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Que produira l'auteur après tous ces grands cris?
La Montagne en travail enfante une Souris.

Voyez dans la notice de la fable les applications analogues faites par Lucien et Rabelais. Dans la vieille fable d'Ysopet I, citée par Robert, la moralité, prise en un sens très-général, se résume en

ce vers:

Le sage de l'anflé se moque.

FABLE XI.

LA FORTUNE ET LE JEUNE ENFANT.

Ésope, fab. 152, Οδοιπόρος καὶ Τύχη, Παῖς καὶ Τύχη (Coray, p. 165, p. 387 et 388, sous quatre formes). Babrius, fab. 49, 'Epyáty καὶ Τύχη. - Haudent, 2o partie, fab. 19, d'un leune homme et de Fortune. Corrozet, fab. 83, de l'Enfant et de Fortune. Regnier, satire xiv, vers 85-92 (voyez la dernière note de la fable). Mythologia sopica Neveleti, p. 293.

Dans deux des fables de Coray, c'est un Enfant, comme dans la nôtre, qui s'endort au bord du puits; dans les deux autres, c'est un Voyageur; dans celle de Babrius, un Ouvrier, un Laboureur. — La fable 33 d'Abstemius, de Anu Dæmonem accusante (Mythologia sopica Neveleti, p. 548), a la même morale que celle de la Fontaine, mais l'action est différente : c'est une Vieille qui grimpe à un arbre et se laisse choir; le Destin (Dæmon) déclare, invoquant des témoins, qu'il a prévu, mais non causé sa chute. M. Saint-Marc Girardin, dans sa xve leçon, de la Destinée de l'homme (tome II, p. 41 et 42), cite cet apologue en entier, et le fait précéder de sages réflexions sur le rôle de la Fortune dans notre vie, et sur celui que lui donne le fabuliste : < La Fontaine, dit-il en commençant, aime à défendre la Fortune, ou plutôt il aime à renvoyer aux hommes les reproches qu'ils lui font. »

Sur le bord d'un puits très-profond

Dormoit, étendu de son long,

Un Enfant alors dans ses classes1.

Tout est aux écoliers couchette et matelas.
Un honnête homme, en pareil cas,
Auroit fait un saut de vingt brasses.
Près de là tout heureusement

La Fortune passa, l'éveilla doucement,
Lui disant : « Mon mignon, je vous sauve la vie;

1. Voyez le Lexique.

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Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l'on s'en fùt pris à moi;
Cependant c'étoit votre faute.

Je vous demande, en bonne foi,
Si cette imprudence si haute

Provient de mon caprice. » Elle part à ces mots.

Pour moi, j'approuve son propos.
Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde2:
Nous la faisons de tous écots";

Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures;
On pense en être quitte en accusant son sort :
Bref, la Fortune a toujours tort*.

2.

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« Quelque malheur que chacun s'attire à soi-même, dit la Fortune chez Babrius, c'est moi, en somme, qu'on accuse de tout; >

Ἐμοὶ γὰρ ἐγκαλοῦσι πάντα συλλήβδην,

Ὅσ ̓ ἂν παρ ̓ αὑτοῦ δυστυχῇ τις.... (Vers 6 et 7.)

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3. Nous lui attribuons une part de tout ce qui arrive; nous la faisons responsable de tout. Écots (escots) est l'orthographe de l'édition de 1668 in-4o; il y a échos dans les autres éditions du dix-septième siècle, y compris celle de 1678; le texte de 1729 porte écots: 4. Voici le passage de Regnier auquel renvoie la notice:

A ce point le malheur, amy, comme ennemy,
Trouuant au bord d'un puits un enfant endormy,
En risque d'y tomber, à son aide s'auance,

Et luy parlant ainsi le resueille et le tance :

« Sus, badin, leuez-vous; si vous tombiez dedans,
De douleur vos parens, comme vous imprudens,
Croyans en leur esprit que de tout ie dispose,
Diroient en me blasmant que i'en serois la cause. »
Ainsy nous seduisant d'une fausse couleur,
Souuent nous imputons nos fautes au malheur,

Qui n'en peut mais; mais quoy? l'on le prend à partic,
Et chacun de son tort cherche la garantie.

J. DE LA FONTAINE. I

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FABLE XII.

LES MÉDECINS.

Ésope, fab. 31, 'laтpòç xal Nos@v (Coray, sous deux formes, p. 21); fab. 43, Nooшv xxì 'Iatpós (Coray, p. 27, p. 302). Aucune de ces fables grecques ne se rapporte exactement à celle de la Fontaine. La première, qui a été mise en français par Haudent (2o partie, fab. 25, d'un Medecin et des hommes portant un corps mort), développe le trait final «S'il m'eût cru, etc. » (Voyez la dernière note de la fable.) La seconde met en scène un médecin Tant-mieux. Benserade consacre aussi un quatrain (le cxx11e) au médecin Tant-mieux; son CXLVI raille le médecin Tant-pis.

:

« Cette fable, dit Chamfort, est moins un apologue qu'une épigramme. Comme telle, elle est même parfaite, et elle figurerait trèsbien parmi les épigrammes de Rousseau. ›

Le médecin Tant-pis alloit voir un malade
Que visitoit aussi son confrère Tant-mieux1.
Ce dernier espéroit, quoique son camarade
Soutînt que le gisant' iroit voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure,
Leur malade paya le tribut à nature3,

1. Dans le premier des quatrains de Benserade indiqués ci-dessus, Tant-mieux n'est pas le nom, mais, bien moins plaisamment, le propos constant du médecin :

Un de ces médecins qui font tant de visites

Au malade gisant disoit toujours : « Tant mieux. »

2. Benserade a employé le même mot, mais adjectivement: voyez la note précédente.

3. Boileau, dans sa xe satire (vers 412-418), nous montre deux médecins « mandés au secours » d'une malade, qui

Lui donnent sagement le mal qu'elle n'a point,

et

Au tombeau mérité la mettent dans les formes.

Après qu'en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.

L'un disoit : « Il est mort; je l'avois bien prévu*.

— S'il m'eût cru, disoit l'autre, il seroit plein de vie3. »

4. Dans le quatrain cxLví de Benserade, le médecin dit au fossoyeur enterrant le malade :

C'est dommage d'un tel, mais je me persuade
Qu'il ne pouvoit guérir, tant il étoit malsain.

5. Voyez la notice en tête de la fable. Coray pense que Démosthène fait allusion à la première des deux fables ésopiques (la 31o), lorsque, dans son Discours de la Couronne (édition Reiske, 1770, tome I, p. 307 et 308), il fait dire au médecin accompagnant le malade qu'on porte au tombeau : « Si cet homme avait fait ceci et cela, il ne serait pas mort : > Εἰ τὸ καὶ τὸ ἐποίησεν ἄνθρωπος οὑτοσὶ, οὐκ ἂν ἀπέθανεν.

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