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à se mettre de pair avec plus grand que soi; » et passant de l'allégorie au sens propre : « Le Pot de fer, dit-il, est bon prince.... C'est l'égalité parfaite. Seulement, comme l'un en prend plus que l'autre au fond n'en donne, il arrive un jour que tout change. Voltaire quitte Sans-Souci, où Frédéric l'avait invité, et revient en maudissant celui qu'il appelle Busiris au retour, et qu'il appelait le Salomon du Nord au départ. »

Le Pot de fer proposa

Au Pot de terre un voyage2.
Celui-ci s'en excusa,

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Disant qu'il feroit que sage
De garder le coin du feu ;
Car il lui falloit si peu,
Si peu, que la moindre chose

De son débris seroit cause :

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2. Dans presque toutes les fables indiquées ci-dessus, l'histoire se dans l'eau (un fleuve, un torrent, etc.). — Chez Haudent, les passe deux Pots veulent

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-

Dans la fable grecque, qui est très-courte, le Pot de terre prie le Pot d'airain de ne pas s'approcher, de nager loin de lui: paxpółɛv μou κολύμβα, καὶ μὴ πλησίον. Chez Faërne, c'est, comme chez la Fontaine, le plus fort qui se montre prévenant; mais sa prévenance est intéressée :

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Ahena, proprio prægravata pondere,
Sibique porro præcavens,

Suadere cœpit anteeunti fictili

Conjungi uti vellet sibi,

Quo rapidum aquarum sustinerent impetum

Junctis utrinque viribus. (Vers 3-8.)

3. Dans cette locution, qui se rencontre dans notre plus vieille langue, que a le sens du latin quod: a qu'il ferait ce que ferait le sage, c'est-à-dire « qu'il ferait sagement. » Voyez le Lexique. L'édition de 1729 rajeunit ainsi le tour :

Disant qu'il serait plus sage.

-

4. Débris, dans le sens de brisement, destruction. Voyez le Lexique.

J. DE LA FONtaine. I

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5. Il y a la même métaphore dans Faërne (vers 13 et 14):

Ut sospitem te dura præstabit cutis,
Fragilem meam sic conteret.

10

15

20

- Alciat, dont les Emblèmes parurent au seizième siècle, trente ou quarante ans avant les Fables de Faërne, fait dire au Pot de terre :

Ipsa ego te fragilis sospite sola terar.

6. Nous avons à peine besoin d'avertir que d'aventure, bien que nous ne le fassions pas précéder, non plus que les éditions originales, d'une virgule, ne dépend point de menace, mais a son sens ordinaire hasard. »

de par

7. Chez Haudent le Pot d'airain lui promet

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8. Benserade (quatrain cr), les faisant de même aller de conserve, ajoute ingénieusement une très-juste comparaison :

Le Pot de fer nageoit auprès du Pot de terre,
L'un en vaisseau marchand, I autre en vaisseau de guerre;
L'un n'appréhendoit rien, l'autre avoit de l'effroi,

Et tous deux savoient bien pourquoi.

– M. Taine (p. 141) voit spirituellement dans le Pot de fer un capitan qui propose son escorte. >

Clopin-clopant comme ils peuvent',
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet 10 qu'ils treuvent.

Le Pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux,
Ou bien il nous faudra craindre

Le destin d'un de ces Pots11.

9. Le Noble dit à peu près de même :

Et clochant sur trois pieds vinrent cahin-caha.

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Chez lui, comme chez la Fontaine, tout a lieu en terre ferme; mais il a donné à toute la fable un tour fort ridicule, et fait de la rencontre des deux marmites un duel en champ clos.

10. Hoquet, « obstacle, empêchement, » d'après du Cange (voyez son Glossaire, au mot Hoquetus); ou bien plutôt « accroc », en rattachant le mot au picard hoc, hoket, « croc, accroc, » d'où hoker, ahoker, « accrocher. »

11. La morale est ainsi rendue dans Avianus (vers 15 et 16):

Pauperior caveat sese sociare potenti;

Namque fides illi cum parili melior.

Dans Faërne (vers 15 et 16) :

Potentiorum semper est vicinitas

Vitanda tenuioribus.

Le Noble tire de la fable une morale un peu différente :

Sous le fort le foible succombe;

Sous le mauvais périt le bon.

- C'est dans le sens du premier de ces deux vers que Charles le Téméraire dit aux envoyés des quatre membres de Flandre qui viennent réclamer contre l'établissement d'un impôt considérable : « Je vous montrerai ce que vous ne pouvez ni ne devez faire. Ce sera la querelle du pot et du verre si le verre se heurte au pot, il est bientôt rompu. » Voyez l'Histoire des ducs de Bourgogne du baron de Barante, tome IX, p. 130 (Paris, 1829, in-8°).

FABLE III.

LE PETIT POISSON ET LE Pêcheur.

Esope, fab. 124, Aλieds xal Zuapís (Coray, p. 67, p. 326). — Babrius, fab. 6, Αλιεὺς καὶ Ἰχθύδιον.

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Haudent, 1 partie, fab.

Avianus, fab. 20, Piscator et

20, d'un Pescheur et d'un petit Le Noble, conte 68, du Pécheur et du petit Poisson. Le

refus indiscret.

Mythologia sopica Neveleti, p. 187, p. 469.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 361 (par erreur, pour p. 365).

La fable 70 de Corrozet, du Rossignol et de l'Oiseleur, développe la même idée, avec d'autres personnages; elle a fourni à la Fontaine le vers de sa morale (voyez la note 8). Dans une chronique en prose française, du treizième siècle, la Chronique de Rains, publiée par M. Louis Paris, l'archevêque de Rouen, Rigauld, raconte à saint Louis un apologue qui a beaucoup d'analogie avec celui de Corrozet; M. Éd. du Méril l'a cité en entier dans l'Introduction de ses Poésies inédites du moyen áge, p. 144–146 : Une mésange, prise par un paysan, le persuade de la laisser aller parce qu'elle est « une petite cose (chose), » et après s'être envolée, elle lui conscille de garder une autre fois ce qu'il tiendra. Chez le Noble, le Pêcheur prend un premier poisson, qu'il lâche; puis un second, qu'il garde, instruit qu'il est par l'expérience.

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie :

Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un Carpeau, qui n'étoit encore que fretin,

1. Voyez ci-dessus, p. 218, note 3.

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2. Outre Carpeau, la Fontaine emploie, au vers 11, la forme de

Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.

Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin; Voilà commencement de chère et de festin :

Mettons-le en notre gibecière. »

Le pauvre Carpillon lui dit en sa manière* :

«

Que ferez-vous de moi? je ne saurois fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir :

Je serai par vous repêchée;

5

Quelque gros partisan m'achètera bien cher :

Au lieu qu'il vous en faut chercher

Peut-être encor cent de ma taille

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Pour faire un plat : quel plat? croyez-moi, rien qui vaille. - Rien qui vaille? Eh bien! soit, repartit le Pêcheur: 20 Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,

Vous irez dans la poêle; et vous avez beau dire,

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diminutif plus usitée : Carpillon. Il y en a une troisième dans le Noble Carpette. Mme de Sévigné fait allusion à ce vers dans sa Lettre à Mme de Grignan du 18 octobre 1679 (tome IV, p. 51). 3. Plus usité en parlant des chasseurs que des pêcheurs.

4. VAR. : à sa manière. (1668 in-4o et in-12, 1679 Amsterdam, 1682, 1708 et 1729.) Boissonade, dans ses notes sur Babrius, rapproche les mots : « en sa manière, » du vers suivant (13) de l'auteur grec :

Τοιαῦτα μύζων ἱκέτευε καὶ σπαίρων,

« Il suppliait ainsi geignant et palpitant. » —

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Chez le Noble :

En fort piteux accents lui dit ces tristes mots.

Avianus (vers 5) le fait pleurer :

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5. Le Dictionnaire de Furetière (1690) définit le mot partisan : « Un financier, un homme qui fait des traités, des partis avec le Roi, qui prend ses revenus à ferme, le recouvrement des impôts. » - « Maintenant, dit le Poisson de Babrius (vers 6), combien me vendras-tu? » TÓσOU μE TOλńσEιs; « Plus tard je conviendrai à de riches festins : » πλουσίοις πρέπων δείπνοις (vers II).

6. Babrius parle aussi de la poêle à frire. C'est un petit poisson,

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