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Le Renard s'en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute'. »
Le Corbeau, honteux et confus",

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendroit plus.

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5. « Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la sottise : c'est le Renard qui donne la leçon à celui qu'il a dupé, ce qui rend cette petite scène, en quelque sorte, théâtrale et comique. » (CHAMFORT.)

6. Ce vers se lit ainsi dans le Manuscrit de Sainte-Geneviève :

Le Corbeau tout piqué, tout honteux, tout confus.

FABLE III.

LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE
QUE LE BOEUF.

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Ésope, fab. 420, Bous xat puvos (Coray, p. 273). Babrius, fab. 28, même titre. Horace, livre II, satire III, vers 314-320. - Phèdre, livre I, fab. 24, Rana rupta et Bos. fab. 21, Rana rupta et Bos. Grenoille.

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Romulus, livre II,

Haudent, ire partie, fab. 142, d'une

Corrozet, fab. 31, de la Grenoille et du Bouf.

Boursault, les Fables d'Ésope, acte IV, scène 111, la Grenouille et le Bœuf. - Le Noble, fab. 95, du Bœuf et de la Grenouille. L'émulation du luxe, Mythologia sopica Neveleti, p. 403, p. 515.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 368 (par erreur, pour p. 372). — Elle est dans les Manuscrits de Conrart (tome XI, p. 537) sous ce titre : « la Grenouille qui veut ressembler au Boeuf; » et dans le Manuscrit de SainteGeneviève, sous celui-ci : « la Grenouille tâchant de devenir aussi grosse que le Bœuf. »

Martial (livre X, épigramme LXXIX, vers 9 et 10) fait allusion à cette fable, en parlant d'Otacilius qui veut imiter Torquatus :

Grandis ut exiguam Bos Ranam ruperat olim,

Sic, puto, Torquatus rumpet Otacilium;

et la Satire Ménippée, dans la Harangue du recteur Roze (édition de 1594, p. 93), l'applique ainsi au duc de Mayenne : « Vous auez beau faire le Roy et contrepeter le Biarnois en edicts et declarations.... Quand vous deuriez creuer et vous enfler gros comme vn bœuf, comme feit la mere Grenouille, vous ne serez jamais si gros seigneur que luy. > On peut voir de cette fable un très-spirituel et piquant commentaire dans la x11° leçon de M. Saint-Marc Girardin (tome I, p. 410 et suivantes). Rousseau, à qui cette fois la

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fable entière ne donne point de prise, s'attaque au quatrain qui la termine. Après avoir critiqué, d'une manière générale, l'usage des affabulations : « Que signifient, dit-il, les quatre vers que la Fontaine ajoute à la fable de la Grenouille qui s'enfle? A-t-il peur qu'on J. DE LA FONTAINE, I

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ne l'ait pas compris? A-t-il besoin, ce grand peintre, d'écrire les noms au-dessous des objets qu'il peint? Loin de généraliser par là sa morale, il la particularise, il la restreint, en quelque sorte, aux exemples cités, et empêche qu'on ne l'applique à d'autres. Je voudrois qu'avant de mettre les fables de cet auteur inimitable entre les mains d'un jeune homme, on en retranchât toutes les conclusions par lesquelles il prend la peine d'expliquer ce qu'il vient de dire aussi clairement qu'agréablement. Si votre élève n'entend la fable qu'à l'aide de l'explication, soyez sûr qu'il ne l'entendra pas même ainsi. » (Émile, livre IV.) — M. Taine, au contraire, et avec bien plus de raison ce nous semble, paraît goûter beaucoup la manière dont notre poëte intervient ici, et en maint autre endroit, par l'affabulation : voyez son livre de la Fontaine et ses fables (4o édition, p. 80).

Une Grenouille vit un Boeuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille',
Pour égaler l'animal en grosseur,

Disant : « Regardez bien, ma sœur;

Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore? -Nenni.-M'y voici donc?-Point du tout.-M'y voila?

Vous n'en approchez point3. » La chétive pécore

*

1. Dans le Manuscrit de Conrart, « envieuse » manque, et le vers est ainsi :

S'enfle, s'étend et se travaille.

2. «Non point, » dans le Manuscrit de Conrart et dans le Manuscrit de Sainte-Geneviève.

3. La Fontaine a pris d'Horace la vivacité du dialogue. Dans la fable latine, la Grenouille, à qui l'on a parlé du Bœuf, et qui ne le voit point, demande quelle taille avait l'énorme bête (ingens bellua): Illa rogare,

....

« Quantane? num tantum, sufflans se, magna fuisset?
Num tanto? Quum magis atque

Major dimidio.

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Se magis inflaret : « Non, si te ruperis, inquit,

a Par eris.... » (Livre II, satire III, vers 316-320.)

4. Ce mot n'a pas ici le sens injurieux qu'on lui donne ordinairement dans le langage familier (voyez Rabelais, livre II, fin du chapitre xvi); il est pris au propre, et « au propre il signifie, dit Ri

S'enfla si bien qu'elle creva".

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Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages': Tout bourgeois veut bâtir' comme les grands seigneurs3, Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages".

chelet (1680), un animal, une bête; » c'est le pecus, pecoris des Latins. « Il est, ajoute Richelet, bas et burlesque. »

5. Le même vers, aux temps près, se lit dans la vieille fable sur le même sujet que Robert (tome I, p. 14 et 15) a extraite du recueil déjà cité (Ysopet 1, fo 46) :

S'enfle si fort que elle creue.

6. Horace, d'une façon très-piquante, se fait, comme le remarque M. Soullié (p. 92), appliquer à lui-même, par son interlocuteur, la morale de la fable.

7. Le Roi, à ce moment, faisait construire Versailles, et donnait à tous l'exemple de la passion pour les bâtiments.

8. « Il y en a qui ne se contentent pas de renoncer à leur air propre et naturel, pour suivre celui du rang et des dignités où ils sont parvenus; il y en a même qui prennent par avance l'air des dignités et du rang où ils aspirent. Combien de lieutenants généraux apprennent à paroître maréchaux de France! Combien de gens de robe répètent inutilement l'air de chancelier, et combien de bourgeoises se donnent l'air de duchesses! » (LA ROCHEFOUCAULD, Réflexions diverses, III, de l'Air et des Manières, édition de M. Gilbert, tome I, p. 289.)

9. « Il est vrai, dit Saint-Simon (tome II, p. 97), que les titres de comtes et de marquis sont tombés dans la poussière par la quantité de gens de rien et même sans terres, qui les usurpent, et par là tombés dans le néant : si bien même que les gens de qualité qui sont marquis ou comtes, qu'ils me permettent de le dire, ont le ridicule d'être blessés qu'on leur donne ces titres en parlant à eux. » Les marquis étaient donc fort déchus : or il en coûtait pour entretenir des pages, et il n'y avait guère alors que le Roi et les princes du sang qui en eussent. « Mettez mon fils à l'Académie, écrivait à sa femme le financier Montauron, donnez-lui un gouverneur; car il le faut élever en homme de condition. » Elle lui répondit : « Je lui donnerai des pages, si vous voulez ; vous n'avez qu'à m'envoyer de l'argent. » (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3e édition, Paris, 1857, in-8°, tome VI, p. 233, note.)

FABLE IV.

LES DEUX MULETS.

Ésope, fab. 58, "Ovos xal "Inños (Coray, p. 35 et 36, p. 311).Phèdre, livre II, fab. 7, Muli et Latrones.

fab. 3, Equus et Asinus.

Romulus, livre III,

Corrozet, fab. 67, de l'Asne et du Cheual,

Mythologia sopica Neveleti, p. 138, p. 413.

Manuscrits de Conrart, tome XI, p. 535.

Deux Mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle1.

Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchoit d'un pas relevé,

Et faisoit sonner sa sonnette':
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l'argent,
Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l'arrête.

Le Mulet, en se défendant3,

Se sent percer de coups; il gémit, il soupire. «Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avoit promis?

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1. On appelait ainsi l'impôt sur le sel et le grenier où le sel se vendait.

2. Ille, onere dives, celsa cervice eminet,

Clarumque collo jactat tintinnabulum. (PHÈDRE, vers 4 et 5.) 3. L'édition de 1668, in-4°, porte :

Le Mulet se défendant.

Mais c'est sans doute une faute d'impression; on ne la retrouve ni dans l'édition in-12 de 1668, ni dans celles de 1669 et de 1678. 4. « Est-ce cela, ce dit-il » (Manuscrit de Conrart); erreur de copiste, qui fausse le vers.

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