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NOTICE.

Le Mariage forcé est la seconde de ces pièces intitulées comédies-ballets, qui ont tant servi à rapprocher Molière du Roi et contribué à sa faveur peut-être plus que ses autres pièces. Il fut représenté pour la première fois le mardi 29 janvier 1664, « devant le Roi, dans l'appartement bas de la Reine mère (au Louvre) 2; » on pourrait dire : devant le Roi et par le Roi; car le Roi y figurait sous le costume d'un Égyptien.

Cette combinaison bizarre, où le Roi était spectateur de la comédie, et danseur dans le ballet, se retrouve souvent alors; quelques jours plus tard, le 13 février, Louis XIV dansait encore, chez son frère, au Palais-Royal, dans un autre ballet, précédé d'un prologue récité par trois comédiens de l'Hôtel de Bourgogne. Voici l'analyse que le P. Ménestrier nous donne de ce prologue; rien n'est plus propre à faire ressortir tout ce que Molière tentait d'introduire de vérité dans ce genre de fiction absolument conventionnel, presque toujours

1. Voyez au tome III la Notice des Fácheux, p. 3. 2. Registre de la Grange, p. 62.

3. Floridor (Mercure), Mlle des OEillets (Pallas), Mlle Montfleury (Vénus): voyez la Muse historique de Loret, lettre du 16 février.

4. Des Ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre, 1682, in-12, p. 260 et 261. Ce qui est remarquable, c'est que le P. Ménestrier choisit ailleurs (p. 265 et 266) comme exemple le ballet du Mariage forcé, et en fait une analyse assez longue, sans paraître soupçonner que d'autres de sa profession sont beaucoup moins indulgents pour la comédie en général et pour Molière en particulier. Il a, au reste, gardé l'anonyme sur le titre du livre; mais une note de l'éditeur (à la suite du privilége) le lui attribue en termes exprès.

pastoral, allégorique ou mythologique, c'est-à-dire plus ou moins faux : « Au ballet des Amours déguisés dansé par Sa Majesté, au mois de février, l'an 1664, le théâtre s'ouvrit d'abord par un combat de deux différentes harmonies, la plus forte composée des Arts et des Vertus qui suivent Pallas, et la plus douce des Grâces et des Plaisirs qui accompagnent Vénus. Cependant ces deux déesses prenant le parti l'une du plaisir, et l'autre de la vertu, entrent elles-mêmes en contestation. Mercure, qui tâche de les accorder, leur propose de prendre le Roi pour arbitre de leur différend toutes deux l'acceptent avec une égale satisfaction; mais Pallas, qui connoît l'avantage qu'elle a dans le choix d'un tel juge, insulte à sa rivale, et après lui avoir fait remarquer combien Sa Majesté par toutes ses actions se déclare ouvertement pour le parti de la vertu, la laisse dans la confusion. » A la suite de ce prologue venait le ballet où figurait le Roi.

Cette œuvre, où l'Hôtel de Bourgogne essayait encore de lutter contre la faveur croissante de Molière, avait pour auteur le président de Périgny, lecteur du Roi, celui-là même à qui Bossuet succéda comme précepteur du grand Dauphin et qu'on a regardé comme l'auteur principal du Journal de Louis XIV et de ses Mémoires de 1666 et 16671. Ce n'était pas seulement à Molière qu'il faisait concurrence dans ce ballet, c'était à Benserade, qui le lui fit sentir par une épigramme contre les Amours déguisés1.

Il y avait bien encore un peu d'allégorie dans le ballet du Mariage force; mais plusieurs des personnages du ballet et la comédie qui s'y mêle étaient empruntés à la plus franche réalité. A la cour, le bon accueil ne pouvait être douteux. Une seconde représentation, celle que vit Loret, eut lieu, dès le sur

1. Voyez M. Ch. Dreyss, les Mémoires de Louis XIV, tome I, p. xxxix et suivantes.

2.

Ami lecteur ou président, n'importe,

La mascarade est belle et vous l'entendez bien :
Vos Amours déguisés le sont de telle sorte,

Que le diable n'y connoît rien.

Voyez l'Histoire du ballet de cour de M. V. Fournel, dans le tome II des Contemporains de Molière, p. 195.

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lendemain, au Louvre; puis d'autres le lundi 4 et le samedi 9 février, au Palais-Royal, chez Madame. Quatre représentations en douze jours et devant un public qui sans doute ne se renouvelait guère, étaient un succès marqué, quoique les succès de ce genre fussent assez ordinaires dans les ballets où le Roi avait un rôle : presque toujours, il y figurait plusieurs fois de suite.

Il paraît que, pour cette pièce encore, Molière eut le mérite de servir promptement un Roi qui n'aimait pas à attendre; c'est ce que peut faire conjecturer au moins le nom d'impromptu que Loret donne au Mariage forcé:

Cette pièce assez singulière

Est un impromptu de Molière 1.

Le succès fut relativement moins grand à la ville quand on y représenta le Mariage forcé, quoique le ballet accompagnât la pièce. Voici, d'après le Registre de la Grange, la liste des représentations :

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1. La Muse historique, lettre du 2 février 1664. On voit que Loret arrive enfin à écrire correctement le nom de celui qu'il a appelé si longtemps Molier. C'est du reste l'occasion de remarquer que ceux qui écrivaient alors le nom de cette dernière façon étaient plus excusables qu'il ne semblerait d'abord; ils ne l'altéraient pas pour l'oreille Molier ou Mollier et Molière, Ytier et Ytière se prononçaient de même; on a des preuves certaines que le musicien Louis de Mollier, qui signait ainsi, était pour les contemporains un homonyme parfait de Molière : voyez le Dictionnaire de Jal.

Douze représentations étaient peu pour une pièce nouvelle, surtout avec l'attrait « du ballet et des ornements. » C'est probablement, du reste, ce coûteux attrait qui aura déterminé le théâtre à arrêter les représentations après la douzième la dépense était considérable1, et la recette ne dé

1. Voici quels étaient les frais selon le Registre de la Grange (p. 62). Toutes ces dépenses, par exemple les bas de soie, les escarpins, les habits, n'étaient pas journalières; mais ce n'en étaient pas moins des frais extraordinaires pour ce temps.

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• Non pas douze violons proprement dits, mais une symphonie de violons, violes (altos) et basse (violoncelle). La musique du Mariage forcé étant généralement écrite à cinq parties, l'exécution complète exigeait le quintette à cordes voyez, dans l'édition de M. Ludovic Celler (ci-après indiquée), la note B de la page 23. Une harmonie de hautbois et bassons, facile à retrancher (voyez à l'autre colonne, 3 ligne), pouvait, certains grands jours, renforcer le petit orchestre. C'est ainsi que deux dessus de hautbois et deux bassons faisaient partie de la bande des vingt et un petits violons du Roi; l'un des hautbois fut André Philidor, l'auteur de la collection dont nous allons parler; et l'un des bassons, son frère cadet, Jacques: voyez le travail de M. E. Thoinan, cité page II, note 1.

b Un musicien (violon, flûte ou hautbois) pour jouer la partie principale de la longue ritournelle qui précède le Récit de la Beauté (voyez ci-après, p. 13) et sans doute faire valoir d'autres passages encore.

e Probablement les feux de Beauchamp, directeur de la musique et de la dan se; des frais de copie pour la musique se seraient élevés plus haut, Ailleurs la Grange a encore porté une somme de 550 t donnée à Beauchamp pour la mise en scène du ballet: voyez ci-après, p. 12, note 2, et p. 74, note 4. d Voyez la note a, ci-dessus.

• Brécourt ne quitta la troupe de Molière, pour passer à l'Hôtel de Bourgogne, qu'à Pâques suivant (1664), et ne dut rien toucher pour le rôle de premier Docteur qu'il joua jusqu'au 11 mars. Peut-être est-il porté ici « pour la fourniture des pierreries, » comme il le fut plus tard, en 1670, dans un compte de la cour relatif au Bourgeois gentilhomme: voyez ce compte, publié par M. Moland, p. 364 de son livre sur Molière et la comédie italienne.

/ Tailleur.

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