Page images
PDF
EPUB

LE MARIAGE FORCÉ.

COMÉDIE.

SCÈNE PREMIÈRE'.

SGANARELLE, GERONIMO.

SGANARELLE 2.

Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne querir vite3 chez le Seigneur Géronimo; et si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti et que je ne dois revenir de toute la journée *.

GERONIMO*.

Voilà un ordre fort prudent.

SGANARELle.

Ah! Seigneur Géronimo, je vous trouve à propos, et j'allois chez vous vous chercher ".

1. Sur la division de la pièce dans le manuscrit Philidor, voyez ci-dessus, la Notice, p. 13.

2.

SCÈNE PREMIÈRE.

SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison. (1734.)

3. Le mot vite n'est pas dans le manuscrit Philidor.

4. L'édition de 1734 fait de ce qui suit la scène II, ayant pour personnages: SGANARELLE, GERONIMO.

5. GERONIMO, ayant entendu les dernières paroles de Sganarelle. (1734.) 6. Sganarelle entre en parlant aux gens qui sont dans sa maison : c'est ainsi qu'on voit dans le Phormion de Térence (début de la scène 11) Géta dire à des gens du dedans : « S'il vient un certain homme roux me demander.... », et être interrompu comme Sganarelle par la personne chez laquelle il allait. (Note de Bret.)

MOLIÈRE. IV

2

GERONIMO.

Et pour quel sujet, s'il vous plaît?

SGANARELLE.

Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en dire votre avis.

GÉRONIMO.

Très-volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté1.

SGANARELLE.

Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses,amis.

GÉRONIMO.

Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est.

SGANARELLE.

Mais auparavant je vous conjure de ne me point flatter du tout, et de me dire nettement votre pensée.

GÉRONIMO.

Je le ferai, puisque vous le voulez.

SGANARELLE.

Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas franchement.

Vous avez raison.

GÉRONIMO.

SGANARELLE.

Et dans ce siècle on trouve peu d'amis sincères.

Cela est vrai.

GERONIMO.

1. Très-volontiers, et je suis bien aise de cette rencontre. Nons pouvons parler en toute liberté. (Ms. Philidor.)

2. C'est-à-dire, couvrez-vous. On disait aussi a mettez »>< tout court : voyez le Bourgeois gentilhomme, acte III, scène Iv, où mettez revient ainsi trois fois; et le vers 852 de l'École des femmes (tome III, p. 221). Le paysan Lucas dit : « Boutez dessus : » voyez le Médecin malgré lui, acte Ior, scène v.

SGANARELLE.

Promettez-moi donc, Seigneur Géronimo, de me par

ler avec toute sorte de franchise.

[blocks in formation]

Oui, foi d'ami. Dites-moi seulement votre affaire.

SGANARELle.

C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.

Qui, vous?

GERONIMO.

SGANARELLE.

Oui, moi-même en propre personne. Quel est votre avis là-dessus?

GERONIMO.

Je vous prie auparavant de me dire une chose.

[blocks in formation]

Ma foi, je ne sais; mais je me porte bien.

GERONIMO.

Quoi? vous ne savez pas à peu près votre àge?

[blocks in formation]

GERONIMO.

Hé! dites-moi un peu, s'il vous plaît: combien aviezvous d'années lorsque nous fimes connoissance?

SGANARELLE.

Ma foi, je n'avois que vingt ans alors.

[blocks in formation]

Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici1?

SGANARELLE.

Je revins en cinquante-six.

GERONIMO.

De cinquante-six à soixante-huit, il y a douze ans, ce

[blocks in formation]

De cinquante-deux à soixante-quatre, il y a douze ans.... (1682, ms. Phi lidor et 1734.)

L'édition originale porte soixante-huit, parce que c'est en 1668 sculement que la pièce fut réduite pour être reprise et imprimée, et que l'éditeur (qui était Molière sans doute) voulut mettre les deux dates d'accord, Les éditeurs de 1682 (et, comme nous venons de le voir, le ms. Philidor et la série de 1734) considérant uniquement l'année où le Mariage forcé fut joué pour la première fois, ont substitué soixante-quatre à soixante-huit, et plus haut, par conséquent, cinquante-deux à cinquante-six. (Note d'Auger.)

me semble. Cinq ans en Hollande, font dix-sept1; sept ans en Angleterre, font vingt-quatre; huit dans notre séjour à Rome, font trente-deux; et vingt que vous aviez lorsque nous nous connùmes, cela fait justement cinquante-deux : si bien, Seigneur Sganarelle, que, sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année.

SGANARELLE.

Qui, moi? Cela ne se peut pas.

GERONIMO.

Mon Dieu, le calcul est juste; et là-dessus je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire; mais les gens de votre àge n'y doivent point penser du tout; et si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage; et je vous trouverois le plus ridicule du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes3.

SGANARELLE.

Et moi je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je recherche.

GERONIMO.

Ah! c'est une autre chose : vous ne m'aviez

pas dit

cela.

1. Dans le manuscrit Philidor : « sont dix-sept »; mais ensuite font, deux fois. 2. Fort fait, pour votre fait, faute évidente, dans le manuscrit Philidor. 3. De la plus pesante de toutes les chaînes. (Ms. Philidor.)

« PreviousContinue »