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troduction de Robert, p. cxcix et cc. Il existe de la Cigale et la Fourmi une parodie faite au dix-septième siècle même, et assez injurieuse pour Mme de Grignan, qui y joue le rôle de la Fourmi. On peut la voir au tome IV, p. 499, du Recueil Maurepas, à la Bibliothèque nationale, et tome III, p. 348 et 349, de la Correspondance de Bussy, édition Lalanne, Paris, 1858, in-12.

La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine

Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister'
Jusqu'à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal".

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3. Un grand nombre d'éditions modernes, et des meilleures, ont un point d'exclamation après vermisseau. Nous avons à peine besoin de dire que la phrase n'est point ainsi ponctuée dans les anciennes impressions. On rencontre pour la première fois ce point d'exclamation dans l'édition des Fables donnée par Didot l'aîné, en 1781, par ordre de Monseigneur le comte d'Artois, 2 vol. in-18. 4. La Fourmi implore la Cigale avec cette même modestie dans la fable latine de Neckam (Poésies inédites du moyen áge, par Édélestand du Méril, Paris, 1854, p. 199, vers 1 et 2):

Formicam bruma narratur adisse Cicada,

Ut sibi frumenti paucula grana daret.

5. L'out, l'août, la moisson. « Es parties septentrionales, les bleds ne sont couppés qu'en aoust, duquel mois, à telle cause, la cueillette en porte le nom, de lui, en tels endroits, dite l'aoust.» (O. de Serres, cité par M. Littré au mot Août.) — Voyez livre V, fable IX, vers IO. 6. Le principal, c'est-à-dire le capital, ou, comme l'on disait autrefois, le sort principal de la dette.

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La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.

Nuit et jour à tout venant

Je chantois, ne vous déplaise.

- Vous chantiez? j'en suis fort aise :

Eh bien! dansez maintenant1o. »

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7. C'est-à-dire, il n'y a point de défaut qui soit plus contraire aux habitudes de la Fourmi, que la Fourmi ait moins que celui d'ètre prêteuse (et l'on ne peut nier qu'être prêteuse ne soit un défaut aux yeux de la prudence étroite et vulgaire, et même de l'économie bourgeoise, que représente ici la Fourmi). Ce tour équivaut à une véritable négation, à laquelle il se mêle ordinairement une légère nuance d'ironie. On l'a critiqué comme obscur, parce qu'il est peut-être moins usité qu'autrefois. Molière a dit de même dans l'École des maris (acte I, scène Iv) :

Je coquette fort peu, c'est mon moindre talent.

8. « Ne vous desplaise » est un tour de Rabelais. Ces mots terminent le chapitre vi de son livre III (tome I, p. 388, édition le Duchat, Amsterdam, 1741).

9. Dans les éditions anciennes, selon l'orthographe ordinaire du temps: « Et bien », sans point d'exclamation.

10. Ce dernier trait, si bien aiguisé en épigramme, est déjà dans la première des fables ésopiques auxquelles nous avons renvoyé : d θέρους ὥραις ηὔλεις, χειμῶνος ὀρχοῦ, « si tu jouais de la flute dans la saison d'été, danse l'hiver. » — – Voltaire, qui en divers endroits de ses OEuvres, cinq tout au moins, exprime le peu de goût qu'il a pour cette fable (ce n'est pas, il faut en convenir, une des plus élégantes de notre auteur), a fait des derniers vers deux critiques bien étranges, « Comment une fourmi, demande-t-il dans le Catalogue déjà cité (tome XIX, p. 129), peut-elle dire ce proverbe du peuple à une cigale?» et dans les Questions sur l'Encyclopédie (article Fable, édition de Londres 1771), il s'écrie, après avoir cité les deux vers: « Comme si les fourmis dansaient! » Cette dernière exclamation, il est vrai, il l'a lui-même supprimée dès 1775, en reproduisant l'article Fable dans le Dictionnaire philosophique.

FABLE II.

LE CORBEAU ET LE renard.

Ésope, fab. 204, Kópak xaì 'Ahóa (Coray, p. 131 et 132). Babrius, fab. 77, même titre.

Aphthonius, fab. 29, Fabula Corvi et Vulpeculæ, monens ne fraudulentis credatur.—Tzetzès, chiliade X, 352.

-

- Phèdre, livre I, fab. 13, Vulpis et Corvus. Romulus, livre I, fab. 14, Vulpis et Corvus. Roman du Renart (aux manuscrits de la Bibliothèque nationale, fonds français, no 371, fos 47 et 48; édition Méon, tome I, p. 267-274, vers 7187-7382). Marie de France, fab. 14, d'un Corbel qui prist un fromaiges (comparez la fable 51). — La Farce de maistre Pierre Patelin, scène vi, vers 438-453 (édition Génin). Haudent, 1re partie, fab. 122, d'un Corbeau et d'un Regnard. Corrozet, fab. 11, du Renard et du Corbeau. - Boursault, Ésope à la ville ou les Fables d'Ésope, acte III, scène iv, le Corbeau et le Renard. Le Noble, fab. 69, du Renard et du Corbeau. La flatterie. — M. Soullié, dans l'ouvrage intitulé : La Fontaine et ses dePanciers (Paris-Angers, 1861), a suivi, comme il dit, ce sujet « à travers les âges, » et, dans divers chapitres, il apprécie comparativement la manière dont l'ont traité la plupart des auteurs, soit anciens soit du moyen âge, mentionnés par nous dans les lignes qui précèdent.

Mythologia sopica Neveleti, p. 256, p. 344, p. 364, p. 397, p. 497. Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 358 (par erreur, pour p. 362). — Elle est dans les Manuscrits de Conrart (bibliothèque de l'Arsenal, 19 volumes in-folio, no 1830, tome XI, p. 533); et dans le Manuscrit Y', no 8, in-4o, de la bibliothèque Sainte-Geneviève.

Apulée, à la fin de ses Florides, nous donne une double version du Corbeau et du Renard: d'abord un développement assez prétentieux, puis le résumé suivant: Corvus, ut se vocalem probaret, quod solum deesse tantæ ejus formæ Vulpis simulaverat, crocire adorsus, prædæ, quam ore gestabat, inductricem compotivit. - Horace fait allusion à cette fable dans la satire v du livre II (vers 56). C'est ainsi du moins que la plupart des commentateurs, et en particulier le vieux sco

liaste Acron, entendent les mots : Corvum deludet hiantem. — « En supposant réellement à la Fontaine l'objet d'être entendu des enfants, de leur plaire et de les instruire, cette fable est assurément son chef-d'œuvre, » dit J. J. Rousseau au livre II d'Émile; puis, pour prouver qu'il ne faut pas faire apprendre de fables aux enfants, il entre dans une minutieuse analyse, et jugeant le chefd'œuvre, comme nous l'avons vu juger la fable 1, au point de vue de la morale et de l'éducation, il y voit pour l'enfant a une leçon de la plus basse flatterie, » et en fait une critique qui n'épargne rien, mais dont la sévérité est à nos yeux peu convaincante (voyez la xvir leçon, déjà citée, de M. Saint-Marc Girardin, tome II, p. 99 et suivantes). Cette critique, Rousseau la rappelle au livre IV d'Émile, et y revient encore en deux mots dans la Nouvelle Heloise (5 partie, lettre ). — Voltaire, non comme moraliste, mais comme poëte, ne paraît pas non plus goûter beaucoup la fable 1 (voyez au tome XXXIX de ses OEuvres, p. 216, et au tome XLVIII, p. 268).

Lessing a traité le même sujet dans sa fable 15 du livre II, mais il y a fait un changement qui sans doute eût agréé à Rousseau. Au lieu d'un fromage, c'est un morceau de viande empoisonnée que lâche le Corbeau et que happe le Renard, et l'auteur termine par cet honnête vœu : « Puissiez-vous, par vos perfides louanges, ne jamais gagner que du poison, flatteurs maudits! » — Parmi les fables de la Fontaine, celle-ci est la première qui corresponde à l'une des fables ésopiques choisies par le roi Louis XIV, « pour orner, nous dit Benserade, le Labyrinthe de Versailles. »

Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage1.

Maître Renard, par l'odeur alléché,

1. Dans deux des cinq fables grecques données par Coray, ce n'est pas un fromage, mais un morceau de viande que tient le Corbeau. La fable du Renart et du Corbel, citée par Robert (Fables inédites, etc., tome I, p. 9 et p. CLXVIII) comme extraite du recueil de fables du quatorzième siècle qu'il désigne par le nom d'Isopet l", commence ainsi :

Sire Tiercelin le Corbiau,

* Manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds français, no 1594. Le Renart et le Corbel est la fable 15 de ce recueil (fo 17).

Lui tint à peu près ce langage :

« Hé! bonjour, Monsieur du Corbeau3.

Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

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Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois'.
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie*.

Qui cuide estre auenant et biau,
Tenoit en son bec un fourmage.

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On y lit un peu plus loin, dans le discours du Renard : « Si vous chantiez comme chantait votre père,

le cuid' qu'en tout le bois n'éust
Oisel qui tant à tout pléust. »

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2. Voyez livre XII, fable xv, vers 128. On lit dans Rabelais (livre II, chapitre Iv, tome I, p. 211): « Monsieur de l'Ours; » et avec un nom de personne (livre I, chapitre xxx, tome I, p. 122): «Le paoure Monsieur du Pape. » — Le Manuscrit de Sainte-Geneviève porte: « Monsieur le Corbeau. »

3. Ce vers a trouvé grâce aux yeux de Voltaire; il en fait remar quer l'élégance (tome XXXIX, p. 220). — Apulée, à l'endroit cité, rend ainsi la même idée : tam pulchra ales, quæ ex omni avitio longe præcellit. La Fontaine rappelle lui-même, dans la fable 1 du livre II (vers 36 et 37), ces flatteries de maître Renard :

Ce sont des contes plus étranges

Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix.

4. « Ce vers est admirable : l'harmonie seule en fait image. Je vois un grand vilain bec ouvert; j'entends tomber le fromage à travers les branches. » (J. J. ROUSSEAU, Émile, livre II.) — Benserade, dans son xir quatrain, vise également à l'harmonie imitative, et nous

montre

.... le malheureux Corbeau

Qui de son bec ouvert laissa choir un fromage.

Apulée est imitatif aussi dans sa prose: Oblitus offulæ, quam mordicus retinebat, toto rictu hiavit.

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