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CHAPITRE II I.

Combien il y a de chofes à confidérer dans la prononciation Oratoire. LA Déclamation, ou comme par

lent les Rhéteurs, l'Action, eft une forte d'eloquence du corps, une expreffion qui confifte dans les geftes· & dans les tons de voix: Eft actio quafi corporis quædam eloquentia, cùm conftet motu atque voce.

Cette efpece d'elocution a, auffibien que le langage des mots, fes elémens. Elle a fa naïveté, fa richeffe; elle a fon harmonie particuliere avec chaque objet, & générale avec tout le fujet; elle a fa mélodie, fes nombres, fes variations, fa décence; enfin elle a fes défauts & fes excès.

Il y a des tons & des geftes fimples dont les autres font compofés. Il y en a qui font compofés plus ou moins,

& dont les combinaisons font plus ou moins aifées. On peut même dire qu'il y a pour le langage d'action non-feulement les périodes & les phrafes, mais les mots, les fyllabes, les lettres. Mais ce qui eft trèsfingulier dans ce langage, c'eft que d'un côté tous les hommes, de quelque âge & de quelque condition qu'ils foient, en ont l'intelligence; & que d'un autre côté chaque homme en particulier a,le fien, qui lui eft auffi propre, auffi perfonnel que fa propre existence. Oui, nous avons chacun nos geftes, nos tons, comme nous avons notre extérieur nos traits, notre taille, notre voix; & nous les avons auffi différens de ceux des autres hommes, que nous fommes nous-mêmes différens d'eux, par ce caractère de propriété qui fait que Pierre n'eft pas Paul, & que Paul n'eft pas Pierre. Ainfi le langage d'action de Pierre n'eft nullement celui de Paul; celui de Paul n'eft point celui de Pierre, & quoique fondés fur

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des élémens communs, ces deux fara gages font auffi différens au moins que la Langue Françoife, l'Italienne PEspagnole le font de la Latine, dont elles ont tiré la plupart de leurs mots.

Tout Orateur a donc fon gefte qui eft à lui & à lui feul. Cette propriété d'expreffion lui fait parler d'une ma-niere propre la langue qui appartient à tout le monde, & le met en etat de s'exprimer avec une forte de nouveauté, en fe fervant de mots qui n'ont rien de nouveau. C'est ce charme de nouveauté qui nous attache quelquefois à un Prédicateur plutôt qu'à un autre, à cet Acteur plutôt qu'à celui-ci. Donnez les mêmes chofes à dire & le même rôle à jouer à deux hommes différens. L'un nous charme, l'autre nous ennuie. C'eft que l'un joint au langage des mots un langage d'action qui eft clair, précis, naïf, & que l'autre n'a que des geftes vagues, faux, ou d'un fens peu energique.

lly a trois fortes de Geftes; le

uis qui repréfentent par imitation, comme quand on contrefait la démarche de quelqu'un ou fes tons: on peut les nommer imitatifs. Il y en a d'autres qui ne font que défigner un lieu, une chofe, une perfonne: ils font indicatifs. Enfin il y en a qu'on pourroit appeller affectifs, parce qu'ils peignent les affections de l'ame, & qu'ils en portent l'impreffion dans ceux qui les voient.

Le Gefte imitatif eft plus fouvent dans le comique, que dans le tragique. Il n'eft pas d'un homme grave & décent de contrefaire les geftes, ni les tons de qui que ce foit; parce que dans ces imitations il y a toujours quelque trait qui décele le défaut de gravité, & qui avertit de la parodie.

Le Gefte indicatif n'exprime que la pensée: il ne fait que montrer l'objet fur lequel il veut que le fpectateur porte fon attention.

Enfin le Gefte affectif eft le tableau de l'ame. C'est lui qui fert la nature,

quand elle veut fe développer elle même, & qu'elle fe livre toute entiere aux impreffions qu'elle reçoit. C'est ce gefte qui eft la vie du difcours, & qui feul fait triompher l'Eloquence. I contient toutes les attitudes du corps & tous fes mouvemens, fans nulle exception. Un Ora-teur en chaire ne doit pas être indif-férent, même fur l'arrangement de fes pieds qu'on ne voit pas. C'eft de leur difpofition que dépendent fou-vent la fermeté, la nobleffe, la gracede tout fon maintien.

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par

Il en eft de même des Tons de: voix, qui fe nuancent & fe graduent ar les plus petites différences, par les demi-tons, les quarts de tons, quelquefois par des divifions que le calcul mufical ne fauroit atteindre.. Ordinairement la voix de l'Orateur fe renferme dans la quinte. Elle n'en fort que dans les eclats, lorfqu'il s'agit de porter les plus grands coups. C'est ce que les Latins appelloient rocis contentio. Que d'art & de foin

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