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zione o saggio istorico di un sistema metafisico. Dans ce dernier travail, Miceli entreprenait de montrer les difficultés que rencontrent tous les systèmes de philosophie sur la cosmologie, la psychologie, le droit naturel, la théologie révélée; le sien seul lui paraissait naturellement triompher de toutes les objections, et cela, merveilleux privilége! sans se mettre en désaccord avec la révélation, les mystères, l'organisation hiérarchique et même liturgique de l'église.

Les deux ouvrages de Miceli qui ont vu le jour sont loin d'avoir la même importance, ou du moins le même intérêt, pour qui veut connaître la doctrine de ce philosophe ignoré. L'un, publié de son vivant, est intitulé Institutiones juris naturalis; l'autre, imprimé seulement après sa mort, est le fruit peu mûri de trois jours de loisirs passés à la campagne. Ce dernier travail porte un titre bizarre: Ad canonicas institutiones Isagoge scientificodogmatica; ce n'est qu'une espèce d'introduction en quelque sorte improvisée aux institutions canoniques. Ni la matière ni les efforts de l'auteur pour la féconder ne nous permettraient de nous associer aux éloges dont M. di Giovanni se montre si prodigue, et comme il ne reste maintenant à faire mention que d'un dernier ouvrage, intéressant tout au plus pour les ecclésiastiques (Sposizione mistica e morale del santissimo sacrificio della messa), on est bien forcé de reconnaître que Miceli n'a pas assez fait pour percer l'obscurité dont son nom demeure enveloppé; mais enfin il est un chef d'école, il est un de ces hommes, rares après tout, qui, médiocrement pressés d'écrire, déposent leurs doctrines dans la mémoire fidèle de leurs disciples. Socrate est le chef de cette famille, et de nos jours nous avons vu un modeste professeur de philosophie dans un de nos colléges former, durant trente années et sans jamais prendre la plume, des élèves qui prétendent représenter ce qu'ils appellent eux-mêmes l'école de Lyon. M. di Giovanni fait honneur à Miceli d'avoir exposé le premier les idées qui ont prévalu en France et en Allemagne cinquante ans plus tard. Nous n'avons garde d'entrer dans ces querelles de priorité. Qui peut dire l'heure où ont commencé les plus modernes écoles? Ne les retrouve-t-on pas dans l'antiquité parfaitement reconnaissables, et le neuf dans ces matières n'est-il pas le plus souvent du vieux longtemps oublié et rajeuni après bien des siècles? Mais si l'on considère que Miceli était prêtre, qu'il voulait être orthodoxe et qu'on le tenait pour tel, on trouvera piquant sans doute de voir M. di Giovanni, avec une sincérité qui l'honore, attribuer au philosophe de Monreale des doctrines où le moins clairvoyant des hommes reconnaîtrait le panthéisme.

Il ne paraît pas que le cartésianisme ait jamais obtenu beaucoup de succès en Sicile, quoiqu'on l'y ait enseigné, comme dans tout le reste de l'Europe. Dès qu'apparut la doctrine de Leibnitz, les Siciliens l'embrassèrent avec empressement. Nicolò Cento la prit le premier pour sujet de ses leçons, et Tommaso Natale s'en fit le poète, comme Tommaso Campailla

avait été celui de la philosophie cartésienne. A Palerme Vincenzo Flores, à Catane Lionardo Gambino, à Cefalù Simone Judica répandirent les principes de Leibnitz, tandis qu'Agostino de Cosmi les propageait dans les villes de l'intérieur. Tous ces philosophes, fort renommés de leur temps, furent cependant effacés par Miceli, non-seulement à cause de son talent, mais aussi parce qu'il donnait l'exemple, après avoir renversé l'édifice de la science, de le reconstruire à nouveaux frais et de ses propres mains. Toutefois, il faut l'avouer, les matériaux de cette reconstruction n'avaient pas été extraits par Miceli d'une mine nouvelle, ni même taillés par lui : M. di Giovanni reconnaît que ce prêtre si calme, si régulier dans sa vie, si orthodoxe dans ses croyances ou du moins dans ses volontés, a la même ontologie que l'aventureux Giordano Bruno. Or qu'enseigne ce hardi penseur, si habile à revêtir les idées les plus abstraites des formes les plus poétiques? Sur cette terre d'Italie où s'étaient acclimatées les doctrines les plus diverses, celle de Pythagore dans l'antiquité, celle d'Aristote au moyen âge, celle de Platon et de ses disciples d'Alexandrie du xive au xvre siècle, Giordano Bruno soutient le panthéisme d'Élée en le revêtant de formes néoplatoniciennes; il combat sans relâche l'école, l'église, le christianisme, dont il attaque même les fondemens. Pour Bruno, le monde est un animal immense, infini, le ciel est partout, c'est le cercle de Pascal. Il n'y a jamais aucune interruption dans l'être, tout est bon en soi, la mort n'est et ne peut être qu'une transformation, une apparence, une relation des parties, puisque le tout est parfait.

A ces idées, qui conduisirent l'infortuné Bruno au bûcher, comparons celles de Miceli. Suivant lui, hors de la trinité de l'être vivant, qui est toute-puissance, sagesse et charité, il n'y a rien, car tout est en elle. L'être unique est dans une continuelle action qui se termine par des manifestations extérieures et toujours nouvelles de la toute-puissance. C'est comme l'habit dont Dieu se recouvre; les âmes sont « les modes de la connaissance expérimentale de la sagesse,» tout en soi est bon, le péché est relatif à l'ordre établi. La trinité de Miceli est, dit M. di Giovanni, une reproduction de celle qu'avaient imaginée Plotin et Proclus. Quand Miceli représente par une roue l'être vivant et agissant, ne rappelle-t-il pas encore Giordano Bruno, pour qui la naissance était une expansion du centre, la vie la durée de cette expansion, et la mort le retour des rayons au foyer? Miceli est optimiste quand il parle du monde, Bruno l'était aussi quand il disait que l'être a la capacité de toutes les formes qui peu à peu deviennent visibles dans le monde. La différence entre ces deux philosophes, c'est que le dieu de Bruno ne peut exister sans le monde, n'est sans le monde qu'une abstraction, tandis que le dieu de Miceli existe indépendamment du monde, qui n'est plus pour lui qu'un amusement et, répétons-le, qu'un vêtement qu'il prend et reprend à son gré, en sorte qu'il est et reste un Dieu personnel, libre, parfait en soi.

C'est par ses manifestes tendances vers le mysticisme que Miceli se laisse entraîner au panthéisme. Tout ce qui a été créé ne lui paraissait rien auprès de Dieu; il croyait que donner une substance aux choses ce serait en faire des êtres existant par eux-mêmes, et il se confirmait dans ses idées en relisant l'Écriture, les pères, les docteurs, les théologiens, pour qui les choses créées sont en face de Dieu comme si elles n'étaient pas, des ombres fugitives qui se dissipent comme des songes. C'est pourquoi il les appelait phénomènes, modes, jeux de la Toute-Puissance, disant et répétant qu'il n'y avait rien de réel que la Trinité. Ce qui est de la nature est dans la Toute-Puissance, ce qui est hors de la nature est dans la Sagesse et la Charité. Il semble que ce soit bien là le panthéisme. On essaie pourtant de soutenir que Miceli n'est pas tombé dans cette doctrine; on dit qu'elle consiste à considérer Dieu comme étant tout, tandis que le philosophe sicilien soutient seulement que tout est en Dieu. Saint Paul n'a-t-il pas dit: In Deo vivimus, movemur et sumus? Pour Schelling et pour Lamennais, au temps de sa farouche orthodoxie, la nature est-elle autre chose que l'ombre de Dieu jetée dans le temps et dans l'espace et se dilatant sans fin?

Nous n'entreprendrons pas ici, on le croit sans peine, de mesurer l'épaisseur du cheveu qui sépare le panthéisme de l'orthodoxie ainsi entendue, nous ne chercherons même pas à deviner ce que veut dire M. di Giovanni quand il déclare que si le panthéisme de l'Allemagne rappelle celui de Ï'Orient, le panthéisme de la France et de l'Italie sait se tenir à un Dieu personnel et intelligent. C'est sans doute cette alliance d'idées si opposées que poursuit et prétend soutenir une école toute moderne qui donne à ses adeptes le nom peut-être exact, mais dans tous les cas énigmatique pour la plupart des hommes, de panthéistes chrétiens. M. di Giovanni ne parvient pas à nous faire comprendre ce qui nous paraît si obscur, ou, pour mieux dire, il ne l'entreprend guère. Sauf quelques affirmations vagues comme celles qu'on vient de voir, il se borne à déclarer que Miceli est tout ensemble panthéiste et catholique, philosophe hardi qui ne recule pas devant les témérités de Bruno, et croyant zélé au point de méconnaître dans le mariage le contrat civil et de n'y voir qu'un sacrement. Nous sommes persuadé que la congrégation de l'Index trouverait dans les opinions du penseur sicilien pour le moins autant d'hérésies philosophiques qu'on trouve d'hérésies politiques condamnées dans le fameux syllabus dont le pape Pie IX a fait suivre sa dernière encyclique; mais ce n'est point là notre sujet.

Ce qui aurait dû éveiller l'attention de Miceli sur l'impossibilité de concilier son panthéisme avec la foi catholique, ou simplement avec la doctre de la personnalité humaine, c'est qu'il ne put pas ou ne voulut pas, dans son envrage sur le droit naturel, être conséquent à ses doctrines. Comme il avait l'ame sensible, au lieu d'appliquer à cet ordre d'idées sa théorie d'un être unique, dieu à l'intérieur, monde visible à l'extérieur, il

ne parvint pas à confondre ou, pour mieux dire, à annuler les existences finies dans le sein et la nature de l'infini. Dans les matières de droit naturel, il admet que tendre vers Dieu, c'est-à-dire vers le bonheur, est la raison de l'existence. Dès lors le bien moral n'est autre chose que le lien de la volonté humaine avec la volonté divine; en d'autres termes, il consiste dans la religion, qui est naturelle, si l'on considère Dieu comme auteur de la nature, et surnaturelle, si l'on voit en lui l'auteur de la grâce. C'est cette inconséquence qui fait toute l'originalité du livre de Miceli sur le droit naturel. Quand il parle des devoirs de l'homme envers lui-même, envers ses semblables et envers Dieu, il ne fait guère que reproduire les préceptes des philosophes antérieurs.

Il ne saurait donc occuper un rang bien élevé parmi ceux dont s'honore la pensée moderne. Sans compter qu'il ne reste catholique et humain qu'au prix d'une infidélité manifeste à ses opinions les plus chères, dans les matières philosophiques il marche toujours derrière quelqu'un disciple de Bruno pour l'ontologie, de Leibnitz dans la théorie de la monade, de Spinoza en fait de méthode, il aurait besoin d'être un écrivain de premier ordre pour faire oublier ce manque absolu d'originalité. Or, s'il pouvait à cet égard briller même au second rang, il est probable que les détenteurs de ses manuscrits eussent surmonté leurs scrupules et communiqué ces ouvrages inédits au public; il est certain du moins que M. di Giovanni, qui les a lus avec soin, n'aurait pas manqué de louer l'art d'écrire dans l'auteur dont il a pris à cœur la renommée. Miceli est donc surtout un maître savant et doux, qui a eu sur ses disciples une action réelle, forte, durable, par l'autorité de sa parole et la gravité de son caractère; M. di Giovanni, sans s'en apercevoir, assigne au penseur et au philosophe une place assez modeste en le déclarant l'égal de Gerdil et de Genovesi.

Les dialogues dans lesquels sont exposées ou résumées les doctrines de Miceli offrent une lecture agréable et facile. Le dessein d'imiter la forme antique est manifeste dans le début même de chaque entretien. A l'exemple des personnages de Platon et de Cicéron, Miceli et ses disciples commencent par des discours où éclate un sincère enthousiasme pour les beautés de la nature et des arts en Sicile. On aura beau en rabattre, c'est par cet amour profond, exagéré même, de leur pays que les Italiens se montrent surtout dignes des hautes destinées que semble leur réserver i'avenir.

F.-T. PERRENS.

V. DE MARS.

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Hier, au sortir d'une conversation comme celles que je t'ai rapportées (1), mes amis ont voulu me montrer la campagne romaine. - Il faut la voir, disent-ils, avant de raisonner sur le peuple.

Nous sommes sortis par la porte del Popolo, et nous avons suivi un long faubourg poudreux; là aussi il y a des ruines. Nous sommes entrés à droite dans l'ancienne villa du pape Jules II, demi-abandonnée. On pousse une porte vermoulue, et l'on voit une cour élégante où tourne un portique circulaire soutenu par des colonnes carrées à têtes corinthiennes; la masse a subsisté par la solidité de sa construction ancienne. Aujourd'hui c'est une sorte de hangar approprié à des usages domestiques : des paysans, des laveuses en manches retroussées vaguent çà et là. Au bord des vieilles vasques de pierre, le linge attend le battoir; un canard sur une patte regarde le riche bouillonnement de l'eau, qui, amenée jadis avec une prodigalité princière, regorge et bourdonne comme aux premiers jours; les claies de joncs, les tas de roseaux, les fumiers,

(1) Voyez la Revue du 15 décembre 1864, 1er janvier, 15 janvier, 15 avril 1865. TOME LVII. - 15 MAI 1865.

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