Page images
PDF
EPUB

Martin fit alors son office 8.

Ceux qui ne savoient pas la ruse et la malice
S'étonnoient de voir que Martin
Chassât les lions au moulin".

Force gens font du bruit en France 10,
Par qui cet apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance 11.

7. Ailleurs : « Martin-bâton. » Voyez livre IV, p. 284, note 10.

fable ▾,

10

ci-dessus,

8. Le Paysan, chez Avianus, dit à l'Ane en le frappant (vers 17 et 18):

Forsitan ignotos mutato tegmine fallas,

At mihi, qui quondam, semper asellus eris.

-Le Renard, chez Faërne (vers 8), tourne plus finement son compliment : « J'aurais eu peur, si je n'avais reconnu, t'entendant braire, quel lion tu étais, »

Nisi qui leo esses, te rudente, cognossem.

C'est le trait que la Fontaine a reproduit dans la fable xix du livre II, vers 20-22.

9. Le moulin est dans l'une des fables grecques (258) :

Τοῦτον μυλὼν ἔμνησε τῆς ἀταξίας,

« le moulin l'avertit (et le châtia) de son déréglement. » 10. La Fontaine dira plus loin (livre VIII, fable xv, vers 1): Se croire un personnage est fort commun en France. 11. Benserade termine ainsi son quatrain (le xcvII®) :

[ocr errors]

.... Son maître lui dit, le connoissant au ton:

« Vous faites le vaillant? » Que de coups de bâton! Voici la morale de Faërne (vers 9 et 10):

Indoctus idem atque adrogans suo semet
Sermone et ignorantiam suam prodit;

et celle de la première des trois fables du moyen âge données par M. du Méril (p. 266):

Est asinus, quamvis indutus pelle leonis,
Indignus magno quisquis honore tumet.

APPENDICE

[blocks in formation]

Vous savez que nous avons deux poches ou deux besaces: la poche de derrière, où nous mettons tous nos défauts, et celle de devant, où nous mettons les défauts d'autrui.

Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,

dit la Fontaine,

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes:
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,

Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui :

Il fit pour nos défauts la poche de derrière,

Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

Le mérite de l'allégorie, de la fable ou de la parabole, est de savoir se servir à merveille de cette heureuse disposition de notre nature. L'allégorie prend dans la poche de devant, où sont les défauts d'autrui, les exemples qu'elle veut mettre sous nos yeux; elle nous les fait regarder sans répugnance et même avec un certain plaisir; puis, quand, grâce à ces exemples d'autrui, notre attention est éveillée, l'allégorie se dissipe comme un brouillard placé un instant devant nos yeux, et le moraliste, tournant brusquement les deux poches et mettant devant celle de derrière, s'écrie:

[blocks in formation]

« C'est toi, sauf le changement de nom, c'est toi que touche la

1. Horace, livre I, satire 1, vers 69 et 70.

fable; » ou, plus hardiment encore, comme le prophète Nathan au roi David: Tu es ille vir1! « C'est toi qui es cet homme! › (SAINT-MARC GIRARDIN, la Fontaine et les Fabulistes, ive leçon, tome I, p. 91 et 92.)

[blocks in formation]

QUE LA CONSIDÉRATION DE NOs propres fautes NOUS DOIT EMPÊCHER

DE JUGER TROP FACILEMENT DE CELLES D'AUTRUI.

Un solitaire de Sceté ayant commis une faute, les anciens s'assemblèrent et envoyèrent prier l'abbé Moïse de vouloir venir. Ce qu'ayant refusé, ils l'en firent presser une seconde fois par un prêtre, qui lui dit qu'ils l'attendoient tous. Il vint done, portant sur son dos une vieille corbeille pleine de sable. Étant allés au-devant de lui et en le voyant en cet état, ils lui dirent : « Que veut dire cela, mon père? - Ce sont, leur répondit-il, mes péchés que je ne vois pas parce qu'ils sont derrière moi; et vous me faites venir ici pour être juge de ceux d'autrui. » Ce qu'ayant entendu, ils pardonnèrent à ce frère, sans lui parler davantage de la faute qu'il avoit faite.

(Les Vies des saints Pères des déserts et de quelques saintes, écrites par des Pères de l'Église, etc., traduites en françois par Arnauld d'Andilly. Paris, 1701, tome II, p. 635.)

[blocks in formation]

Chose bien commune et vulgaire entre les humains est le malheur d'aultruy entendre, preuoir, congnoistre, et predire. Mais ô que chose rare est son malheur propre predire, congnoistre, preuoir et entendre! Et que prudemment le figura Esope en ses apologues, disant chascun homme en ce monde naissant une bezace au col por

1. Livre II des Rois, chapitre Xxï, verset 7.

« PreviousContinue »