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CLÉANTE.

Ah! mon frère, arrêtez,

Et ne descendez point à des indignités;

A son mauvais destin laissez un misérable,

Et ne vous joignez point au remords qui l'accable: 1950
Souhaitez bien plutôt que son cœur en ce jour
Au sein de la vertu fasse un heureux retour,
Qu'il corrige sa vie en détestant son vice
Et puisse du grand Prince adoucir la justice,
Tandis qu'à sa bonté vous irez à genoux
Rendre ce que demande un traitement si doux.

ORGON.

Oui, c'est bien dit: allons à ses pieds avec joie
Nous louer des bontés que son cœur nous déploie.
Puis, acquittés un peu de ce premier devoir,

1955

Aux justes soins d'un autre il nous faudra pourvoir, 1960 Et par un doux hymen couronner en Valère La flamme d'un amant généreux et sincère.

pas, je crois, bien fondée, et, avec plusieurs bons juges, parmi lesquels j'aime à nommer mon ami Étienne Arago, si entendu aux choses du théâtre, je pense qu'il n'était guère possible d'en trouver un autre, et que, la situation étant donnée, c'était même le seul qui fût vraisemblable historiquement. La donation faite par Orgon à Tartuffe étant régulière, on ne voit pas trop comment Orgon s'en tirerait devant les tribunaux; et pour sauver son bien, celui de sa famille, comme pour punir Tartuffe, il ne faut pas moins que l'intervention de celui-là seul qui est au-dessus des lois, de Louis XIV. Légalement Tartuffe restait impuni; une lettre de cachet seule en pouvait faire justice. D

1.

ORGON, à Tartuffe, que l'Exempt emmène.

Hé bien, etc.

SCÈNE DERNIÈRE.

MADAME PERNELLE, orgon, elmire, MARIANE, CLÉANte, valère,

DAMIS, DORine.

CLÉANTE.

Ah! (1734.)

FIN.

APPENDICE AU TARTUFFE.

LETTRE

SUR LA COMÉDIE

DE

L'IMPOSTEUR.

M DC LXVII'.

AVIS.

Cette lettre est composée de deux parties: la première est une relation de la représentation de l'Imposteur, et la dernière consiste en deux réflexions sur cette comédie. Pour ce qui est de la relation, on a cru qu'il étoit à propos d'avertir ici que l'auteur n'a vu la pièce qu'il rapporte que la seule fois qu'elle a été représentée en public, et sans aucun dessein d'en rien retenir, ne prévoyant pas l'occasion qui l'a engagé à faire ce petit ouvrage : ce qu'on ne dit point pour le louer de bonne mémoire, qui est une qualité pour qui il a tout le mépris imaginable, mais bien pour aller au-devant de ceux qui ne seront pas contents de ce qui est inséré des paroles de la comédie dans cette relation, parce qu'ils voudroient voir la pièce entière, et qui ne seront pas assez raisonnables pour considérer la difficulté qu'il y a eu à en retenir seulement ce qu'on en donne ici. L'auteur s'est contenté, la plupart du temps, de rapporter à peu

1. C'est là tout le titre de cet opuscule; il est, à la fin, daté du 20a août 1667; il n'a pas d'achevé d'imprimer. Dans l'intervalle des dix-huit mois où il dut suffire à la curiosité du public, pendant l'attente du 5 août 1667 au 5 février 1669, ce ne fut pas assez d'une édition; il en parut une seconde en 1668; nous en avons relevé les quelques variantes. M. Taschereau (p. 292 de sa 3o édition) mentionne une dernière réimpression de 1670, portant le titre d'Observations sur la comédie de l'Imposteur. L'édition de 1668 a, comme l'originale, pour titre Lettre sur la comédie de l'Imposteur. — Voyez à la Notice, p. 328-331.

2. De la première représentation donnée en public, le 5 août 1667.

MOLIÈRE. IV

34

près les mêmes mots, et ne se hasarde guère à mettre des vers: il lui étoit bien aisé, s'il eût voulu, de faire autrement, et de mettre1 tout en vers ce qu'il rapporte, de quoi quelques gens se seroient peut-être mieux accommodés; mais il a cru devoir ce respect au poëte dont il raconte l'ouvrage, quoiqu'il ne l'ait jamais vu que sur le théâtre, de ne point travailler sur sa matière, et de ne se hasarder pas à défigurer ses pensées, en leur donnant peut-être un tour autre le sien. Si cette retenue et cette sincérité ne produisent pas un effet fort agréable, on espère du moins qu'elles paroîtront estimables à quelques-uns et excusables à tous.

que

Des deux réflexions qui composent la dernière partie, on n'auroit point vu la plupart de la dernière, et l'auteur n'auroit fait que la proposer sans la prouver, s'il en avoit été cru, parce qu'elle lui semble trop spéculative; mais il n'a pas été le maître: toutefois, comme il se défie extrêmement de la délicatesse des esprits du siècle, qui se rebutent à la moindre apparence de dogme, il n'a pu s'empêcher d'avertir, dans le lieu même, comme on verra, ceux qui n'aiment pas le raisonnement qu'ils n'ont que faire de passer outre. Ce n'est pas qu'il n'ait fait tout ce que la brièveté du temps et ses occupations de devoir lui ont permis, pour donner à son discours l'air le moins contraint, le plus libre et le plus dégagé qu'il a pu ; mais, comme il n'est point de genre d'écrire plus difficile que celuilà, il avoue de bonne foi qu'il auroit encore besoin de cinq ou six mois pour mettre ce seul discours du ridicule, non pas dans l'état de perfection dont la matière est capable, mais seulement dans celui qu'il est capable de lui donner.

En général, on prie les lecteurs de considérer la circonspection dont l'auteur a usé dans cette matière, et de remarquer que, dans tout ce petit ouvrage, il ne se trouvera pas qu'il juge en aucune manière de ce qui est en question sur la comédie qui en est le sujet. Car, pour la première partie, ce n'est, comme on a déjà dit, qu'une relation fidèle de la chose, et de ce qui s'en est dit pour et contre par les intelligents; et pour les réflexions qui composent l'autre, il n'y parle que sur des suppositions, qu'il n'examine point. Dans la première, il suppose l'innocence de cette pièce quant au particulier de tout ce qu'elle contient, ce qui est le point de la question, et s'attache simplement à combattre une objection générale qu'on a faite sur ce qu'il est parlé de la religion; et dans la dernière, continuant sur la même supposition, il propose une utilité accidentelle qu'il croit qu'on en peut tirer contre la galanterie et les galants, utilité qui assurément est grande, si elle est véritable,

1. Et mettre. (1668.) - 2. Qui n'aiment que le raisonnement. (1668.)

mais qui, quand elle le seroit, ne justifieroit pas les défauts essentiels que les Puissances ont trouvés dans cette comédie, si tant est qu'ils y soient, ce qu'il n'examine point.

C'est ce qu'on a cru devoir dire par avance, pour la satisfaction des gens sages, et pour prévenir la pensée, que le titre de cet ouvrage leur pourroit donner, qu'on manque au respect qui est dû aux Puissances. Mais aussi, après avoir eu cette déférence et ce soin pour le jugement des hommes et leur avoir rendu un témoignage si précis de sa conduite, s'ils n'en jugent pas équitablement, l'auteur a sujet de s'en consoler, puisqu'il ne fait enfin que ce qu'il croit devoir à la justice, à la raison et à la vérité.

LETTRE SUR LA COMÉDIE DE L'IMPOsteur.

MONSIEUR,

Puisque c'est un crime pour moi que d'avoir été à la première représentation de l'Imposteur, que vous avez manquée, et que je ne saurois en obtenir le pardon qu'en réparant la perte que vous avez faite et qu'il vous plaît de m'imputer, il faut bien que j'essaye de rentrer dans vos bonnes grâces, et que je fasse violence à ma paresse pour satisfaire votre curiosité 2.

Imaginez-vous donc de voir d'abord paroître une vieille, qu'à son air et à ses habits on n'auroit garde de prendre pour la mère du maître de la maison, si le respect et l'empressement avec lequel elle est suivie de diverses personnes très-propres et de fort bonne mine ne la faisoient connoitre. Ses paroles et ses grimaces témoignent également sa colère et l'envie qu'elle a de sortir d'un lieu où elle avoue franchement qu'elle ne peut plus demeurer, voyant la manière de vie qu'on y mène. C'est ce qu'elle décrit d'une merveilleuse sorte; et comme son petit-fils ose lui répondre, elle s'emporte contre lui et lui fait son portrait avec les couleurs les plus naturelles et les plus aigres qu'elle peut trouver, et conclut qu'il y a longtemps qu'elle a dit à son père qu'il ne seroit jamais qu'un vaurien.

Autant en fait-elle, pour le même sujet, à sa bru, au frère de sa bru et à sa suivante; la passion qui l'anime lui fournissant des pa

1. Le premier président, qui avait, le 6 août, défendu la représentation de la pièce, et l'Archevêque, qui venait, le 11, de fulminer contre elle l'ordonnance citée à la Notice, p. 322.

2. Pour satisfaire à votre curiosité. (1668.)

3. De mise élégante: voyez tome II, p. 109, note 2, et ci-dessus, p. 125

note 1.

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