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cour qui se fixa à Paris et de l'université de cette capitale, qui devint une des sources de science les plus fécondes pour l'Europe entière, forma dans ses perfectionnements successifs la langue française telle qu'elle existe anjourd'hui.

Langue celtique.

"Il ne nous reste," dit Voltaire, "aucun monument de la langue des anciens Welches, qui faisaient, dit-on, une partie des peuples Celtes, ou Keltes, espèces de sauvages dont on ne connaît que le nom, et que l'on a voulu en vain illustrer par des fables. Tout ce que l'on sait, c'est que les peuples que les Romains appelaient Galli, dont nous avons pris le nom de Gaulois, s'appelaient Welches; c'est le nom que l'on donne encore aux Français dans la Basse-Allemagne, comme on appelait cette Allemagne Teutsch. La province de Galles, dont les peuples sont une colonie de Gaulois, n'a d'autre nom que celui de Welch. Un reste de l'ancien patois s'est encore conservé chez quelques rustres dans cette province de Galles, dans la Basse-Bretagne, dans quelques provinces de France. Quoique notre langue soit une corruption de la latine, mêlée de quelques expressions grecques, italiennes, espagnoles, cependant nous avons retenu plusieurs mots dont l'origine paraît être celtique*. En voici quelques-uns entr'autres que le temps n'a presque point altérés: aller, battre, blé, calme, chat, coq, danse, drap, est ainsi que ouest, nord et sud†, frapper, galand, haquenée, harnois, hasard, laquais, magasin, mouton, niais, parc, rat, regarder, saison, trou, valet, vassal, etc."

Langues du moyen áge‡.

On peut réduire à quatre les principales langues du moyen âge, dont les divers dialectes sont aujourd'hui parlés en Europe. Ces langues mères sont: 1o la langue grecque, inconnue à l'Occident, et qui, dès le onzième siècle, dégénérait dans les provinces en langage romaïque ou grec moderne; 2o la langue slave, d'où dérivent le russe, le polonais, le bohémien, etc., encore informes dans le moyen âge; 3o la langue teutonique, d'où viennent l'allemand, le flamand, l'anglais, le danois, le suédois, l'islandais; 4o la langue romane rustique, corrompue du latin, qui fut longtemps commune à tous les peuples de l'Europe latine; c'est de là que sont nés le provençal (langue d'oc), le français (langue d'oil), l'italien (langue de si), le castillan, le portugais, le valaque.

Le roman provençal eut ses troubadours, et le roman français ses trovères. La poésie naquit au onzième siècle, dans le midi de France, d'où le goût s'en répandit dans les provinces du Nord. Les troubadours imaginerent la chanson, la ballade, le sonnet, la paston

* And some also of Teutonic origin, introduced perhaps by the Franks, who spoke a Teutonic dialect.-RICHARD TAYLOR.

† Voyez la page 54, note a,

Voyez la page 109, note b.

relle, etc.; les trouvères, le conte ou nouvelle, le poëme allégorique, le fabliau, le lay d'amour, etc.*

Langue romane.

Ce ne fut guère que sous le règne de Henri I (roi en 1031) que la langue romane prit une nouvelle forme. Alors on commença à se servir des articles, et à donner aux mots une terminaison différente du latin. Peu à peu notre langue eut ses inflexions; mais ce ne fut que par des progressions presque insensibles qu'elle parvint à ce que nous appelons du français. Elle s'était déjà bien fortifiée sous Philippe Auguste; c'est pendant son règne qu'on vit paraître les premiers poëtes de la nation, les troubadours, et les premiers contes de chevalerie, composés pour l'amusement des croisés. Cependant elle devint plus régulière sous Louis IX; et Alain Chartier†, l'un des plus savants hommes du 15° siècle, en avança singulièrement les progrès, sous le règne de Charles VII (roi en 1422). Enfin sous François I (roi en 1515) et Henri II (roi en 1547), la langue changea presque de face. Les auteurs de ce temps-là l'enrichirent extrêmement. Mais la langue n'est parvenue au point où elle est aujourd'hui, que sous le règne de Louis XIV (roi en 1643). C'est encore sous le règne de ce prince que la poésie, qui avait reçu de Malherbe son harmonie et sa régularité, parvint au degré où elle fut portée, et produisit des chefs-d'œuvre dans presque tous les genres.

PROGRÈS DE LA LANGUE FRANÇAISE.

Les extraits suivants, arrangés siècle par siècle, depuis le neuvième jusqu'au dix-septième siècle, ou siècle de Louis XIV, serviront à développer les progrès de la langue française, et offriront en outre des détails historiques utiles et intéressants.

NEUVIÈME SIÈCLE.

Les deux morceaux suivants peuvent être considérés comme les premiers monuments de la langue.

Serment de Louis, roi de Germanie, en roman, adressé aux

seigneurs français et sujets de Charles-le-Chauve.

Pro Deo amur, et pro Xristian poblo, et nostro commun salvament, dist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai jeo

* Voyez les extraits de la poésie des Troubadours dans les Modèles de poésie française.

† Voyez la page xviii.

Deux des petit-fils de Charlemagne, après la mort de ce grand homme, se réunirent pour lutter contre l'ambitieux Lothaire, qui fut vaincu à Fontenay, le 25 juin 841. Malgré cette victoire, Charles-le-Chauve et Louis-le-Germanique, toujours en

cist meon fradre Karlo, et in adjudha, et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi altre si fazet; et ab Ludher nul plaid numquam prindrai qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit.

Traduction.-Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien, et notre commune sûreté, dorénavant, autant que Dieu me donnera le savoir, et le pouvoir, je défendrai ce mien frère Charles, lui donnant aide et secours dans chaque chose, comme un homme par droit doit défendre son frère, et tout ainsi qu'il ferait pour moi; et je ne ferai jamais avec Lothaire aucun traité qui puisse être préjudiciable à mon frère Charles.

Serment des seigneurs français et sujets de Charles-le-Chauve.

Si Lodhuvigs sagrament que son fradre Karlo jurat, conservat, et Karlus meos sendra, de suo part, non lo stanit; si jo returnar non lint pois, ne jo, ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla adjudha contra Lodhuvigs nun li juer.

Traduction.-Si Louis observe le serment que son frère Charles lui jure, et que Charles mon seigneur, de son côté, ne le tînt point, si je ne puis détourner Charles de cette violation, ni moi, ni aucuns que je puis détourner, ne serons en aide à Charles contre Louis.

DIXIÈME SIÈCLE.

Extrait d'une traduction du symbole de saint Athanase. Kikumkes vult salf estre devant totes choses besoing est qu'il tienget la comune foi, etc.

ONZIÈME SIÈCLE.

Extrait des quatre livres des Rois.

Ce morceau est tiré d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris. Et li reis cumendad a Joab ki esteit maistre cunestables de la chevalerie le rei, que il alast par tutes les lignées de Israel dès Dan jesque Bersabée e anumbrast le pople.-2 SAMUEL, chap. xxiv. v. 2.

DOUZIÈME SIÈCLE.

Extrait de L'explication du Pater, par MAURICE DE SULLY, évêque de Paris, mort en 1196.

Entres totes les paroles et les orisons qui furent onques establies ne dites en terre, si est li plus sainte et li plus haute la Patre nostre......

péril, renouvelèrent leur alliance à Strasbourg. Il est à remarquer que les deux princes cherchèrent à intéresser le peuple en parlant, non le latin qui était la langue des clercs, mais les idiomes usités en Gaule et en Germanie.

Ce serment fut prêté le 16 des calendes de mars 842. Louis-le-Germanique jura en langue romane ou française; Charles-le-Chauve en langue tudesque ou germanique.

Porce que vos saciés que vos dites et que vos demandés à Deu quant vos dites la Patre nostre, si vos dirons et démosterons en romans* ce que la latre a en soi, et ce que ele nos ensegne, etc.

TREIZIÈME SIÈCLE.

Extrait d'une traduction des Chroniques de Saint-Denis, attribuées à SUGER, abbé de Saint-Denis. L'époque de cette traduction est fixée à l'an 1274.

Mort de Brunehault †, femme de Sigebert, roi d'Austrasie.

Li rois (Clotaire II) se torna vers les barons et leur dist: "Seignor, noble Prince de France, mi compagnon, et mi chevaliers, jugiez par quel mort et par quex tormenz doit morir fame, qui tant de dolours a faites ?"

Extrait de la Vie de saint LOUIS (Louis IX, roi de France), par Jean, sire de JOINVILLE, né en 1223, mort en 1317.

Le roy saint Loys fut l'omme du monde, qui plus se travailla à faire et mectre paix et concorde entre ses subgectz: et par espécial entre les princes et seigneurs de son royaume, et des voisins, mesmement entre le conte de Châlons mon oncle, et le conte de Bourgoigne son filz, qui avoient grant guerre ensemble, au retour que fusmes venuz d'oultre

mer.

QUATORZIÈME SIÈCLE.

Extrait des Chroniques de FROISSART, historien célèbre, né vers l'an 1333, mort en 1401.

Reddition de la ville de Calais (1347), assiégée par Edouard III, roi d'Angleterre, après la bataille de Crécy. (Voyez la note a, page 294.)

Eustache de Saint-Pierre et puis les aultres se dévêtirent en leurs braies et leurs chemises, en la ville de Calais, et mirent hars‡ en leur col, ainsi que l'ordonnance le portoit, et prirent les clefs de la ville et du châtel, etc.

* Cemorceau prouve, qu'au temps de Maurice, on parlait au peuple en langue vulgaire.

† Brunehault, fille d'Athanalgide, roi d'Espagne, épousa en 568, Sigebert, roi d'Austrasie. Elle vécut en même temps que Frédégonde, mère de Clotaire II: leurs horribles querelles ont ensanglanté toute une époque de notre histoire.

Hars. Corde.

Extrait d'une Harangue au roi CHARLES VII, par JEAN CHARLIER DE GERSON, chancelier de l'Université de Paris, né en 1363, mort en 1429.

Las! un povre homme aura-il payé son imposition, sa taille*, sa gabellet, son fouage‡, son quatriesme, les esprons du roy, la saincture de la royne, les truages §, les chaucées, les passages: peu luy demeure : puis viendra encores une taille qui sera créée, et sergens de venir et de engager pots et poilles. Le povre homme n'aura pain à manger, sinon par advanture aucun peu de seigle ou d'orge, sa pauvre femme gerra ||, et auront quatre ou six petits enfans au fouyer, ou au four, qui par advanture sera chauld, demanderont du pain, crieront à la rage de faim,

etc.

QUINZIÈME SIÈCLE.

Extrait de l'Histoire de CHARLES VI, par JEAN JUVÉNAL DES URSINS, né en 1388, mort en 1473.

Entrée d'Isabeau de Bavière à Paris.

Le pont par où elle passa, estoit tout tendu d'un taffetas bleu à fleurs de lys d'or. Et y avoit un homme assez léger, habillé en guise d'un ange, lequel par engins** bien faicts, veint des tours de Nostre Dame de Paris à l'endroict du dict pont, et entra par une fente de la dicte couverture, à l'heure que la royne passoit, et luy meit une belle couronne sur la teste. Et puis par les habillemens qui estoient faicts, feut retiré par la dicte fente, comme s'il s'en retournast de soy mesme au ciel.

Extrait de l'Histoire de CHARLES VII, par ALAIN CHARTIER, né en 1386, mort, les uns disent en 1438, d'autres en 1447.

Meurtre du duc d'Orléans dans la vieille rue du Temple, à Paris. Cet an mil quatre cens et sept, la veille de sainct Clément, partit le duc d'Orléans de son hostel près de Sainct-Pol, environ huict heures de nuict, pour aller veoir la royne......Et en s'en retournant, près de la

* Taille. Imposition de deniers qu'on levait sur toutes les personnes qui n'étaient pas nobles ou ecclésiastiques, ou qui ne jouissaient pas de quelque exemption. † Gabelle. Impôt sur le sel.

Fouage. Permission de couper dans une forêt le bois nécessaire à sa consommation; tribut imposé par le seigneur sur chaque feu ou ménage, pour jouir de cette permission.

Truage. Impôt, subside; ce qu'on paye pour sa bienvenue. Truage signifie aussi prison, servitude, esclavage, ôtage.

Gerra, sera malade (du verbe gésir).

¶ Isabeau de Bavière, fille d'Etienne II, comte palatin du Rhin et de Tadee Visconti; elle épousa Charles VI, à Amiens, le 17 juillet 1385. Voyez la page 298, note b. **Engins. Instruments.

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