intéressante du nouveau volume que M. Guizot vient d'ajouter à ses Mémoires est consacrée à l'histoire de l'Algérie sous le gouvernement du maréchal Bugeaud. Ce récit est très instructif et fort curieux à lire au moment où le voyage de l'empereur semble devoir marquer pour notre colonie le commencement d'une ère nouvelle. Charles X avait pris Alger; la conquête de l'Algérie fut faite par le gouvernement de 1830, et l'on peut dire que ce fut sous l'énergique, active et habile direction du maréchal Bugeaud, dans la période comprise entre 1841 et 1847, que l'armée française établit notre domination sur les populations et le territoire de l'ancienne régence. Pour le gouvernement de cette époque et pour le maréchal Bugeaud se posaient dès lors les questions que l'empereur prend à cœur aujourd'hui et paraît vouloir s'appliquer à résoudre. «Je suis aussi frappé que vous de la nécessité d'agir en Afrique pendant la paix de l'Europe, écrivait M. Guizot au maréchal; l'Afrique est l'affaire de nos temps de loisir. » Vingt ans après, la même pensée préoccupe évidemment l'empereur, et nous le voyons profiter du loisir de la paix pour imprimer une nouvelle impulsion à notre entreprise algérienne. Par des extraits de la vive correspondance du maréchal Bugeaud, par une esquisse du système de guerre du maréchal qu'a tracée un de ses plus intelligens élèves, le général Trochu, M. Guizot nous fait comprendre comment fut conduite et achevée l'œuvre de la domination militaire. Tandis qu'il poursuivait la conquête avec tant de feu et de sûreté de jugement, le maréchal Bugeaud avait toujours aussi présente à l'esprit la seconde condition de notre succès, la nécessité d'une colonisation rapide et vaste. A la fin de 1845, au moment où il partait pour aller réprimer le dernier soulèvement général qu'ait pu faire éclater contre nous Abd-el-Kader, le maréchal Bugeaud écrivait au maréchal Soult : « Nous avons affaire à un peuple énergique, persévérant et fanatique; pour le dompter, il faut nous montrer plus énergiques et plus persévérans que lui, et après l'avoir vaincu plu

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