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FABLE IX.

LE LION ET LE MOUCHERON.

Ésope, fab. 146, Kóvwy zaì Aźwv (Coray, p. 88).

Ire partie, fab. 111, d'un Tahon et d'un Lyon.
Mythologia sopica Neveleti, p. 210.

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Malgré l'analogie des titres, le sujet est autrement conçu et la moralité différente dans la fable latine Culex et Taurus (la 16o de l'Appendix fabularum æsopiarum, imprimé à la suite du Phèdre, édition Lemaire), dans celle d'Ysopet II, donnée par Robert, la Bataille de la Mouche et du Torel, dans la 56o de Marie de France, d'un Lo1 e d'un Escarboz, et surtout dans la fable 84 de Babrius, Kávo zaì Taupos. C'est plutôt la 112o de Babrius, Mug xat Taupos, qui, par l'idée qu'elle met en action, se rapproche de notre fable.

Voyez la comparaison que M. Saint-Marc Girardin, dans sa vireleçon (tome I, p. 244-246), fait de cette fable avec la fable latine (57o, Leo et Culex) de Weiss (Pantaleo Candidus), et à la suite (p. 246-248), l'intéressant développement où il nous montre, citant les noms de Masaniello, de Fiesque, de Henri IV, que la fable copie souvent ses tableaux de l'histoire, et qu'elle « ne peint pas seulement les mœurs de l'homme, » mais aussi « les événements de la vie humaine et leur capricieuse mobilité. » Dans sa critique des Fables et de leur morale (Émile, livre II), Rousseau n'a pas oublié le Lion et le Moucheron. C'est, à ses yeux, « une leçon de satire. » Quand le Lion est en scène, nous dit-il, l'enfant d'ordinaire ne manque pas de se faire lion. « Mais quand le Moucheron terrasse le Lion, c'est une autre affaire. Alors l'enfant n'est plus lion, il est moucheron. Il apprend à tuer un jour à coups d'aiguillon ceux qu'il n'oseroit attaquer de pied ferme.-M. Liotard, membre de l'Académie du Gard, a indiqué1, comme curieux objet de rapprochement, un passage du roman grec d'Achilles Tatius, les Amours

1. De quelques emprunts ou imitations en littérature, à propos de Racine et de la Fontaine, Nimes, de l'imprimerie Clavel-Ballivet et Cie, 1867, p. 23-26.

de Leucippe et de Clitophon (livre II, chapitres xxx et xxII), lequel avait échappé jusqu'ici aux divers commentateurs de la Fontaine, mais a été mentionné par M. Benfey (tome I, p. 246). Nous le donnerons dans l'Appendice du tome I. M. Benfey (p. 245) compare en outre à l'apologue ésopique une fable indienne du Pantschatantra, où le Lion est remplacé par l'Éléphant. Voyez aussi Loiseleur Deslongchamps, p. 38; M. Wagener, Essai sur les rapports qui existent entre les apologues de l'Inde et les apologues de la Grèce, p. 118 et 119; et M. Weber, Études indiennes, tome III, p. 351 et 352. La fable est résumée dans le proverbe grec : Έχει καὶ ἡ Μυῖα σπλῆνα, confirmé par cet autre : Ἔνεστι καὶ Μύρμηκι χόλος, « la mouche aussi a une rate (considérée comme siége de la colère). Il y a aussi de la bile chez la fourmi. » — La fin du Moucheron après sa victoire était de même devenue proverbiale. L'historien byzantin Nicétas Choniate y fait allusion dans ses Annales (p. 317).

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Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre! »
C'est en ces mots que le Lion
Parloit un jour au Moucheron.
L'autre lui déclara la guerre*.

« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie?

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2. Dans la fable d'Ésope c'est le Moucheron qui parle le premier et déclare au Lion qu'il n'a pas peur de lui : Oùòè poбoûμal os, oùòè δυνατώτερός μου εἶ.

3. Malherbe avait dit, au début de ses deux stances contre le maréchal d'Ancre (tome I, p. 239, poésie LXXVI):

Va-t'en à la malheure, excrément de la terre!

Balzac, cité par Ménage (Observations sur Malherbe, tome II, p. 241, édition de 1723), trouvait cette expression trop basse « pour un tyran.... plus haï que méprisé. » La Fontaine en fait une heureuse application, que Balzac sans doute et Ménage n'eussent pas blâmée. -Voyez ce que M. Taine (p. 84 et 85) dit du langage et du ton que notre poëte prête d'ordinaire au Lion.

4. Dans la fable grecque, l'insecte déclare la guerre en ces termes Εἰ δὲ θέλεις, ἔλθωμεν καὶ εἰς πόλεμον.

5. M'inquiète, me cause du souci, Voyez le Lexique.

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A peine il achevoit ces mots

Que lui-même il sonna la charge",
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;

Puis prend son temps, fond sur le cou
Du Lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit; on se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle
Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle :
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,

Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve 10 à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

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6. Voyez ci-dessus, livre I, fable v, vers 3, et note 1. 7. C'est encore un trait emprunté à Ésope: Kaì saλnicaç ó Kámý EVERYSTO. Au reste, il est déjà question, dans la Batrachomyomachie (vers 201 et 202) de la trompette des moucherons :

Καὶ τότε κώνωπες, μεγάλας σάλπιγγας ἔχοντες,
Δεινὸν ἐσάλπιγξαν πολέμου κτύπον....

<< Et alors les moucherons, ayant de grandes trompettes, sonnèrent le bruit terrible de la guerre. »

8. Une note manuscrite de M. Walckenaer veut que ces mots signifient, non pas tout d'abord, en premier lieu, mais, pour attaquer, in concursu. C'est une erreur voyez au Lexique les divers passages où notre auteur a employé cette même locution.

9. « Mordant, dit le fabuliste grec, les parties sans poil de la face, autour des naseaux, » δάκνων τὰ περὶ τὰς ῥίνας αὐτοῦ ἄτριχα πρόσωπα.

10. Les deux éditions de 1668 ont ici une faute très-grossière: se trouva, qui est reproduite par les impressions de 1669 et d'Amsterdam 1679.

Le malheureux Lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,

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Bat l'air, qui n'en peut mais 11; et sa fureur extrême

Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents.

L'insecte du combat se retire avec gloire 12:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire13,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée;
Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits 1*;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

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11. Qui n'y peut rien, n'y est pour rien. — Geruzez rapproche de ces mots le passage suivant de Bonaventure des Perriers : « Ie ne crains que une chose : c'est que si Iupiter le voit.... il n'en fouldroye et abysme tout ce poure monde icy, qui n'en peut mais » (Cymbalum mundi, dialogue 1, p. 82, édition d'Amsterdam, 1732); et l'épithète qui commence cette phrase où Juvénal parle du peuple romain brisant les statues et les chars de triomphe de Séjan :

Immeritis franguntur crura caballis. (Satire x, vers 60.)

12. Chez Diodore de Sicile (livre III, chapitre xx11), la fable devient histoire. Les lions qui infestent le pays des Rhizophages, en Éthiopie, sont mis en fuite par les piqûres des moucherons et leur

bourdonnement.

13. Esope dit de même : Καὶ σαλπίσας, καὶ ἐπινίκιον ᾆσας.

14. Brasidas dit, dans les Apophthegmes de Plutarque : « Il n'est point d'être si petit qui, osant se défendre contre ceux qui l'attaquent, ne puisse sauver sa vie ; » et Publius Syrus:

Inimicum quamvis humilem docti est metuere.

- Benserade termine ainsi son cxvre quatrain :

Dans le monde il n'est point de petits ennemis.

FABLE X.

L'ANE CHARGÉ D'ÉPONGES, ET L'ANE CHARGÉ DE SEL.

Ésope, fab. 254, "Ovos (Coray, p. 166 et 167; comparez p. 388, Μικρέμπορος καὶ Ὀνάριον). — Babrius, fab. III, Ὄνος ἅλας φέρων. — Faërne, fab. 6, Asini duo.

Mythologia sopica Neveleti, p. 295, p. 373.

Dans la fable de Faërne, il y a deux ânes, comme dans celle de la Fontaine; dans les fables grecques, il n'y a qu'un âne ou qu'un mulet chargé successivement de sel et d'éponges. Montaigne (Essais, livre II, chapitre XII, tome II, p. 210) rapporte en ces termes, comme preuve de l'industrie des animaux, la même histoire, en y faisant, d'après Plutarque (de l'Industrie des animaux, chapitre xv), intervenir Thalès: «De subtilité malicieuse, en est il une plus expresse que celle du mulet du philosophe Thales? lequel, passant au trauers d'une riuiere, chargé de sel, et, de fortune, y estant brunché, si que les sacs qu'il portoit en feurent touts mouillez, s'estant apperceu que le sel, fondu par ce moyen, luy auoit rendu sa charge plus legiere, ne failloit iamais, aussitost qu'il rencontroit quelque ruisseau, de se plonger dedans auecques sa charge; iusques à ce que son maistre, descouurant sa malice, ordonna qu'on le chargeast de laine (et d'éponges, ajoute Plutarque); à quoy, se trouuant mesconté, cessa de plus user de cette finesse. » Voyez aussi Élien, de la Nature des animaux, livre VII, chapitre XLII.

Un Anier, son sceptre1 à la main,
Menoit, en empereur romain,

Deux Coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier;

1. Comme dit ailleurs notre poëte, dans un passage que Geruzez cite à propos :

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Que coûte-t-il d'appeler

Les choses par noms honorables?

(Livre XII, fable xxiv, vers 7 et 8.)

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