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FABLE VI.

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE, ET LA BREBIS,
EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION.

Ésope, fab. 38, Λέων καὶ Ὄνος καὶ Ἀλώπηξ; fab. 225, Λέων καὶ ὌναYpos (Coray, p. 24 et 25, p. 147 et 148, p. 298). — Babrius, fab. 67, "Ovaypos xaì Aéwv.— Phèdre, livre I, fab. 5, Vacca et Capella, Ovis et Leo. - Abstemius, fab. 187, de Leone partem prædæ a Lupo petente.Romulus, livre I, fab. 6, Vacca et Capella, Ovis et Leo. — Roman du Renart (édition Méon, tome I, p. 207 et suivantes, vers 5584-6168).

- Marie de France, fab. 11, dou Lion, dou Bugle et de un Leu; et fab. 12, dou Lion qui ala chacier od la Chieure et la Brebis. — Haudent, 1o partie, fab. 116, d'un Lyon et quelques autres Bestes; fab. 173, d'un Lyon, d'un Asne et d'un Regnard. Corrozet, fab. 5, du Lyon, de la Brebis, et autres Bestes; fab. 64, du Lyon, de l'Asne et du Renard. Le Noble, fab. 12, du Lion et des autres Animaux, La puissance tyrannique.

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Mythologia sopica Neveleti, p. 120, p. 271, p. 356, p. 386, p. 392, p. 490, p. 612.

Manuscrits de Conrart (tome XI, p. 536), et Manuscrit de SainteGeneviève,

« Voilà certainement, dit Chamfort, une mauvaise fable que la Fontaine a mise en vers d'après Phèdre (et d'après la fable 215 d'Ésope). L'association de ces quatre personnages est absurde et contre nature. Quel besoin le Lion a-t-il d'eux pour chasser? Ils sont eux-mêmes le gibier qu'il cherche. Si Phèdre a voulu faire voir qu'une association avec plus fort que soi est souvent dangereuse, il y avait une grande quantité d'images ou d'allégories qui auraient rendu cette vérité sensible. Voyez la fable du Pot de terre et du Pot de fer. » Le critique a raison; mais, malgré tout, qui voudrait perdre le discours du Lion? Et ne faut-il pas, dans l'apologue, admettre quelques invraisemblances de ce genre? Avouons toutefois que le sujet et tout le développement de la fable sont heureusement modi

fiés, comme le fait remarquer Geruzez, dans un long récit du Roman du Renard, qui, par le cadre, se rapproche du numéro 38 d'Esope. Robert (tome I, p. 32-34) cite un ancien fabliau qui a pour titre la Compaignie Renart1, et qui résume élégamment le récit du Roman. « Les associés du Lion sont le Loup et le Renard ; ils s'emparent en commun d'un taureau, d'une vache et d'un veau. Le Loup propose de donner le taureau au Lion; il prendra pour lui la génisse, et le veau sera la part du Renard. A cette proposition, le Lion étend sa griffe, et déchire au Loup la peau du front,qu'il lui rabat sur le museau: Le cuir de la grise pel

....

Li abat desus le musel;

puis il dit au Renard de proposer un autre partage. Maître Renard adjuge le taureau au Lion, la vache à « Madame la Lionesse, » qui la .... mengera souz sa cortine,

Puis il ajoute :

Ou ele gist en sa gesine.

Et vostre filz, mi Damoisel,

Si aura le petit veel.

Le Lion émerveillé demande au Renard qui l'a rendu si habile à faire les partages. C'est, répond-il,

Cil bachelers que ie voi là
Qui si se fet fier et harouge,
Porce qu'il a aumuce rouge. »

– On peut voir dans le livre de M. Soullié, p. 124, la fable latine tirée probablement, soit du fabliau, soit du Roman, par Robert Messier (Sermones, Paris, 1524, in-8°, f 154, col. 1). M. Benfey (Pantschatantra, tome I, p. 354) nous apprend que les Tuaregs d'Afrique connaissent l'apologue de la part du Lion, ainsi que plusieurs autres de ceux que contient le livre de Calila et Dimna.

Rousseau (toujours au livre II d'Émile) voit dans cette fable une leçon d'injustice. « Dans toutes les fables, dit-il, où le Lion est un des personnages, comme c'est d'ordinaire le plus brillant, l'enfant ne manque pas de se faire Lion ; et quand il préside à quelque partage, bien instruit par son modèle, il a grand soin de s'emparer de tout. » Pour cette critique, nous ne pouvons, comme pour toutes

1. Ce fabliau se lit au f 253 v° d'un recueil de poésies qui est aux manuscrits de la Bibliothèque nationale, fonds français, no 837.

celles du même genre, que renvoyer encore à la fin de la xvire leçon de M. Saint-Marc Girardin, qui distingue avec un rare bon sens ce qu'il en faut prendre et laisser.

La Génisse, la Chèvre, et leur sœur la Brebis,
Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la Chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.
Eux venus, le Lion par ses ongles compta,

Et dit: Nous sommes quatre à partager la proie.
Puis en autant de parts le cerf il dépeça;

Prit pour lui la première en qualité de Sire :
Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,

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C'est que je m'appelle Lion :

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord'. »

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2. Phèdre met dans la bouche du Lion ces quatr vers énergiques et précis :

Ego primam tollo, nominor quia Leo;

Secundam, quia sum fortis, tribuetis mihi;
Tum, quia plus valeo, me sequetur tertia;
Malo afficietur, si quis quartam tetigerit.

La première raison est dans Esope (fab. 225) : ßxotλeùs yép elμ: et dans Marie de France (fab. 12):

La greignur (plus grande) part deit estre meie,
Car ieo sui rois, la cort l'otreie (la cour l'octroie).

FABLE VII.

LA BESACE.

Ésope, fab. 337, O dúo thρas nuμévos (Coray, p. 221 et 222). - Babrius, fab. 66, "Avoρшños σùν duaì лhpais. Phèdre, livre IV, Ἄνθρωπος σὺν δυσὶ πήραις. fab. 10, de Vitiis hominum. Avianus, fab. 14, Simia et Jupiter. La Fontaine a composé sa fable des trois fables anciennes qu'il a pu connaître, et dont deux, l'ésopique et celle de Phèdre, sont à peu près identiques. Avianus lui a fourni la comédie, comme l'appelle M. Saint-Marc Girardin (x11o leçon, tome I, p. 414), par laquelle l'apologue commence, ce cadre des animaux comparaissant devant Jupiter; Ésope et Phèdre, l'allégorie de la fin, les deux poches ou la besace, que Prométhée lui-même, dit Babrius, attacha à l'homme (celle de derrière beaucoup plus grande), aussitôt après l'avoir créé. Voyez la dernière note de la fable.

Mythologia sopica Neveleti, p. 434, p. 464.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 357 (par erreur, pour p. 361).

Jupiter dit un jour : « Que tout ce qui respire
S'en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,

Il peut le déclarer sans peur ;

Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe; parlez le premier, et pour cause1.

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1. << Plaisanterie de Jupiter, qui suppose que le Singe (qu'Avianus désigne par l'épithète turpissima) aura plus à se plaindre que les autres. » (Note d'Adry, dans le Vocabulaire qui termine son édition des Fables de la Fontaine, Paris, H. Barbou, 1806, p. 383.) — L'abbé Guillon cherche ailleurs, et un peu trop loin, ce nous semble, la raison des mots et pour cause : « Un fabuliste anglais, dit-il, M. Merrick, a expliqué cette cause par une fable ou allégorie, dans le style des Métamorphoses d'Ovide : « Jupiter avait changé en singes une << race d'hommes indignes de ce nom. Touchés de repentir, les

Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

Êtes-vous satisfait? - Moi? dit-il; pourquoi non? N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres? 10 Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché;

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Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché :
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'alloit plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très-fort;
Glosa sur l'Éléphant, dit qu'on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'étoit une masse informe et sans beauté.
L'Éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il étoit, dit des choses pareilles :
Il jugea qu'à son appétit2

Dame Baleine étoit trop grosse.

Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,

Se croyant, pour elle, un colosse.
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Jupin les renvoya s'étant censurés tous,

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Du reste, contents d'eux 5. Mais parmi les plus fous

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« coupables prièrent le dieu de leur rendre les traits de l'homme << et l'usage de leur raison. Jupiter ne voulut leur accorder qu'une << partie de leur prière : il leur refusa la raison, mais leur donna le << premier rang après l'homme. »>

2. A son sens, à son gré.

3. C'est presque le mot même de Phèdre (vers 5):

Alii simul delinquunt, censores sumus.

4. VAR. La première édition, 1668, in-4°, et, d'après elle, les éditions de 1682 (Paris, Barbin), et de 1708 (Londres), portent content, au singulier. Cependant, dès 1668 même, l'édition in-12 donne contens, qui forme un sens très-différent, et qui est reproduit par l'édition de 1669. Dans l'édition de 1678, on lit content, comme dans l'in-4° de 1668; mais cette leçon est corrigée dans l'Errate, qui rétablit contens. Il y a également contens dans l'édition de 1688 (la Haye, van Bulderen).

5. La donnée contraire, le Cheval se plaignant de toutes ses im

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