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Et l'autre, se faisant prier,

Portoit, comme on dit, les bouteilles 2: Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pèlerins, Par monts, par vaux, et par chemins, Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,

Et fort empêchés se trouvèrent.

L'Anier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'Ane à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,
Qui voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa;
Car au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien

Que le Baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui,

Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui".
Voilà mon Ane à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur et l'éponge.

Tous trois burent d'autant": l'Anier et le Grison

2.

Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

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Expression proverbiale : marchait lentement, comme on marche quand on craint de casser ce qu'on porte. Voyez M. Taine, p. 301. 3. a Mot créé par la Fontaine, mais employé si heureusement qu'on croirait qu'il existait avant lui. » (CHAMFORT.) De même Plutarque, à l'endroit mentionné ci-dessus, se sert d'un mot unique pour désigner les mulets porte-sel : τῶν ἁληγῶν ἡμιόνων εἷς.

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4. Allusion aux moutons de Panurge; voyez Rabelais, livre IV, chapitre VIII, tome II, p. 19.

5. « On dit boire d'autant, pour dire boire beaucoup. Cette façon de parler est du style familier. » (Dictionnaire de l'Académie, 1694.) Voyez le Lexique. — Faërne (vers 10) dit de même des éponges:

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Spongis aquam usque combibentibus.

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'Ane succombant ne put gagner le bord.
L'Anier l'embrassoit, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte o.

J'en voulois venir à ce point.

6. C'est la morale de Faërne (vers 12):

Non una agendi ratio cunctis congruit.

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FABLES XI ET XII'.

LE LION ET LE RAT.

LA COLOMBE ET LA FOURMI.

Ésope, fab. 217, Aéwv zaì Mus (Coray, p. 140, Babrius, fab. 107, même titre.

Fable XI. p. 373).

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Abstemius, fab. 52, de Leone et Mure (le commencement seul se rapporte au sujet de cette fable). Appendix fabularum æsopiarum, fab. 4, Leo et Mus. Romulus, livre I, fab. 17, Leo et Mus.· Marie de France, fab. 17, d'une Soris qui defoula un Lion. Haudent, re partie, fab. 125, d'un Lyon et d'une Souris; 2o partie, fab. 111, d'un Lyon et d'un Rat. Corrozet, fab. 14, du Lion et du Rat. Marot, Épitre à son amy Lyon Jamet (Lyon, 1597, p. 159-162). — Boursault, Ésope à la cour, acte III, scène II. Les Poésies inédites du moyen áge de M. Édélestand du Méril contiennent aussi deux fois ce sujet (Neckam, p. 210, et Baldo, p. 254). Ch. Nodier, dans son édition des Fables de la Fontaine, a tort de croire que notre poëte a imité la fable 4, mentionnée par nous ci-dessus, de l'Appendice de Gudius. Les quatre premières fables de cet Appendice ont été publiées par Burmann en 1698, c'est-à-dire trois ans après la mort de la Fontaine : voyez le Phedre de la collection Lemaire, tome I, p. 65 et 79.

Mythologia sopica Neveleti, p. 265, p. 499, p. 556.

On lit dans le Pantschatantra (tome II de M. Benfey, p. 208-210; et traduction de Dubois, p. 42-45) une fable qui a une grande affinité avec celle-ci. Un éléphant y est délivré par une foule de rats qu'il a autrefois secourus. Au sujet de cette fable orientale, que M. Weber (Études indiennes, tome III, p. 347 et 348) croit postérieure à la fable grecque, voyez l'intéressante dissertation de M. Benfey, qui laisse la question indécise (tome I, p. 324-329, Introduction au Pantschatantra). — Voyez en outre la comparaison que M. Saint-Marc

1. Les fables XI et XII sont ainsi réunies dans les éditions originales, comme les fables xv et xvi du livre I.

I. DE LA FONTaine. I

II

Girardin, dans sa vine leçon (tome I, p. 248-253), fait de la fable de la Fontaine avec celle de Marot, bien plus développée. C'est à cette dernière qu'il donne la supériorité; le récit de la Fontaine lui paraît, en comparaison, sec et froid; il l'est en effet, plus même peutêtre que la fable ésopique. Marot était en prison au Châtelet lorsqu'il adressa, en 1525, cette épître, qui ne contient autre chose que la fable, à son ami Lyon Jamet; il demande à cet ami de lui venir en aide pour le délivrer, espérant bien qu'il pourra quelque jour lui rendre service à son tour, tout faible qu'il est, comme le Rat autrefois fit au Lion. On trouvera cette épître à l'Appendice du tome I. - Voyez encore la fin de l'argument de la fable xi.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi2.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un Lion

Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion3,
Montra ce qu'il étoit, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu*.

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2. On lit de même dans la seconde des vieilles fables (Ysopet II) que Robert rapproche de celle-ci (tome I, p. 135):

Por ce poez sauoir

Que grant mestier auoir

Puet bien le foible au fort.

3. « A cette occasion, » dans l'édition d'Amsterdam 1679. 4. Dans la première des vieilles fables (Ysopet 1) rapportées par Robert (p. 131-133):

La bonté qu'il fist auant hier
A la Souris n'est pas perdue;

et plus loin, d'une manière générale :

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Bonté ne puet estre perdue.

· Marot, dans l'épître à Lyon Jamet, mentionnée ci-dessus, termine

Quelqu'un auroit-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eùt affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets",

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage
Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage*

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la fable par cette moralité (vers 66-68), qu'il met dans la bouche du Lion délivré par le Rat :

Et le Lyon de s'en aller fut prompt,

Disant en soy: « Nul plaisir, en effet,

Ne se perd point, quelque part où soit fait. »

5. Les éditions de 1668 et celle de 1729 donnent : « Le Lion ; » et ensuite cette dernière : « dans les rets. >>

6. Dans la fable latine de Neckam :

Quem (laqueum) quum non posset nec vi superare, nec arte,
Rugitu cæpit non modico furere.

Lors sire Rat va commencer à mordre

7.

Ce gros lien: vray est qu'il y songea

Assez long temps, mais il le vous rongea
Souuent, et tant, qu'à la parfin tout rompt.

(MAROT, vers 62-65.)

- Le Rat de Boursault s'y prend comme celui de la Fontaine :

Il s'attache avec soin à ronger une corde
Qui de tout l'attirail est le nœud gordien,

8. On a critiqué cette maxime comme étant une seconde morale étrangère au sujet. Mais l'auteur, croyons-nous, n'en a point voulu faire une nouvelle affabulation. C'est simplement une de ces réflexions pratiques, comme il en sème tant dans ses fables, dans le courant même du récit, une réflexion qui ne se rapporte qu'à ce qui précède immédiatement. Aussi dans les éditions originales n'est-elle point séparée de la fable par un blanc, comme le sont souvent (non pas toujours, j'en conviens) les moralités : voyez l'édition de 1668 in-4o, p. 62, p. 114, p. 141, etc.; l'édition de 1678 (que nous suivons), P. 74, p. 88, p. 93, etc.

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