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vertu et les usages des fontaines de Pougues », objet d'un de ses traités. Parmi ses savants travaux, il avait quelque commerce avec les Muses. Il eut un fils, François Pidoux, médecin aussi, se mêlant de même de faire des vers1. Celui-ci, qui mourut en 1662, à l'âge de soixante-dix-huit ans, avait été maire de Poitiers. On peut voir, dans l'Histoire du Poitou de Thibaudeau, que la mairie de Poitiers était, depuis l'an 1575, comme héréditaire dans cette famille. Ces Pidoux étaient une forte race, d'une rare longévité, la Fontaine en a fait la remarque', et elle se trouve confirmée par Thibaudeau, dans une Liste historique des maires de Poitiers".

La Fontaine savait que les Pidoux de Poitiers étaient ses parents; il les connaissait peu, se souvenant seulement de l'un d'entre eux, son cousin germain, qui l'avait «< plaidé ». Dans son voyage de Paris en Limousin (1663), il rencontra un Pidoux à Châtellerault. Il y en avait eu un, du prénom de Pierre (nous ne savons si c'est le même), qui avait été lieutenant général au siége royal de cette ville. Ce que la Fontaine nous dit du parent dont il fit la connaissance n'est pas sans intérêt. C'était un vigoureux octogénaire, qui se plaisait encore aux violents exercices de corps et savait écrire; «<l'homme le plus gai..., et qui songe le moins aux affaires, excepté celles de son plaisir.... Il y a ainsi d'heureuses vieillesses, à qui les plaisirs, l'amour et les grâces tiennent compagnie jusqu'au bout ». Quand il faisait ce portrait anacréontique, pouvait-il ne pas se dire « J'ai de qui tenir »? Il a laissé à sa correspondante le soin de noter la ressemblance. Mais il en avait

1. Biographie universelle, article PIDOUX, de Tabaraud.

2. Tome III, p. 404-422. Voyez encore la Bibliothèque historique et critique du Poitou de Dreux du Radier (3 vol. in-8°), tome II, p. 316-324. On y cite, à la page 317, des vers où Scévole de Sainte-Marthe célébrait, en 1606, le médecin de Henri IV, Jean Pidoux, et surtout la découverte, qu'on lui attribuait, des eaux de Pougues.

3. Lettre à Mlle de la Fontaine, du 19 septembre 1663. 4. Aux pages citées ci-dessus.

5. Même Lettre à Mlle de la Fontaine.

6. Histoire du Poitou, tome III, p. 416.

7. Même Lettre à Mlle de la Fontaine.

sans doute été frappé lui-même, tout autant que de celle-ci, qui se marquait dans les visages de cette famille : « Tous les Pidoux, dit-il, ont du nez, et abondamment. » Il savait bien qu'il avait hérité du grand nez des Pidoux ; et quand, à Châtellerault, il s'amusait à reconnaître ce trait héréditaire, on peut croire qu'il n'aimait pas seulement à se retrouver par les côtés extérieurs dans ses parents maternels. C'est aujourd'hui une théorie en faveur, que tout homme de génie est surtout le fils de la mère. Nous ignorons si elle serait facile à démontrer, ni comment on s'y prendrait pour l'expliquer. Ceux qui cherchent à l'appuyer par des exemples auront du moins celui-ci à recueillir, comme assez vraisemblable.

Il est à regretter que, parmi ces renseignements sur les Pidoux, nous ne sachions à peu près rien de la mère de la Fontaine elle-même, et que, tout en croyant reconnaître ce qu'elle lui avait transmis avec le sang de sa race, nous ne puissions dire ce qu'il lui dut pour les soins donnés à ses premières années, pour l'éducation. Il était jeune quand il la perdit; mais nous ne trouvons pas une date précise. Elle vivait encore en 1634. Dans le registre des baptêmes de cette année, au dernier jour de mars, « Françoise Pidoux, femme de M. Charles de la Fontaine, maître des eaux et forêts, capitaine des chasses, >> a signé comme marraine. C'est le dernier en date des actes de ces registres de Saint-Crépin qui la nomment. La Fontaine avait alors près de treize ans. Il reste beaucoup de place entre 1634 et la fin de 1647, où, par le contrat de mariage de la Fontaine, nous apprenons que sa mère n'était plus. Tout ce que nous avons à dire d'elle, et ce que les précédents biographes n'ont pas su, c'est qu'elle était veuve lorsqu'elle épousa le maître des eaux et forêts de ChâteauThierry. Dans leur contrat de mariage, elle est nommée << dame Françoise Pidoux, veuve de feu honorable homme Louis de Jouy3, vivant marchand et demeurant à Coulommiers,>>

1. Même Lettre à Mlle de la Fontaine.

2. Ce nom, dont la lecture est, dans le contrat, un peu douteuse, se lit tel que nous l'avons écrit, dans un factum, imprimé sous ce titre : « Pour Me Charles de la Fontaine, tuteur d'Anne de Jouy, fille mineure de deffunt Louis de Jouy et de Françoise Pidoux..., contre Jeanne Mondollot. »>

et son nouvel époux est, conjointement avec elle, chargé de la tutelle des personne et biens d'Anne de Jouy, fille mineure de la dame Pidoux. Cette demi-sœur de la Fontaine est restée dans l'ombre, si l'on refuse de voir en elle, suivant la conjecture que nous proposons plus loin, Mme de Ville

montée.

L'enfance de la Fontaine et sa vie de petit écolier n'ont laissé que peu de traces, et toutes ne sont pas certaines. Nous sommes loin des faits positifs et de l'intérêt qu'offre l'histoire de Racine dans les écoles de Port-Royal. D'Olivet a dit : « Il étudia sous des maîtres de campagne, qui ne lui enseignèrent que du latin1. >> Mais quoi? des maîtres de campagne, lorsqu'il paraît si naturel de croire que ses parents le confièrent aux régents du collège de Château-Thierry, qui avait la réputation de rivaliser avec ceux de Reims et de Paris 2! Il n'est pas sans vraisemblance qu'il fit là ses classes, et que nous avons un souvenir de ce collége dans le précieux petit volume dont la découverte est due à M. Rathery, et qui avait appartenu aux Pintrel. C'est un exemplaire de Lucien (August. Picton. 1621), au haut de la première garde intérieure duquel on lit: de la Fontaine, bon garçon, fort sage et fort modeste. « Et sur le titre, à travers un bâtonnage postérieur, on distingue le nom de Ludovicus Maucroix3. » Ce Louis de Maucroix était frère aîné de François de Maucroix, l'ancien et très-intime ami de la Fontaine. « A l'intérieur, p. 89 et 151, on rencontre [le nom] de la Fontaine, tracé négligemment et incomplètement, en caractères majuscules se rapprochant de ceux de l'imprimerie. » Nous pouvons conclure de ce témoignage que la Fontaine eut pour condisciples les deux Maucroix, plus âgés que

1. Histoire de l'Académie françoise (3° édition, in-12, 1743), tome II (par d'Olivet), p. 321.

2. Voyez la biographie de Maucroix par M. Louis Paris, intitulée: Maucroix, sa vie et ses ouvrages, au tome I, p. xvi, de son édition des OEuvres diverses de Maucroix, 2 vol. in-12, Paris, 1854. 3. Ibidem, p. xix.

4. Ibidem. Nous avons vu, dans les registres de baptême de Château-Thierry (17 janvier 1630), une signature de Jehan de la Fontaine, qui donne lieu à la même observation sur l'écriture imitant la lettre moulée. Le signataire avait huit ans et demi.

lui1. Ce ne serait pas à Château-Thierry, mais à Reims, si l'on s'en rapportait à Fréron, qui a dit dans sa Vie de la Fontaine': «< On croit qu'il fit ses premières études à Reims, ville qu'il a toujours extrêmement chérie. » Quand on admettrait que Fréron tenait ce renseignement, comme il paraît en avoir tenu quelques autres, de Charles-Louis de la Fontaine, il se pourrait que celui-ci n'eût nommé Reims, sous forme dubitative d'ailleurs, que parce qu'il savait que son grand-père avait étudié avec l'un des deux futurs chanoines de cette ville, peutêtre avec l'un et l'autre.

A Reims, ou à Château-Thierry, le bon et sage garçon la Fontaine fut-il un studieux écolier, et, dès le collége, un brillant humaniste? Le Lucien, et le satisfecit donné par le camarade, ne nous l'apprennent pas. Goûta-t-il beaucoup les leçons de ses maîtres? Sans être en droit d'affirmer qu'il ait gardé d'eux un médiocre souvenir, on le supposerait, si l'on ne voyait pas simplement une boutade de poëte dans ces vers d'une de ses fables3:

Certain enfant qui sentoit son collége,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilége
Qu'ont les pédants de gâter la raison.

Ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

1. François de Maucroix était né le 7 janvier 1619. Nous ne trouvons pas la date de la naissance de Louis de Maucroix; mais, comme il fut pourvu d'un canonicat à Reims le 16 février 1637 (Maucroix, sa vie et ses ouvrages, p. LI, à la note), il semble bien qu'il faille lui donner quelques années de plus qu'à son frère; et, si c'est lui qui a écrit la note sur la garde du Lucien, étant alors au collége avec la Fontaine, celui-ci devait alors être bien enfant. Mais ne pourrait-elle être de François de Maucroix, dans les mains de qui le livre aurait passé, après avoir été dans celles de son aîné?

2. En tête des Fables choisies mises en vers..., Paris, Barbou, 1806, p. vi. Nous citons, d'après cette édition, la Vie de la Fontaine par Fréron; mais elle a été imprimée d'abord en 1743, dans les Observations sur les écrits modernes, au tome XXXII, p. 74-90. 3. La v du livre IX.

Il ne serait pas étonnant, après tout, que déjà rêveur et savourant la félicité de ne faire nulle chose, il eût mal apprécié les mérites de ses pédagogues. Ces natures de génie se développent surtout par leur séve intérieure, sans qu'il faille trop se demander ce que, dans leur première croissance, elles ont pu devoir à la culture.

Arrivé à la fin de ses études de collége, la Fontaine dut se diriger vers une carrière. Il en choisit d'abord une, ou peutêtre on la choisit pour lui, à laquelle il n'était certes pas appelé par une vocation très-sûre. « A l'âge de dix-neuf ans, dit d'Olivet', il entra dans l'Oratoire, et dix-huit mois après, il en sortit. Quand on aura vu quel homme c'étoit, on sera moins en peine de savoir pourquoi il en sortit, que de savoir comment il avoit songé à se mettre dans une maison où il faut s'assujettir à des règles. » Cette entrée de la Fontaine au noviciat des oratoriens, lorsqu'il était plus près de vingt ans que de dix-neuf, n'est pas un fait douteux. Il se trouve ainsi constaté dans les Annales manuscrites de la maison de l'Oratoire établie rue Saint-Honoré : « Le 27 (avril 1641), M. Jean de la Fontaine, âgé de vingt ans, a été reçu pour faire les exercices de piété de nos confrères. Il est de Château-Thierry et fils de Charles, conseiller du Roi et maître des eaux et forêts de ce duché. » Adry, qui fut bibliothécaire de l'Oratoire (son témoignage a donc ici de l'autorité), complète cette mention authentique, bien connue de lui assurément (il est d'accord sur la date du 27 avril 1641) : « Son exemple, dit-il 3, y attira, au mois d'octobre, son frère puîné*, qui ne sortit de l'Oratoire qu'en 16505. Jean fut envoyé au séminaire de Saint

1. Histoire de l'Académie, p. 314.

2. Annales de la maison de l'Oratoire..., tome I, p. 212, Archives nationales, M. M. 623.

3. Dans la note 2 des pages xxII et xxш de la Vie de la Fontaine, déjà citée, qui est en tête de l'édition de 1806 des Fables choisies. 4. Voyez aux Pièces justificatives, no 11, l'acte de baptême de ce frère puîné.

5. En effet, dans les Catalogues alphabétiques (dressés en 1710), des Noms des prétres et confrères reçus dans la Congregation de l'Oratoire (Archives nationales, M. M. 207), on lit au feuillet 29 r° du second catalogue: « Claude de la Fontaine de Château-Thierry, 1641;

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