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une âme les semences de la vertu, et lui apprend1 à se connoître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire toute autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très-heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans

1. Richelet dit : « et lui montre; » il termine ainsi la phrase: « sans qu'elle s'en aperçoive, » en supprimant le dernier membre. 2. « Monseigneur le Dauphin a eu deux précepteurs : le premier, M. le président de Périgny, et le second, M. Bossuet, évêque de Meaux, illustre par son érudition, par sa piété, par ses ouvrages et sa manière de prêcher, qui le distingue de tous les prédicateurs de son siècle. Monsieur l'évêque de Meaux a eu pour sous-précepteur M. Huet, qui est un homme de lettres d'un grand mérite. L'agréable M. de la Fontaine entend parler ici de M. le président de Périgny, qui étoit un homme d'esprit et un honnête homme, savant d'une manière solide et charmante. Le généreux et obligeant M, des Réaux Tallemant lui avoit proposé M. Richelet pour le soulager dans les services qu'il rendoit à Monseigneur. M. Richelet eut le bonheur de plaire à M. de Périgny; néanmoins il n'eut pas celui de partager ses soins. M. le président Nicolaï le sollicita en faveur de M. Doujat, docteur en droit, et le porta en quelque façon à se rétracter pour obliger M. Doujat. Monseigneur le Dauphin a eu pour gouverneur M. le duc de Montausier, qui est un grand capitaine, un très-honnête homme, et le très-bon ami des gens de lettres. Il les appuie généreusement, parce qu'il les aime et qu'il est savant lui-même en galant homme.» (Note de Richelet.) — Sur Périgny, président aux enquêtes, lecteur du Roi, et qui fut précepteur du Dauphin du 9 septembre 1666 au 1 septembre 1670, époque de sa mort, on peut consulter l'ouvrage déjà cité de M. Dreyss, tome I, p. XXXIX-LXIII. Nous n'en détacherons que les lignes suivantes, empruntées par l'auteur aux Notes secrètes envoyées à Colbert par les intendants sur le personnel de tous les parlements du Royaume, et qui prouvent, ce nous semble, que Périgny n'était pas un esprit aussi méprisable que nous le feraient croire le cardinal de Bausset et M. Floquet : « Homme d'esprit solide, de grand raisonnement et de fermeté; sûr, et qui ne manque pas à ses amis; estimé dans sa chambre; aimant les belles-lettres et les belles connoissances, et s'y applique autant que son emploi lui peut permettre. »

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peine, ou pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache1. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, MONSEIGNEUR, les qualités que notre invincible Monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne3. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Europe', et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmon

1. « Il fait que vous apprenez avec plaisir ce qu'il faut qu'un jeune prince sache. » (Richelet.)

2. « Mais il y a des choses qui nous font espérer davantage. » (Richelet.)

3. Richelet continue la phrase, et ne la termine qu'après ces mots : « pendant la saison la plus ennemie de la guerre » (p. 6). Il supprime tout ce qui suit à partir de là, jusqu'à : « avouez le », où commence pour lui une nouvelle phrase.

4. Richelet met que, au lieu de répéter quand; de même trois lignes plus bas, devant « il pénètre ».

5. Ces mots sont supprimés dans Richelet; il écrit simplement : « qui regarde sans s'étonner les machines que l'Europe remue; et il explique ainsi la pensée de l'auteur : « Il désigne la triple alliance que l'Angleterre, l'Espagne et la Hollande firent ensemble, il y a environ vingt ans, pour arrêter les conquêtes du Roi. »

6. « Il parle de la Flandre, où le Roi fit la guerre en 1667, et prit Douai, Tournai, Oudenarde, Ath, Alost et Lille. » (Note de Richelet.)

7. « Strada, Histoire de Flandre, dit que le dieu Mars a voyagé partout, et qu'il n'y a qu'en Flandre où il se soit arrêté pour se bâtir des places imprenables, qui sont comme autant de barrières à ceux qui veulent faire la conquête de ce pays. In alias terras peregrinari Mars ac circumferre bellum, hic sedem fixisse videtur. Famianus Strada, de Bello Belgico, décade I, livre I. » (Note de Richelet.)

tables', et qu'il en subjugue une autre' en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres. princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition, où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste avouez le vrai, MoNSEIGNEUR, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années'; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, MONSEIGNEUR : vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité', cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage, et de grandeur d'âme, que vous faites paroître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre Monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers de voir ainsi croître une

que

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I. Insurmontables manque dans le texte de Richelet.

2. « C'est la Franche-Comté, qu'il conquit en 1668. On l'appelle Bourgogne-Comté, pour la distinguer de la Bourgogne-Duché. La ville capitale de la Bourgogne-Comté est Besançon sur le Doubs; et la capitale de la Bourgogne-Duché, Dijon, où il y a de très-savants et de très-habiles gens. » (Note de Richelet.)

3. Dans l'édition de 1729 : « comme un autre Alexandre ». 4. « Avouez le, Monseigneur ». (Richelet.)

5. Ces derniers mots, depuis aussi bien, manquent dans Richelet. 6. « Pour témoins ». (Richelet.)

7. « Cette vivacité » manque dans Richelet; il en est de même des mots de courage; de ceux-ci : à tous les moments, qui terminent cette phrase; et de l'adverbe certainement, qui commence la sui

vante.

8. Mais n'est pas dans l'édition de 1729.

9. Richelet donne ainsi la fin de cet alinéa : « .... à notre Monarque, et un spectacle bien agréable à toute la France, de voir croitre une jeune plante qui couvrira de son ombre tant de peuples. »

jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples' et de nations'.

Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites. que celle-ci c'est, MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respectueux,

: :

Votre très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

1. Il y a, par erreur sans doute, tant de peuple, au singulier, dans l'édition de 1678.

2. On peut lire dans le livre de M. Dreyss, tome I, p. LXXXXIII et suivantes, ce que la naissance et l'enfance du Dauphin inspirèrent à l'enthousiasme des complimenteurs officiels. Nous n'en citerons que le quatrain suivant, composé en 1667, peu de temps par conséquent avant cette épître de la Fontaine, par le chevalier d'Aceilly, gentilhomme ordinaire de la chambre de Sa Majesté :

DAUPHIN, dont la valeur par le Ciel fut choisie
Pour abattre le trône et l'orgueil des tyrans,
Régnez dès l'âge de quinze ans,

Mais allez régner en Asie.

PRÉFACE.

L'INDULGENCE que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables1 me donne lieu d'espérer la même grâce pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers : il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun'; que d'ailleurs la contrainte de la

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1. « Ces mots prouvent qu'antérieurement à l'année 1668, époque de la publication de ce premier recueil, la Fontaine avait déjà fait paraître quelques-unes de ses fables, ou qu'elles avaient circulé en manuscrit. » (Note de Walckenaer.) — Cette dernière conjecture nous paraît la plus probable : on ne connaît pas, que nous sachions, de fable de la Fontaine publiée avant 1668.

2. Il s'agit du célèbre Patru, né en 1604, mort en 1681. Reçu à l'Académie française le 3 septembre 1640, « il y prononça un fort beau remerciement, dont on demeura si satisfait, qu'on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis d'en faire autant. » (Histoire de l'Académie françoise, par MM. Pellisson et d'Olivet, Paris, J. B. Coignard, 1743, in-12, tome I, p. 211.) — « C'étoit, selon le P. Bouhours, l'homme du Royaume qui savoit le mieux notre langue. Ajoutons qu'il la savoit, non pas en grammairien seulement, mais en orateur........ On le regardoit effectivement comme un autre Quintilien, comme un oracle infaillible en matière de goût et de critique. Tous ceux qui sont aujourd'hui nos maitres par leurs écrits se firent honneur d'être ses disciples. » (Ibidem, tome II, p. 176 et 177.) — Nous voyons, il est vrai, quelques lignes plus loin, dans cette même Histoire, que, si la Fontaine et Boileau eussent écouté cet oracle infaillible, nous n'aurions jamais eu ni les Fables, ni l'Art poétique.

3. Cette opinion de Patru, à laquelle heureusement la Fontaine ne se rendit pas, paraît avoir été fort répandue, si nous en jugeons par le grand nombre de traductions des fables d'Ésope qui furent faites en prose dans notre pays. Sans remonter au quinzième siècle, où Guillaume Tardif, lecteur de Charles VIII, traduisit du latin de Laurent Valla trente-trois apologues d'Esope, au dix-septième siècle même nous voyons un M. de Boissat, de l'Académie française, pu

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