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Coray, p. 14, cite en note Euripide, qui, dans son Alceste (vers 688-691), exprime ainsi l'idée de la fable:

Μάτην ἄρ' οἱ γέροντες εὔχονται θανεῖν,
Γῆρας ψέγοντες, καὶ μακρὸν χρόνον βίου.
Ἢν δ ̓ ἐγγὺς ἔλθῃ θάνατος, οὐδεὶς βούλεται

Θνήσκειν, τὸ γῆρας δ ̓ οὐκ ἔτ ̓ ἐστ ̓ αὐτοῖς βαρύ.

Haudent, dans sa fable 119 de la 2o partie, d'une Femme voyant mourir son mary, et Benserade, dans son quatrain cxcv, ont modifié l'apologue de manière à lui donner un tour beaucoup plus satirique.

dun

Fable XVI. Ésope, fab. 20, Γέρων καὶ Θάνατος, Ἄνθρωπος καὶ Oάvatos (Coray, p. 13-15, p. 290, sous cinq formes diverses). Faërne, fab. 10, Senex et Mors. Haudent, 2o partie, fab. 16, povre Homme appellant la Mort. appellant la Mort.

Corrozet, fab. 80, du Vieillard

Mythologia sopica Neveleti, p. 104, p. 208.

Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 364 (par erreur, pour p. 368).

Boileau, si nous en croyons Louis Racine, dans ses Mémoires sur la vie de son père (voyez le Racine de M. Mesnard, tome I, p. 263 et 264), « trouvoit cette fable languissante dans la Fontaine. Il voulut essayer s'il ne pourroit pas mieux faire, sans imiter le style de Marot, désapprouvant ceux qui écrivoient dans ce style. » D'Alembert dit à ce sujet dans son Histoire des membres de l'Académie française (Amsterdam, 1787, tome III, p. 83) : « On ne conçoit pas où est la langueur que Despréaux trouvait dans la fable de la Fontaine, encore moins en quel endroit de cette fable la Fontaine a employé le style de Marot. Le jugement qu'on prête ici à Despréaux est si étrange qu'il est trèsvraisemblable que Racine le fils a été mal servi par sa mémoire. » Quoi qu'il en soit, Boileau eut la malheureuse idée de refaire la fable. Ce fut, dit encore Louis Racine, « dans sa plus grande force, et, suivant ses termes, dans son bon temps, » qu'il composa cette petite pièce en 1668, d'après Daunou; et tout au moins, d'après BerriatSaint-Prix (tome I, p. 36), avant 1670. J. B. Rousseau a traité également ce sujet. Daunou rapproche ces deux fables de celle de la Fontaine à la page 341 du tome II de son édition des OEuvres complètes de Boileau (Paris, 1825-1826, 4 vol. in-8°). M. SaintMarc Girardin dit de la fable de Boileau qu'il ne la veut pas comparer à celle de la Fontaine : « la distance est trop grande » (xx1°le

con, tome II, p. 190). Cette considération n'a pas arrêté M. Taine, qui, rapprochant les deux fables (p. 161-163), fait une appréciation pathétique et parfois éloquente de celle de la Fontaine, qu'il appelle << un sombre tableau de Holbein. » Dans sa XIIe leçon (tome I, p. 404-406) M. Saint-Marc Girardin cite en entier les fables xv et xvi, et en tire une double morale, haute et saine : « Ne comptez pas sur le suicide pour faire banqueroute à vos créanciers ou pour échapper à la misère. Le suicide est un coup de main que l'humanité répudie. L'homme tient à la vie. Il a beau souffrir et gémir, il veut vivre. Puisque, heureux ou malheureux, nous voulons vivre, tâchons, dès la jeunesse, de nous préparer à vivre longtemps: faisons-nous un viatique qui puisse durer jusqu'à la fin de notre vieillesse, si nous l'avons longue. »

Un Malheureux appeloit tous les jours

La Mort à son secours.

« O Mort, lui disoit-il', que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle. »

La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je ? cria-t-il, ôtez-moi cet objet;

Qu'il est hideux! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort; ô Mort, retire-toi. »

Mécénas fut un galand' homme;

Il a dit quelque part : « Qu'on me rende impotent,

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4. VAR. Manuscrits de Conrart et de Sainte-Geneviève : « O Mort, ce disoit-il ».

5. Galand, dans toutes les éditions originales et dans le Manuscrit de Sainte-Geneviève : voyez la fable précédente, vers 24, et la note 7. Du reste, c'est l'orthographe constante de la Fontaine, qui a même écrit, au féminin, galande (voyez livre IV, fable x1, vers 30); aussi nous abstiendrons-nous désormais de la relever. - Les Manuscrits de Conrart donnent galant.

6. Voici les vers de Mécène tels que les cite Sénèque, dans l'épitre ci: '

Debilem facito manu,
Debilem pede, coxa;

Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content. »
Ne viens jamais, ô Mort; on t'en dit tout autant'.

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Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connoître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope1. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont

Tuber adstrue gibberum;
Lubricos quate dentes :
Vita dum superest, bene est.
Hanc mihi, vel acuta

Si sedeam cruce, sustine.

Ils sont ainsi rendus dans la traduction dont nous avons parlé plus haut (voyez la notice de la fable xv) :

Qu'on me rende manchot, cul-de-jatte, impotent,
Qu'on ne me laisse aucune dent,

Je me consolerai; c'est assez que de vivre.

7. VAR. Ce vers se lit ainsi dans les Manuscrits de Conrart :

Va-t'en de grâce, ô Mort; car je t'en dis autant.

Dans celui de Sainte-Geneviève :

Va-t'en, de grâce, ô Mort; je t'en dis tout autant.

Les deux éditions de 1678 et celle de 1688 ont évidemment une faute d'impression à ce vers; elles portent :

Ne viens jamais, ô Mort; on s'en dit tout autant.

1. Le trait final : « Pour que levant ce fardeau tu le charges sur moi, » ἵνα τὸν φόρτον τοῦτον ἄρας ἐπιθῇς μοι. - « M. de la Fontaine, dit Brossette au sujet de l'essai de Boileau, avoit mis cette fable en vers; mais comme il s'étoit écarté de l'original, M. Despréaux lui fit remarquer qu'en l'abandonnant, il laissoit passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. M. de la Fontaine refit la fable, et M.Despréaux fit celle-ci. »

laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Ésope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos que je n'ai pas cru le devoir omettre 3.

Un

pauvre Bucheron, tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants, Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée*. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

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Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde? En est-il un plus pauvre en la machine ronde"? Point de pain quelquefois, et jamais de repos. » Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,

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2. Il y a encore ici une faute dans l'édition de 1668, in-4o : « Ils ne nous ont laissé que pour notre part que la gloire. »

3. Sénèque, dans l'épitre citée, nomme le mot de Mécène turpissimum votum. Le si beau de la Fontaine ne peut signifier évidemment que « si beau de vérité, » et, si l'on veut, accessoirement, « si bien tourné. >

4. Rabelais (livre III, chapitre XVII, tome I, p. 420) parle de ⚫ la case chaulmine, mal bastie, mal meublée, toute en fumée. » 5. La machine ronde, qui traduit ici la métaphore latine orbis, au sens de « monde, » a été employée par des auteurs plus anciens pour désigner le ciel « Sous la machine ronde. » Geruzez cite l'exemple suivant :

Est-il soubz la machine ronde

Cousturier qui ouurage mieulz
En habits que moy? le me fonde
Qu'il n'en est nul dessoubz les cieulx.

(Le Cousturier, farce à cinq personnages.)

6. Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos,

dit Auguste dans le Cinna de Corneille, acte II, scène 1, vers 376. 7. Il s'agit moins sans doute des pilleries commises par les soldats que de l'obligation ruineuse de les loger, de les héberger

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Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu'il faut faire.

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A recharger ce bois; tu ne tarderas guère'. »

Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes 10.

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« Jusqu'à la fin du dix-septième siècle, les soldats étaient logés dans des forteresses ou dans les maisons des bourgeois. Le Journal de Dangeau annonce, à la date du 17 janvier 1692, la construction de casernes à Paris : « Le Roi a ordonné au prévôt des marchands de << faire bâtir des casernes pour loger les gardes françoises et suisses. « On y travaille actuellement, et ce sera un grand soulagement pour « les habitants de la ville et des faubourgs de Paris.» (CHÉRUEL, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, 2o partie, p. 907.) Le casernement des troupes, dans toute la France, ne fut achevé que vers la fin du dix-huitième siècle. Encore le bourgeois, même alors, demeura-t-il soumis à l'obligation de loger les soldats qui voyageaient, en corps ou isolément, avec une feuille de route. Cet usage, on le sait, n'a pas encore disparu. Qu'on songe à ce que devait coûter aux gens de la campagne une pareille obligation.

8. Travail et service personnel et gratuit, qu'on devait au souverain ou à son seigneur, et dont on pouvait se racheter moyennant certaines redevances. La corvée fut abolie par l'Assemblée constituante dans la fameuse nuit du 4 août 1789.

9. Cela ne te causera pas grand retard, tu n'y perdras pas beaucoup de temps. C'est la pensée d'Horace, dans l'ode sur Archytas (livre I, ode XXVIII, vers 35 et 36):

Quamquam festinas, non est mora longa; licebit,

Injecto ter pulvere, curras.

10. Au sujet des deux derniers vers, Voltaire dit, dans l'endroit cité plus haut (p. 79, note 6), que c'est un de ces traits « faits pour tous les esprits. »

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