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ceptation des démissions du prince Napoléon et d'une mesure aimable envers la presse, à laquelle l'impératrice a eu la gracieuse coquetterie d'attacher son nom. Les peines administratives appliquées aux journaux ont été levées. Espérons que cette amnistie est le prélude d'une politique plus libérale, et que le jour n'est point éloigné où la presse, recouvrant ses droits, recevra un traitement plus digne de l'esprit français que celui auquel on l'a soumise depuis treize ans. L'excursion de l'empereur a eu ce premier et heureux résultat de ranimer les espérances de nos colons algériens. Nous allons voir sous peu les fruits politiques du voyage de l'empereur. L'Algérie a coûté cher sans doute à nos finances, elle nous a coûté si cher qu'elle a guéri la France de l'envie de se faire une autre Algérie à deux mille lieues de ses rivages; mais depuis longtemps la France a pris son parti de garder cette colonie, qui est si voisine d'elle, qui lui fait visà-vis sur l'autre bord de la Méditerranée, et à laquelle nous lient de si beaux souvenirs militaires. L'Algérie, c'est la jeunesse de l'armée française contemporaine, et il n'est pas de sacrifices que nous ne nous imposions volontiers pour porter au degré de prospérité dont elle est capable cette France d'Afrique. Aussi attendons-nous avec confiance l'exposé des projets que l'empereur doit avoir préparés. Déjà avec le voyage impérial a coincidé la création d'une société destinée à entretenir un courant de capitaux entre la métropole et la colonie; l'état, nous ne savons pourquoi, demande à cette compagnie un prêt de 100 millions qu'il lui remboursera en cinquante annuités. Voilà encore un de ces emprunts indirects que le gouvernement préfère, sans qu'on en voie la raison, aux emprunts directs. La discussion nous éclairera sans doute sur le mérite d'une combinaison qui ne se liait pas nécessairement avec une compagnie créée pour commanditer la production algérienne.

Un autre souverain s'est mis récemment en voyage: nous voulons parler de l'empereur d'Autriche et de son excursion en Hongrie. Nous n'avons point à regretter la bonne opinion que nous avions eue des résultats probables de ce voyage. Il paraît que les Hongrois et l'empereur d'Autriche se félicitent mutuellement de cette cordiale et bruyante rencontre. Le «eljen,» le hourrah de l'enthousiasme hongrois, accueille l'empereur, qui entend sans s'effaroucher le rhythme guerrier de la marche de Rakokczy. L'empereur s'est entretenu avec les premiers citoyens du pays, réunis en députation; on a remarqué, entre autres, sa conversation avec M. Deak, l'homme en qui se personnifie la tradition des droits politiques de la Hon grie. On parle d'amnistie, de réconciliation, de l'intention manifestée par l'empereur de se faire couronner roi de Hongrie. La cérémonie du couronnement est précédée de l'acceptation de la loi fondamentale du pays, du diplôme: ainsi le veut la tradition hongroise. Parler de couronnement, c'est annoncer quelque chose qui ressemble à l'acceptation du diplôme, au pacte, renouvelé à chaque sacre, qui faisait de la vieille royauté hon

groise une royauté consentie, une monarchie limitée. Si l'accord peut se conclure, les meilleurs patriotes de Hongrie n'hésiteront point à accepter. des amendemens aux dispositions de leurs vieilles lois, qui ne sont plus compatibles avec l'époque actuelle. Ce qui est évident d'après les correspondances de Pesth, c'est que des deux parts on veut le rapprochement, on est pénétré de l'esprit de conciliation et l'on croit toucher à une ère nouvelle. Il y a bien un doute qui çà et là surnage, la crainte qu'au sein du cabinet une influence trop germanique, et que les Hongrois regardent comme leur étant hostile, ne réussisse à neutraliser les bonnes dispositions de l'empereur. Nous espérons, quant à nous, que c'est cette influence qui sera paralysée. Si la réconciliation s'opère, l'empereur d'Autriche y gagnera sans doute beaucoup : il aura fait là une campagne plus utile aux intérêts de sa puissance que celle des duchés, il aura noué au cœur même d'un des plus valeureux de ses peuples une alliance intime qui vaut mieux que toutes les compensations que l'Autriche pourrait solliciter ou espérer de la Prusse; mais la Hongrie aurait à tirer, elle aussi, grand profit de cet heureux changement. En s'unissant à l'empereur, la Hongrie prendra certainement une large part dans le gouvernement constitutionnel de l'empire. La Hongrie, les événemens de l'histoire et la géographie l'ont ainsi voulu, ne peut entrer en relations avec l'Europe qu'à travers le système autrichien; en acceptant cet intermédiaire, la Hongrie le pénètre, s'en empare, et peut donner la main à l'Europe libérale. C'est donc une belle occasion qui s'offre à elle aujourd'hui, et personne ne la blâmera, si elle ne la laisse point échapper.

En Prusse, M. de Bismark est toujours en scène. Cet homme d'état intéresse les spectateurs étrangers par la singularité de ses mouvemens. On est frappé de la vivacité et du contraste de ses actes. A de certaines heures, il a l'aspect d'un homme d'état tout à fait moderne; en d'autres momens, il a l'air d'un ministre gothique, et on lui décernerait volontiers, en guise de couronne, une perruque à marteaux. Après telle action de lui qu'on est forcé de blâmer absolument, vient de sa part telle démarche que l'on approuverait de bon cœur. Nous n'avons plus à parler de sa politique à propos du Slesvig-Holstein; nous la laissons apprécier par les grands politiques qui ont déployé tant d'habileté et de finesse pour laisser écraser le pauvre Danemark, et qui doivent être aujourd'hui très fiers en effet d'avoir si bien travaillé pour le roi de Prusse. M. de Bismark vient de compliquer d'une algarade personnelle le lent et incompréhensible imbroglio qu'il joue avec la seconde chambre prussienne. La chambre a rejeté son projet d'emprunt pour les dépenses de la campagne des duchés et n'a point approuvé ses plans maritimes. On sait que depuis 1848 l'idée d'avoir une flotte fédérale est le jouet favori du libéralisme allemand. M. de Bismark montre le jouet et promet Kiel, pensant devenir populaire; à d'autres! on ne veut pas une marine de sa façon, et la chambre, sur la propo

sition d'une commission spéciale, vote un tout autre système que le ministre refuse à son tour. Altercation, gros mots. M. de Bismark a en face de lui un brave homme, un honnête professeur de médecine, M. Wirchow, président de la commission. M. de Bismark le compare à l'homme qui donna le premier coup de marteau sur le navire démoli avant d'être achevé que le parlement de Francfort avait commencé à construire pour doter l'Allemagne d'une marine fédérale. M. Wirchow tient la comparaison pour offensante et y répond par un démenti. Voilà M. de Bismark enchanté; il se souvient qu'il est major de milice en même temps que ministre; l'honneur militaire lui prescrit d'obtenir une réparation par les armes; il propose à M. Wirchow un duel. La chambre interdit à l'honorable député de répondre à la provocation ministérielle, et M. de Bismark se venge en mettant aux trousses de M. Wirchow des agens de police en permanence qui suivent l'honnête docteur jusqu'à la porte de l'hôpital où il va faire sa clinique. Tout cela devient incompréhensible à force de puérilité, d'absurdité, de mauvais goût. Un homme d'état qui a les yeux sur l'Europe et que l'Europe regarde peut-il compromettre ainsi de gaîté de cœur son caractère dans de pareilles misères? On hausse les épaules. Changeons de spectacle, et nous verrons M. de Bismark agir en homme politique éclairé et distingué : c'est lorsqu'il a la pensée de négocier un traité de commerce entre le Zollverein et l'Italie, et que, se sentant arrêté par les fins de non-recevoir formalistes des petits gouvernemens allemands, qui ne veulent point reconnaître le roi d'Italie, il combat dans une circulaire remarquable une prétention ridicule et contraire aux intérêts ainsi qu'au bon sens des peuples allemands.

Il faut louer le gouvernement italien de n'avoir fait aucune concession aux offensantes pointilleries des princes légitimistes d'Allemagne. Le souverain de l'Italie ne peut dissimuler dans le protocole d'un traité le titre qui lui a été décerné par la nation, et sous lequel la nation a voulu ellemême placer ses actes publics. On concevrait que l'Italie eût quelques condescendances en matière de formes dans une négociation semblable à celle qu'elle poursuit avec le saint-père, dans laquelle de grands avantages moraux peuvent être obtenus au prix de quelques ménagemens pour des scrupules respectables; mais l'Italie ne doit que le dédain à de petits princes qui affectent de ne point la reconnaître, et qui se piquent d'être plus orthodoxes en fait de légitimité que le chef de leur propre ligue commerciale, que le roi de Prusse en personne.

Aux États-Unis, la pacification est définitivement achevée. La capitulation de Kirby Smith a rétabli l'autorité fédérale dans les états situés à l'ouest du Mississipi qui s'étaient unis à la rébellion séparatiste. La république a maintenant deux grandes affaires intérieures : le jugement de Jefferson Davis et des autres principaux rebelles, et la réorganisation sociale et politique des états reconquis à l'Union. Les procès politiques qui

vont commencer sont la triste suite de la guerre civile. Il faudra déplorer les arrêts prononcés contre les accusés, si par leur sévérité ils viennent à ressembler à des représailles inspirées par une passion de vengeance : l'intérêt politique de ces procès résidera surtout dans la fixation judiciaire des devoirs de fidélité qui lient les citoyens envers l'Union à l'encontre de ce droit de séparation dont la revendication a failli dissoudre la grande république. Dans cette épreuve judiciaire, ce qui doit être frappé de mort, c'est non des hommes, mais la doctrine des state rights poussée jusqu'au droit d'insurrection, doctrine destructive de la nationalité américaine. Quant à la réorganisation politique et sociale, à la reconstruction, comme on dit aux États-Unis, c'est une œuvre bien difficile, et qui ne sera pas promptement achevée. La tendance et le désir manifeste de M. Johnson seraient d'organiser dans les états confédérés les élémens tels quels de gouvernement qui peuvent y subsister encore. Ainsi dans la Virginie, dans la Caroline du nord, il provoque l'élection de conventions qui auront à se prononcer sur les nouvelles constitutions à donner à ces états. Les difficultés de cette tâche se révèlent tout de suite. M. Johnson n'a appelé que la population blanche à choisir les membres de ces conventions. C'était peut-être la façon d'agir la plus conservatrice; mais l'exclusion des noirs dans ces élections a excité les protestations violentes de l'ancien parti abolitioniste et de son orateur le plus populaire, M. Wendell Philips. Les dispositions témoignées par les électeurs de la Virginie et de la Caroline ne sont point encourageantes; on assure que les électeurs virginiens repoussent de la candidature les citoyens qui, durant la guerre, étaient restés fidèles à l'Union, et ne portent leurs voix que sur des séparatistes. Il y aura bien des chocs, bien des tiraillemens, et on ne peut guère espérer d'arriver à la reconstruction des états qu'après de nombreux et lents tåtonnemens. Quelques hommes distingués, le général Sherman entre autres, comme il vient de le déclarer dans un intéressant exposé qu'il a fait de ses dernières opérations devant la commission d'enquête de la guerre, avaient cru tout d'abord que la reconstruction aurait pu se faire, en même temps que les capitulations militaires, dans un sincère élan de réconciliation cordiale. Le général Sherman assure que les généraux confédérés avec lesquels il a été en contact paraissaient avoir pris leur parti de la défaite de leur cause, et se montraient disposés à une réconciliation semblable; mais ces beaux mouvemens, en admettant qu'ils puissent avoir des effets durables, ne sont possibles qu'à un moment : une fois l'occasion passée, avec la force d'impulsion qui lui était propre, elle ne se représente plus. Et ici l'occasion s'est évanouie devant cet attentat de Booth, qui a réveillé toutes les passions et toutes les haines, et qui a été si funeste au sud.

E. FORCADE.

ESSAIS ET NOTICES.

TROIS FEMMES DE LA RÉVOLUTION (1).

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Trois publications nouvelles, les livres de M. de Lescure sur la princesse de Lamballe, de M. Chéron de Villiers sur Charlotte Corday, et d'un biographe anonyme sur la marquise de Montagu, -— ont rappelé l'attention sur trois femmes qui donnèrent à l'une des plus tragiques époques de notre histoire les plus nobles exemples de force morale. Embellies par le double charme de la grâce et de la bonté, elles paraissaient réservées à la vie la plus tranquille, la plus heureuse, quand, précipitées au milieu de terribles catastrophes, elles passèrent en un jour de la timidité de l'enfant au stoïcisme du héros. L'une, victime volontaire, qui s'offre en holocauste pour apaiser le courroux du ciel, subit avec une angélique douceur le martyre du dévouement et de l'amitié; l'autre sacrifie sa vie dans l'espoir d'arracher la France à une tyrannie sanguinaire; la troisième doit son illustration récente à des épreuves quelquefois aussi cruelles que la mort même, à l'exil et à la pauvreté. Dans chacune de ces destinées, on retrouve les contrastes qui marquèrent alors l'histoire de la société française tout entière, d'abord des songes enchanteurs, puis un affreux réveil. Qu'on remonte aux jours qui précédèrent ce terrible moment du réveil. Dans la bourgeoisie aussi bien que dans la noblesse, en France comme à Paris, et à Paris comme à la cour, on n'avait à la bouche que les mots de justice et d'honneur, de tolérance et de liberté. C'était un vrai délire de bienveillance et d'espoir. « Comme l'astrologue de la fable, on tombait dans un puits en regardant les astres (2). » La princesse de Lamballe à Trianon, Charlotte Corday dans l'Abbaye-aux-Dames de Caen, Mme de Montagu à l'hôtel de Noailles, partageaient les mêmes illusions sur l'avenir de l'humanité. Le temps semblait venu où disparaîtraient tous les préjugés, toutes les hontes et toutes les misères. Mme de Lamballe était grande-maîtresse d'une loge maçonnique dont Marie-Antoinette disait : « Dieu y est dans toutes les bouches; on y fait beaucoup de charités. On élève les enfans des membres pauvres ou décédés, on marie leurs filles. Il n'y a pas de mal à tout cela... Je crois, après tout, qu'on pourrait faire du bien sans tant de cérémonies; mais il faut laisser à chacun sa manière pourvu qu'on fasse le bien, qu'importe (3)? » La bienfaisance, la sensibilité, étaient alors à la

(1) La Princesse de Lamballe, par M. de Lescure; - Marie-Anne-Charlotte de Corday d'Armont, par M. Chéron de Villiers; Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu.

(2) Vie de la princesse de Poix, 1 volume tiré à peu d'exemplaires, par la vicomtesse de Noailles, née en 1791, morte en 1851.

(3) Lettre de Marie-Antoinette à sa sœur Marie-Christine, 26 février 1781.

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