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Magloire le 28 octobre, et il y resta environ un an, après lequel il n'est plus fait mention de lui dans les registres de cette congrégation. » Jusqu'ici rien qui ne soit d'accord avec les documents les plus certains. Mais Adry ajoute : « Ce goût passager pour l'état ecclésiastique pouvoit lui avoir été inspiré par G. Héricart, chanoine de Soissons, qui à cette époque lui fit présent, entre autres livres de piété, d'un Lactance de l'édition de Tournes, Lyon, 1548, exemplaire que je possède. Cette explication d'une ferveur d'un moment, qui n'est présentée qu'à titre de conjecture, Walckenaer et Sainte-Beuve l'ont admise1. Moralement, et à n'en juger que sur la connaissance du caractère de la Fontaine, elle est loin d'être invraisemblable. Il ne faudrait pas trop s'étonner que, de l'auteur des Contes et de l'élève de M. Hamon, qui a écrit Esther, le plus enflammé de zèle pour l'état ecclésiastique, à une heure fugitive, il est vrai, de jeunesse, et celui qu'on pourrait le moins soupçonner de s'y être laissé engager par l'espoir d'un bénéfice, c'eût été le premier plutôt que le second. La bizarrerie ne serait qu'apparente. L'imagination et l'âme naïve de la Fontaine étaient ouvertes à tous les enthousiasmes, de quelque côté qu'en soufflât le vent; il n'y avait rien dont il ne fût prêt à s'éprendre, pas une voix qui ne trouvât en lui un facile écho, sans qu'il y ait à excepter celle de la dévotion. On sait à quel point le charma, bien des années plus tard, le prophète Baruch : pourquoi, dans sa jeunesse, des lectures chrétiennes, faites dans des livres que l'on pouvait lui avoir prêtés, n'auraient-elles pas, les pieux conseils aidant, exercé sur lui la même séduction? Nous n'aurions donc aucune objection à ce que suppose le bibliothécaire de l'Oratoire, s'il ne s'en rencontrait une, la plus sérieuse qu'il puisse y avoir, une objection de date. Guillaume Héricart, docteur en Sorbonne, chanoine de la cathédrale de Soissons, était neveu de Marie Héricart, qui devint la femme de la Fontaine. Son père, Louis Héricart, était né en 1629', et lui-même ne vint au

sort 1650 »; et au feuillet 10 vo du premier catalogue : « Jean de la Fontaine, 1641 ».

1. Histoire de la vie.... de la Fontaine, tome I, p. 4, et Causeries du lundi, tome VII, p. 520.

2. Nous devons ces renseignements sur le chanoine de Soissons

monde que bien après le mariage de sa tante. Il fut baptisé le 5 février 1664, et eut pour parrain un Jacques Jannart, second fils du substitut de Foucquet. On voit qu'il n'était pas encore question du chanoine en 1641. Le don du Lactance n'a donc pu être fait « à cette époque », comme le veut Adry; et celui-ci n'a eu aucune raison d'attribuer aux Héricart l'éphémère vocation religieuse de la Fontaine. C'est à l'entrée d'une autre voie, où il s'engagea quelques années plus tard, et qui n'était pas mieux faite pour lui, que nous rencontrerons cette famille.

Dans des Mémoires manuscrits de l'Oratoire, différents de ceux que nous avons cités tout à l'heure, le P. Adolphe Perraud1, historien de cette congrégation, a trouvé une note qui, en confirmant ce que nous savons déjà de la courte durée de la vocation de la Fontaine, fait voir qu'il ne s'y prit pas trèsbien pour y persévérer : « Le confrère Jean de la Fontaine resta peu de temps au noviciat. Plus tard il avouoit à son ami Boileau qu'il s'occupoit plus volontiers à lire des poëtes que Rodriguez. » S'il y eut jamais un esprit que, dans ses libres et variables fantaisies, rien ne put enchaîner, ce fut le sien.

Avant l'admission à l'Oratoire de Paris, la Fontaine était-il entré au séminaire de l'abbaye oratorienne de Juilly? On raconte dans les Annales de la Société historique et archéologique de Château-Thierry3 qu'il fut mis à Juilly, où l'on croit encore à cette tradition, pour y étudier les dogmes, mais qu'il y étudiait davantage Marot et autres rimeurs : « De la fenêtre de sa cellule, que l'on montre encore à Juilly, il lançait sa

à M. l'abbé Hazard, curé de la paroisse Saint-Nicolas de la FertéMilon, aussi bien que tous les autres détails sur la famille Héricart, qu'on trouvera aux Pièces justificatives, no III, dans la note qui suit l'acte de baptême de la femme de la Fontaine.

1. Aujourd'hui évêque d'Autun, et membre de l'Académie française.

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2. L'Oratoire de France au XVII et au XIXe siècle (2ao édition), Paris, 1866, p. 207, note 2. Le jésuite espagnol Alphonse Rodriguez est l'auteur de la Pratique de la perfection chrétienne (1614), dont il parut, dès 1621, une traduction française, par le P. Paul Duez; une autre, vers le même temps, par Pierre d'Audiguier. 3. Année 1874, p. 24 et 25.

barrette dans la basse-cour du couvent, après l'avoir attachée à une ficelle, et faisait ainsi la chasse aux volatiles. » Le voilà peint très-plaisamment; mais c'est probablement une légende. Le tableau et le lieu même de la scène auront été imaginés d'après ce que l'on connaît plus certainement des dix-huit mois passés chez les oratoriens de la rue Saint-Honoré et du séminaire de Saint-Magloire. La note écrite par ceux-ci est suffisante pour que nous nous représentions l'inconstant novice s'abandonnant aux distractions de la poésie.

Nous savons donc que, dès l'âge de vingt ans, le confrère Jean de la Fontaine n'aimait rien tant que les poëtes, et laissait là pour eux la dévotion et la théologie. Il ne peut être tout à fait exact de dire, comme l'a fait d'Olivet1, qu'à vingtdeux ans << il ne se portoit encore à rien, lorsqu'un officier, qui étoit à Château-Thierry en quartier d'hiver, lut devant lui, par occasion, » l'Ode de Malherbe sur la mort de Henri IV. On ne refusera pas de croire, avec d'Olivet, que cette lecture le transporta d'admiration, qu'il voulut étudier l'excellent poëte, « et s'y attacha de telle sorte qu'après avoir passé les nuits à l'apprendre par cœur, il alloit de jour le déclamer dans les bois, » enfin qu'il fit alors quelques essais dans le goût de Malherbe 2. Mais il ne fallait pas donner à entendre que ces essais furent les premiers de son jeune talent. Les vers harmonieux et nobles de la fameuse ode purent être pour lui la révélation d'une grande poésie qu'il n'avait pas jusque-là soupçonnée, et faire, pour la première fois, vibrer une corde de la lyre intérieure qui n'avait pas encore été touchée. Quelque autre cependant, beaucoup moins grave sans doute, n'avait pas attendu d'être éveillée par Malherbe. Loin qu'il soit vrai que la Fontaine ne se portât encore à rien, il avait goûté, dans sa cellule de l'Oratoire, d'autres poëtes, ses plus anciens initiateurs; il avait même, dès ce temps peut-être, certainement avant d'avoir entendu la récitation de l'officier, commencé bien jeune, comme Maucroix, dont l'exemple dut être contagieux, à écrire de petits vers légers.

Si l'on voulait, la chronologie en main, suivre chez la Fon

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taine le premier développement de son amour pour la poésie, ce ne serait pas facile avec les vagues indications des précédents biographes. Charles Perrault dit que son père « exigea de lui.......... qu'il s'appliquât à la poésie.... Quoique ce bonhomme n'y connût presque rien, il ne laissoit pas de l'aimer passionnément, et il eut une joie inconcevable, lorsqu'il vit les premiers vers que son fils composa1. » On n'est pas habitué à voir d'honnêtes et prudents bourgeois user de l'autorité paternelle pour pousser leurs fils vers ce chemin du Parnasse, plus semé de fleurs que d'or, et se réjouir de l'envie qu'ils ont d'y courir. Nous croyons que le père de la Fontaine songea pour lui à des occupations plus solides, quand il le vit renoncer à l'état ecclésiastique. La pensée de lui transmettre son office date probablement de cette époque, et il dut lui faire faire quelques études de jurisprudence, chercher ainsi à l'initier aux affaires. Notre la Fontaine administra fort mal les siennes; mais il est certain qu'il a, dans l'occasion, parlé affaires pertinemment. Il eut de bonne heure le titre d'avocat au Parlement 2. Il y avait donc eu un temps où, avec plus ou moins de succès, on lui avait fait étudier Cujas et Bartole. C'est, il nous semble, de ces études de droit qu'a voulu parler M. Louis Paris, quand il a dit que la Fontaine avait, de même que François de Maucroix, terminé à Paris ses études commencées à Château-Thierry'. Maucroix eut, comme avocat, des débuts assez heureux, et que fit surtout remarquer la grâce de son débit*; mais, se sentant trop timide, il renonça au barreau, où il n'avait « plaidé, a-t-il dit lui-même, que

1. Les Hommes illustres, tome I, p. 83.

2. Il le porte dans l'acte de cession du 21 janvier 1649, consenti par son frère Claude. Voyez Walckenaer, aux Pièces justificatives de son Histoire de la Fontaine, p. 586 et 587.

3. Maucroix, OEuvres diverses, tome I, p. xx.

4. Vie de François de Maucroix, par Walckenaer, dans le volume intitulé Poésies diverses de.... la Sablière et de François de Maucroix, Paris, 1825, in-8°, p. 169.

5. Lettre du 29 avril 1706, à un Père de la compagnie de Jésus, sans doute d'Olivet, qui, entré, au sortir de ses classes, chez les jésuites, les quitta vers 1715 (Maucroix, OEuvres diverses, tome II, P. 244).

cinq ou six fois1. » Ce sont probablement cinq ou six plaidoyers de plus que n'en essaya la Fontaine.

Laissons, quel qu'il ait été, son apprentissage d'avocat au Parlement, pour revenir à son apprentissage de poëte, plus intéressant à connaître, et commencé au plus tard, nous l'avons vu, pendant son noviciat d'oratorien. Sous quels maîtres il le fit, on l'apprend par son propre témoignage.

Qu'il ait d'abord connu Malherbe, dans l'occasion qui nous a été contée, ou tout autrement, il comptait parmi les plus anciennes les leçons qu'il avait reçues de lui:

Je pris certain auteur autrefois pour mon maître,

dit-il, au vers 46 de son épître A Monseigneur l'évéque de Soissons (Pierre-Daniel Huet), écrite en 1687. Ce n'est pas de Voiture qu'il parlait, comme l'ont cru quelques-uns 2, ayant sans doute peine à admettre que, s'il s'agissait de Malherbe, il ait pu dire qu'il pensa le gâter, et lui reprocher « son trop d'esprit. » Cela d'abord déroute un peu; mais rapportons-nousen au plus fin juge du bon goût et au plus sûr interprète de la pensée de la Fontaine, c'est-à-dire à lui-même : la note qu'il a faite sur les vers 52-54 de la même épître :

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Ses traits ont perdu quiconque l'a suivi, etc.,

ne laisse place à aucune équivoque : « Quelques auteurs de ce temps-là affectoient les antithèses, et ces sortes de pensées qu'on appelle concetti. Cela a suivi immédiatement Malherbe.» Voici qui n'est pas moins décisif : reprochant à son ancien maître de s'épandre « en trop de belles choses,» il dit (vers 54):

Tous métaux y sont or, toutes fleurs y sont roses,

et c'est un vers de Malherbe dans le Récit d'un berger au ballet de Madame, princesse d'Espagne3. Tout en corrigeant,

1. La Fontaine, dans une chanson, a dit de lui :

Tandis qu'il étoit avocat,

Il n'a pas fait gain d'un ducat.

2. Voyez l'article JEAN DE LA FONTAINE dans la Biographie générale. 3. OEuvres de Malherbe, tome I, p. 232, poésie LXXII, vers 68:

Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses,

LA FONTAINE, I

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