Page images
PDF
EPUB

Robert (tome I, p. 267-273) cite deux vieilles fables, dont la première (Ysopet I, fos 54 et 55) a pour personnages le Renard et son compère le Loup. Un bouvier, excité par le Renard, tue le Loup; mais le Renard tombe ensuite dans un piége et expie le mal qu'il a fait à son compère. La seconde (Ysopet II) se rapproche beaucoup plus de la nôtre. Le Cheval implore l'aide de l'Homme et est retenu par lui en esclavage, sans même avoir pu atteindre le Cerf, qui est sauvé par sa rapidité. Dans la fable latine de Romulus, et dans les deux de Neckam et de Baldo (Poésies inédites du moyen åge, par M. Éd. du Méril, p. 197 et 256), l'action est la même que dans Ysopet II: le Cheval ne peut vaincre le Cerf et pourtant demeure esclave de l'Homme.

De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de gland' se contentoit,
Ane, cheval, et mule, aux forêts habitoit *;

Et l'on ne voyoit point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts",

5

2. Ce vers, dont le sens est clair, mais la construction insolite et peu régulière, a été ainsi défiguré dans l'édition de 1679 (Amsterdam): De tout temps les chevaux étant nés pour les hommes.

3. Presque tous les éditeurs modernes, y compris Walckenaer, donnent glands, au pluriel. Les éditions originales, ainsi que la petite édition de 1682, celle de la Haye 1688, et celle de Londres 1708, écrivent gland ou glan, au singulier; et c'est le singulier qu'il faut en effet. Ce mot est pris dans un sens collectif, et désigne ici la nature de l'aliment; c'est la même locution que : « se nourrir de pain, de viande, de poisson, etc. » Horace (livre I, satire III, vers 99 et suivants) a dit absolument de la même façon :

Quum prorepserunt primis animalia terris,

Mutum et turpe pecus, glandem atque cubilia propter....

Pugnabant....

4. Voyez, pour ce singulier, la fable iv de ce livre, vers 6.

5. Sur son exemplaire de la Fontaine, le poëte lyrique Lebrun avait écrit la note suivante, citée par Solvet dans ses Études sur la Fontaine (1re partie, p. 129): « Au lieu de ces deux derniers vers et des quatre suivants, qui sont peu dignes de la Fontaine, on pourroit mettre seulement :

Nul n'étoit asservi comme au siècle où nous sommes. » Si Lebrun s'était borné à dire : « Les vers de la Fontaine équivalent à

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses;
Comme aussi ne voyoit-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un Cheval eut alors différend

Avec un Cerf plein de vitesse;

Et ne pouvant l'attraper en courant,

Il eut recours à l'Homme, implora son adresse.
L'Homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,

[blocks in formation]

Que le Cerf ne fut pris, et n'y laissât la vie;

Et cela fait, le Cheval remercie

10

15

L'Homme son bienfaiteur, disant : « Je suis à vous; Adieu je m'en retourne en mon séjour sauvage. -Non pas cela, dit l'Homme'; il fait meilleur chez nous,

cette pensée, ils peuvent se traduire de cette façon, » l'observation serait juste. Mais il est étrange qu'un poëte ait si mal compris la bonhomie satirique de notre fabuliste, et qu'il ait proposé sérieusement une correction qui altère à ce point le caractère du morceau.

6. Petites voitures légères, par opposition à carrosses, qui désigne des voitures plus grandes et plus lourdes. Le Manuscrit de SainteGeneviève porte chariots, au lieu de chaises.

7. Le Cerf est remplacé par un Sanglier chez Phèdre et dans le quatrain grec mis sous le nom de Gabrias (Coray, p. 208, et Nevelet, p. 366).

8. Bien-faiteur, en deux mots réunis par un trait d'union, dans l'édition de 1678. Celle de 1668 écrit bienfaiteur, en un seul mot. 9. Horace (vers 38) exprime par « un trait heureux et rapide, comme dit M. Soullié (p. 91), l'issue de l'aventure pour le Cerf :

Non equitem dorso, non frenum depulit ore.

Charles Fontaine traduit :

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]
[ocr errors]

10

Je vois trop quel est votre usage
Demeurez donc; vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière 11. »
Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté1??

Le Cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie 13;

L'Homme ne voulut demonter,

Ains tint le Cheual tousiours serf.

Et Benserade (quatrain LII) :

L'Homme....

Lui met, pour le venger, et la selle et le frein :
Il eut toujours depuis et le frein et la selle.

10. De quel usage vous êtes et pouvez être.

25

11. (L'Asne) feut frotté, dit Rabelais (livre V, chapitre VII, tome II, p. 198), torchonné, estrillé, lictiere fresche iusqu'au ventre, et plein ratelier de foing, pleine mangeoire d'auoine. >>

· Dans

la fable grecque de Nicéphore il est aussi question de l'étable, de la crèche : Ὁ δὲ ἵππος ἐπὶ φάτνης εἱστήκει, μετὰ χλόης καὶ τῆς πηγῆς προσαφαιρεθεὶς καὶ τὸ ἄνετον. « Le Cheval était la auprès de la crèche, ayant perdu, avec l'herbe verte et la fontaine (qu'il avait disputées au Cerf), son indépendance. »

12. Voyez ci-dessus, livre I, fable v, le Loup et le Chien (p. 73, note 8). 13. Vous auez faict comme le Cheual, qui, pour se deffendre du Cerf, lequel il sentoit plus viste et vigoureux que luy, appella l'Homme à son secours ; mais l'Homme luy mit un mords en la bouche, le sella et sangla, puis monta dessus aueq bons esperons, et le mena à la chasse du Cerf, et par tout ailleurs, où bon luy sembla, sans vouloir descendre de dessus, ny luy oster la bride et la selle; et par ce moyen le rendit souple à la houssine et à l'esperon, pour s'en seruir à toute besongne, à la charge et à la charruë, comme le roy d'Espagne faict de vous. (Satire Ménippée, harangue de Monsieur d'Aubray, p. 188 et 189.) Dans Horace (vers 39-41), l'affabula

tion a un caractère tout philosophique :

Sic qui, pauperiem veritus, potiore metallis
Libertate caret, dominum vehet improbus, atque
Serviet æternum, quia parvo nesciet uti.

· Charles Fontaine termine de cette manière :

Ainsi est-il, en fuyant pauureté ;
Qui cherche l'or trouue captiuité.

J. DE LA FONTAINE. I

21

Mais il n'étoit plus temps; déjà son écurie
Étoit prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien :
Sage, s'il eût remis une légère offense1.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien.

14. C'est l'idée contenue dans le vers 13 de Phèdre :

Impune potius lædi quam dedi alteri.

Le Noble termine ainsi sa fable:

Son aveugle vengeance une fois assouvie
Lui coûta pour toujours sa chère liberté.

30

FABLE XIV.

LE RENARD ET LE BUSTE.

Ésope, fab. rr, Αλώπηξ; Αλώπηξ πρὸς Μορμολύκειον (Coray, p. 9, p. 286). — Phèdre, livre I, fab. 7, Vulpis ad personam tragicam. Romulus, livre II, fab. 15, même titre. Faërne, fab. 66, Vulpes et Larva. Haudent, 1re partie, fab. 16, d'un Regnard et d'une Teste d'homme; fab. 139, d'un Loup et d'une Teste d'homme taillée en pierre. Corrozet, fab. 28, du Loup et de la Teste. Boursault, les Fables d'Ésope, acte I, scène III, le Renard et la Tête peinte. Le Noble, fab. 99, du Loup et de la Téte de bois. Le beau sot.

Mythologia sopica Neveleti, p. 95, p. 394, p. 511.

[ocr errors]

Geruzez fait observer avec raison que cette fable n'est qu'une épigramme dont l'affabulation est le trait. La Motte (livre I, fable Iv) critique l'apologue en ces termes :

[blocks in formation]

Pour le Renard gascon qui renvoie aux goujats
Des raisins mûrs qu'il n'atteint pas1;

Mais il n'a plus sa grâce naturelle

Avec la tête sans cervelle.

Son mot est excellent : d'accord;

Mais un autre devoit le dire.

Jacobs, dans l'Appendice à la Théorie des beaux-arts de Sulzer (tome V, p. 284, note aa), est de l'avis de la Motte, et voudrait, au lieu du Renard, un Homme. Mais que d'autres fables ne faudrait-il pas condamner pour la même invraisemblance! Elle est moins grande au reste chez la Fontaine et Phèdre que chez la plupart des autres fabulistes, qui introduisent leur Renard ou leur Loup (voyez la note 4) soit chez un comédien, soit chez un musicien, ou encore, comme Benserade (quatrain xx1) et le Noble, chez un sculpteur. Benserade nous avertit au moins de l'invraisemblance, en disant :

--

Il n'y va pas souvent une pareille bête.

- Jacobs dit encore, et avec raison, je crois, que cet apologue, tel

1. Allusion à la fable x1 du livre III de la Fontaine.

« PreviousContinue »