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furent plus promptement acceptées ni plus facilement conduites que ces négociations fondées sur un simple principe d'humanité. Nous sommes loin d'avoir épuisé toutes les questions qui, pendant ces dernières années, ont occupé notre diplomatie. Nous aurions pu citer encore les conventions qui ont supprimé les péages de l'Elbe et de l'Escaut, les traités d'extradition, les dispositions concertées pour étendre d'un pays à l'autre l'action des sociétés anonymes. Une mention est également due aux traités d'amitié et de commerce conclus avec les pays lointains, le Paraguay, la Cochinchine, le Japon, Madagascar. Ces différens actes procèdent d'un même sentiment, qui est commun à toutes les nations civilisées, et que la France semble particulièrement destinée à propager par son influence et par son exemple. Le sentiment commun dont nous parlons, c'est le sentiment de solidarité qui confond aujourd'hui les intérêts de tous les peuples. Cet instinct est si vif qu'aux époques de révolution il éclate du sein des foules et se traduit par des exagérations de langage qui le dénaturent et le compromettent. Fraternité, alliance des peuples, harmonie universelle, voilà les termes que nous entendions hier encore retentir à nos oreilles, et sous l'invocation desquels ont été commis tant de désordres, parce qu'on les jetait à l'inexpérience populaire comme on aurait mis des armes aux mains d'un enfant; mais pourquoi les foules s'en sontelles si avidement emparées? C'est qu'elles croyaient y trouver l'expression d'une idée humaine et vraie, la formule d'un intérêt général et pour ainsi dire le mot du siècle. Eh bien! sans pactiser avec des doctrines justement condamnées, sans adopter des termes dont on a si niaisement détourné le sens, n'est-il point permis d'observer que le signe distinctif de notre époque, c'est une tendance de plus en plus prononcée vers la pratique des relations internationales, d'où résulte la prédominance des intérêts économiques et commerciaux sur les intérêts purement politiques, ou plutôt la création d'une politique toute nouvelle qui, au lieu de puiser ses inspirations dans les traditions des cours et des chancelleries, s'en va au plus profond des masses chercher les conseils de sa conduite, exposée au jugement du monde entier? Cet état de choses provient simplement des immenses progrès que la science contemporaine accomplit chaque jour sous nos yeux dans le traitement de la matière. Quand les nations peuvent se visiter si facilement, se figuret-on qu'elles s'accommodent des séparations que les lois de l'ancien régime établissaient entre elles? Conçoit-on qu'elles maintiennent les barrières qui arrêtent le passage de leurs produits, et qu'elles se refusent l'une à l'autre l'hospitalité large et cordiale dont leur intérêt seul leur ferait une loi? Les chemins de fer et les paquebots,

qui ont supprimé les frontières, auront raison des passeports, des tarifs de douane, de l'intolérance et des inégalités de toute sorte qui gênent encore les rapports entre les différens pays. C'est là le problème que notre époque est appelée à étudier sous toutes ses faces, problème dont la solution doit influer non-seulement sur la prospérité matérielle, mais encore sur la condition politique et sociale du monde civilisé. Cette solution peut être considérée comme infaillible, car elle ne dépend point de conceptions idéales, qui n'enfantent le plus souvent que des mots vides de sens et qui n'aboutissent qu'à l'impuissance des révolutions; elle dépend d'engins matériels dont on mesure dès à présent la force. Le contact des peuples a donc développé l'instinct naturel de solidarité à un degré que les époques antérieures ne pouvaient connaître ni même pressentir que par des aspirations vagues et prématurées; on en trouve la preuve la plus certaine dans l'activité avec laquelle la diplomatie s'est appliquée durant ces dernières années à servir, par ses nombreuses négociations, la cause du libéralisme international.

La France, nous aimons à le répéter, est appelée à jouer un grand rôle dans l'œuvre de réforme que nous voyons s'accomplir. Le rang qu'elle occupe, l'influence qu'elle exerce, la facilité d'expansion qui n'a jamais été refusée à ses idées, l'ardeur parfois excessive qu'elle apporte à la propagande, expliqueraient suffisamment la prépondérance de son intervention civilisatrice; mais nous craindrions de nous en tenir à ces motifs généraux qui risqueraient de paraître empruntés aux partiales illusions du patriotisme. On nous objecterait que l'Angleterre et l'Allemagne ont, elles aussi, quelque droit à revendiquer la direction du mouvement. Il convient donc de justifier par d'autres raisons la prétention que l'on ose exprimer ici. La France est en possession de l'égalité civile et de la liberté religieuse : elle peut, sans faire violence à ses mœurs ni à ses lois, propager au dehors ces deux grands principes et présenter aux nations qui les attendent encore l'enseignement de son exemple. Quant à la législation industrielle et commerciale, elle a renoncé presque entièrement pour elle-même au système de la protection, et l'on a vu plus haut le parti qu'elle a déjà su tirer de la condition exceptionnelle de son tarif de douane pour amener d'autres pays à concéder des réductions de taxe qu'ils n'avaient point accordées jusqu'ici aux instances de l'Angleterre. Ainsi elle ne rencontre chez elle aucun obstacle qui s'oppose au développement le plus large des rapports internationaux. En second lieu, la réforme qu'il s'agit de poursuivre touche, par une infinité de détails, à l'organisation administrative des états. Or il est généra– lement admis, même par le témoignage de nos rivaux, que nulle

administration n'est constituée à l'égal de la nôtre. On peut prétendre, au point de vue politique, que la France est trop administrée; mais, sous le rapport du mécanisme et du personnel, l'administration française est incontestablement supérieure à toute autre. Dans les conférences postales et télégraphiques, ce sont nos principes et nos modes d'application qui ont été le plus fréquemment adoptés pour servir de règles communes. Cette observation est essentielle comme preuve de l'influence qui est réservée à l'action de notre diplomatie, car, dans le règlement concerté des intérêts matériels, on se présente avec une grande autorité quand on apporte le meilleur procédé d'exécution.

Enfin le gouvernement français est poussé dans cette voie de réformes par une nécessité de premier ordre. A défaut des libertés politiques qu'il ajourne encore, l'empire voudrait du moins donner au pays les satisfactions morales et matérielles qui s'attachent à une action incessante au dehors et au développement de la richesse nationale. Affranchir le travail et le commerce, accroître les forces productives et les moyens d'échange, telle est la mission qu'il s'attribue, pour laquelle il est armé des prérogatives les plus étendues, et dont le succès a jusqu'ici récompensé tous les actes. Il y trouve à la fois honneur et profit; il sert les intérêts de la France ainsi que son prestige. Dans l'accomplissement de ces réformes, qui méritent de ne point rencontrer parmi nous de contradicteurs ni de détracteurs, il a été parfaitement secondé par l'excellente organisation administrative que les régimes précédens lui ont léguée et par le concours de la diplomatie. Sans oublier ce qui nous manque, sachons ne pas méconnaître ce qui a été fait d'utile dans l'étude des questions internationales qui intéressent tous les peuples, et qui ouvrent à la propagande libérale de notre pays une nouvelle carrière.

C. LAVOLLÉE.

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Au conclave de Venise, Consalvi avait joué un rôle volontairement effacé (1), pas aussi effacé cependant qu'il nous le donne à entendre dans ses mémoires. Par modestie ou par convenance, le secrétaire du sacré-collége n'a pas jugé à propos de tout dire. Les cardinaux italiens, bons juges en ces matières, ont toujours pensé qu'à l'ombre des portiques de Saint-George, pendant les ennuyeux loisirs du conclave, une pieuse et discrète liaison, telles que les cloîtres en voient parfois éclore, s'était formée entre Chiaramonti et son futur secrétaire d'état. Suivant eux, Consalvi, sans le consulter, presque sans le prévenir, comme plus tard aussi sans s'en vanter, aurait fait une douce violence à son ami en préparant malgré lui, et pour ainsi dire à son insu, son exaltation au siége de Saint-Pierre. Toujours est-il qu'à partir de ce moment, sans qu'aucun nuage 1) Voyez la Revue du 1er avril.

même passager vînt jamais la troubler, leur intimité resta toujours parfaite. Entre le souverain pontife et son ministre, la communauté des sentimens et des vues devint telle qu'on a peine désormais à les distinguer l'un de l'autre. Pour s'expliquer Pie VII, il faut donc avoir d'abord bien compris Consalvi. Ensemble ils forment comme un pape en deux substances. Le pape extérieur, Consalvi, a tenu la plus grande place dans les négociations relatives au concordat. A Paris, sur le théâtre de l'action, par sa digne attitude, par sa conduite ferme et douce vis-à-vis du premier consul, par ses façons d'agir avec les autres négociateurs, l'habile délégué du saint-père a plus que son maître lui-même contribué au succès de l'importante transaction que nous entreprenons de raconter. C'est pourquoi nos lecteurs nous pardonneront sans doute la nécessité où nous sommes de leur faire faire un peu plus ample connaissance avec un si gracieux personnage. Aussi bien un certain effort est nécessaire pour se bien représenter, en l'an de grâce 1865, dans notre France impériale et démocratique, la figure que faisait de l'autre côté des monts au milieu de la société italienne du siècle dernier un cardinal resté libre de toute espèce de lien ecclésiastique, et que rien, par exemple, n'empêchait de se marier, ce que la plupart avaient grand soin d'expliquer aux dames. Il y a toujours eu plus de chemin qu'on ne pense de Paris à Rome. Les voies ferrées, en abrégeant matériellement les distances, n'ont pas, il s'en faut, effacé encore toutes les différences. Elles auront, nous le craignons, plus vite réussi à transpercer l'épais rideau des Alpes qu'à soulever le voile léger qui nous dérobe quelques-uns des traits les plus caractéristiques de nos proches amis les Italiens. La situation créée chez nous pour les hommes d'église par le mouvement politique et social de 89 nous gêne un peu pour admettre sans quelque étonnement, voisin peut-être du scandale, les conditions d'existence autrement larges et faciles qui ont toujours été, qui sont encore celles du clergé en Italie et particulièrement à Rome. Chez nous, depuis la révolution française, le sacerdoce catholique se recrute, s'instruit et vit à part. Il a garde de se mêler au monde, et le monde non plus ne le presse point trop de se mêler à lui. Certes les prêtres distingués, aimables et recherchés ne manquent point dans nos diocèses. Un tact sûr et délicat les avertit toutefois que leurs plus fervens amis seraient étonnés de les voir prendre part au-delà d'une certaine mesure bien restreinte, soit aux plaisirs les plus innocens, soit aux affaires les plus indispensables. Libre à eux de juger aussi sévèrement qu'ils voudront cette société qu'ils ont à peine eu l'occasion d'entrevoir. S'ils la maudissent du haut de la chaire, elle ne le prendra pas en mauvaise part. Une seule défense leur est tacite

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