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NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR LA FONTAINE

LORSQUE Charles-Louis de la Fontaine, petit-fils du grand poëte, faisait le projet, qu'il n'exécuta pas, d'une nouvelle édition des œuvres de son aïeul, il écrivait à Fréron : « J'y joindrai une Vie aussi simple que lui-même1. » Ne semblet-il pas avoir indiqué à tout biographe de la Fontaine ce qui répondrait le mieux à l'idée que l'on a de son caractère et des longues années qu'il a vécues sans grands événements ? Avant le petit-fils de la Fontaine, Charles Perrault avait à peu près parlé comme lui : « Si, a-t-il dit dans sa petite notice sur notre poëte 2, il y a beaucoup de simplicité et de naïveté dans ses ouvrages, il n'y en a pas eu moins dans sa vie et dans ses manières. Il n'a jamais dit que ce qu'il pensoit, et il n'a jamais fait que ce qu'il a voulu faire. Il joignit à cela une humilité naturelle, dont on n'a guère vu d'exemple; car il étoit fort humble, sans être dévot ni même régulier dans ses mœurs jusqu'à la fin de sa vie, [fin] qui a été toute chrétienne.» Voilà encore de justes paroles qui pourraient paraître nous donner le conseil d'une notice très-simple et trèsbrève. Il ne nous coûtera pas de reconnaître, si l'on veut, qu'elles n'omettent pas un trait essentiel de l'histoire peu compliquée de ce beau génie, de cette âme sans plus de replis que celle d'un enfant.

1. Voyez l'Année littéraire (1758), tome II, p. 19.

2. Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle (1696), tome I, p. 83.

Mais, quoique le portrait semble ainsi achevé en quelques lignes, et que d'ailleurs les grands écrivains vivent surtout par leurs écrits et dans leurs écrits, on est devenu aujourd'hui curieux des moindres particularités de leur histoire. Si cette curiosité n'est pas sans quelque excès, nous avons cependant le devoir ici d'essayer de la contenter. Elle n'est pas du reste entièrement vaine une biographie développée des grands écrivains jette sur leurs ouvrages mêmes quelque lumière.

Ainsi pensait sans doute Walckenaer, lorsque, sans craindre que l'on tournât contre lui ce vers de la Fontaine :

Les longs ouvrages me font peur1,

il a donné beaucoup d'étendue à son Histoire de la vie et des ouvrages de Jean de la Fontaine, et y a rassemblé patiemment tant de détails curieux. Seul, nous pourrions nous plaindre que, dans son agréable et savant ouvrage, il ait épuisé à ce point le sujet, puisqu'il ne nous a laissé qu'à glaner derrière lui; mais nous aimons mieux le remercier d'avoir bien autrement élargi la voie que ne l'avaient fait les précédents biographes. En repassant sur ses traces, nous aurons encore à faire quelques rencontres, qui ne se sont pas offertes à ses investigations; et, sur quelques points, des travaux plus récents et nos propres recherches nous rendront possible ou de le compléter ou de le rectifier.

L'acte de baptême de Jean de la Fontaine, que nous ont conservé les registres de la paroisse Saint-Crépin, à ChâteauThierry, atteste qu'il fut levé sur les fonts, le 8 juillet de l'an 1621, qui fut probablement le jour même ou le lendemain de sa naissance. Dans sa ville natale, au pied de la montagne que couronnait le vieux château fort, dont les ruines restent imposantes, la maison où le charmant poëte entra dans la vie3 est toujours là, assez respectée par le temps, un peu moins, nous le regrettons, par la main des hommes. Entre cour et jardin, avec ses deux ailes, sa tourelle, en partie détruite aujourd'hui, et son petit jardin, c'était une assez élégante habita

1. Épilogue du livre VI des Fables, vers 2.

2. Voyez aux Pièces justificatives, no 1.

3. On peut consulter la Notice historique sur la maison natale de

tion, dont la construction paraît remonter à la seconde moitié du seizième siècle, et qui ne pouvait appartenir qu'à des gens aisés, tenant, dans leur petite ville, un bon rang1. Telle était en effet la situation des parents de la Fontaine. Son père, Charles de la Fontaine, était maître particulier des eaux et forêts au duché de Château-Thierry, conseiller du Roi. Le père de celui-ci, Jean de la Fontaine, avait possédé la même maîtrise dans la juridiction des eaux et forêts, après avoir été marchand, peut-être marchand drapier, comme l'avait été son bisaïeul, Pierre de la Fontaine. Charles de la Fontaine, dans son contrat de mariage (13 janvier 1617), est dit « écuyer, fils de noble homme Jean de la Fontaine'. » Les gros bourgeois prenaient souvent la qualité de noble homme. Les anoblis avaient droit au titre, moins insignifiant, d'écuyer. Appartenait-il vrai

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Jean de la Fontaine, par Alphonse Barbey, brochure de 20 pages, in-8°, Paris, 1870. Cette maison, que la Société historique et archéologique de Château-Thierry avait songé la première à acquérir, a été achetée, en 1875, par le conseil municipal de Château-Thierry: voyez le Journal officiel du 27 mai 1875. Elle est dans la rue dite anciennement de Beauvais, puis des Cordeliers au temps du poëte, plus tard du District, aujourd'hui enfin de Jean de la Fontaine, nom qu'elle porte depuis 1792.

1. Walckenaer, aux Pièces justificatives de son Histoire de la Fontaine (tome II, p. 291-293, 4o édition, 1858), établit ainsi la généalogie de notre poëte: PIERRE DE LA FONTAINE, marchand drapier à Château-Thierry, a eu pour fils PIERRE DE LA FONTAINE, qui eut de Martine Josse, son épouse, NICOLAS DE LA FONTAINE, Jean de la Fontaine, Barbe de la Fontaine, Marie de la Fontaine, et Louis de la Fontaine. L'aîné de ses fils, NICOlas de la Fontaine, contrôleur des aides et tailles à Château-Thierry, eut pour fils JEAN De la FonTAINE, marchand, puis maître particulier des eaux et forêts, qui épousa Catherine Longval et eut pour fils CHARLES De la Fontaine, lequel succéda à sa charge et fut père du fabuliste. Parmi les fermes appartenant aux la Fontaine, on en trouve une nommée la Fontaine-Regnaud (paroisse de Chierry dans le canton de Château-Thierry). Quelques-uns ont pensé que le nom de la Fontaine

en vient.

2. Ce contrat de Charles de la Fontaine et de Françoise Pidoux appartient à M. le vicomte Héricart de Thury, qui a bien voulu le mettre sous nos yeux.

ment à Charles de la Fontaine et à son fils? Ce que nous savons, c'est qu'il causa à notre poëte un chagrin, que, pour sa part, il était bien incapable de s'être volontairement attiré. Peu de temps après l'ordonnance du 8 février 1661 contre les faux nobles, les traitants découvrirent qu'il avait été qualifié d'écuyer dans deux contrats et le firent condamner, pour usurpation de titre, à une amende de deux mille livres. Cette malheureuse écurie (c'est son expression 1) le ruinait. Dans une jolie épître en vers, il supplia le duc de Bouillon de solliciter la remise de la peine. Il avait signé, sans les lire, les deux maudits contrats :

La cour, Seigneur, eût pu considérer

Que j'ai toujours été compris aux tailles,
Qu'en nul partage, ou contrat d'épousailles,
En jugements intitulés de moi,

Je n'ai voulu passer pour gentilhomme 2.

Il n'était certes pas un escroqueur de titres,

Lui le moins fier, lui le moins vain des hommes,
Qui n'a jamais prétendu s'appuyer

Du vain honneur de ce mot d'écuyer,
Qui rit de ceux qui veulent le parêtre,

Qui ne l'est point, qui n'a point voulu l'être3.

C'est donc lui-même qui passe condamnation sur sa noblesse, ne regrettant que de payer l'amende. Nous prendrions avec la même facilité notre parti de l'en croire. Toutefois, au siècle suivant, sa famille protestait, disant qu'il était réellement gentilhomme d'extraction, et que sa paresse seule l'avait empêché de rassembler et de produire ses titres, au temps de la recherche des nobles par la généralité de Soissons. Peut-être

1. Épître 4 M. le duc de Bouillon, vers 23. naire de Littré, à l'article ÉCURIE.

Voyez le Diction

Le mot est employé dans la scène que nous citons ci-après de la comédie de Claveret.

2. Même épître, vers 70-75.

3. Ibidem, vers 48-52.

4. Voyez les Mémoires de Trévoux (juillet 1755, p. 1717). La lettre datée du 15 juin 1755, qui y est insérée, est probablement de son petit-fils. Voyez aussi les mêmes Memoires, février 1759, p. 393.

avait-il en effet renoncé trop facilement à l'honneur de l'écurie. Il est certain que les partisans ne se faisaient aucun scrupule de chercher alors de mauvaises chicanes à des familles dont les titres n'étaient point faux. Cela est assez plaisamment exprimé dans ce passage d'une comédie du temps1:

Il se trouve assigné parmi les Écuyers,

Et l'on croit que les rats ont mangé ses papiers.
Comment prouvera-t-il sa gentilhommerie,
Parmi des éveillés venus de Barbarie,

Qui s'inscrivent en faux, pour tourmenter les gens,
Contre de bons contrats faits depuis trois cents ans ;
Qui les trouvent tous chauds, qui blâment l'écriture,
La marque du papier, l'encre, la signature,

Flairent le parchemin d'une mine rebelle,
Contestant chaque mot, une virgule, un point?

Si le prince à Bousseau ne s'oppose,

Écuyer et Phénix vont être même chose.

Ce Bousseau, avocat des fermiers généraux, est précisément celui que la Fontaine nomme comme ayant obtenu contre lui un arrêt par défaut :

Sa vigilance en tels cas est extrême 2.

Mais, attendu que celle de la Fontaine ne l'était pas, on s'est cru en droit de penser qu'il eût pu se défendre autrement qu'en déclinant toute prétention à quelque gentilhommerie, et qu'il était en mesure, s'il avait voulu en prendre la peine, de fournir des preuves de la légitimité de cette prétention.

Sa mère était Françoise Pidoux, sœur de maître Valentin Pidoux, bailli de Coulommiers. Il y avait en Poitou une branche de la famille des Pidoux qui n'était pas sans quelque illustration. Elle avait donné au roi Henri II un médecin, dont, à son tour, le fils, Jean Pidoux, fut médecin de Henri III et de Henri IV, et acquit de la célébrité par ses études sur « la

1. L'Écuyer ou les faux nobles mis au billon..., par le sieur de Claveret (Amsterdam, 1665, sur l'Imprimé à Paris), acte II, scène 1. 2. Épître A M. le duc de Bouillon, vers 64.

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