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et lorsqu'ils ont confondu leurs traces, lorsqu'il croit l'avoir substitué à sa mauvaise fortune, il le quitte plus brusquement9 encore qu'il ne l'a joint, afin de le rendre seul l'objet et la victime de l'ennemi trompé. Mais le chien, par cette supériorité que donnent l'exercice et l'éducation, par cette finesse de sentiment qui n'appartient qu'à lui, ne perd pas l'objet de sa poursuite; il démêle les points communs, délie les nœuds du fil tortueux qui seul peut y conduire; il voit de l'odorat tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où l'on a voulu l'égarer; et, loin d'abandonner l'ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de la ruse, il s'indigne, il redouble d'ardeur, arrive enfin, l'attaque, et, le mettant à mort, étanche dans le sang sa soif et sa haine.

L'on peut dire que le chien est le seul animal dont la fidélité soit à l'épreuve"; le seul qui connaisse toujours son maître et les amis de la maison; le seul qui, lorsqu'il arrive un inconnu, s'en aperçoive; le seul qui entende son nom, et qui reconnaisse la voix domestique; le seul qui ne se confie point à lui-même; le seul qui, lorsqu'il a perdu son maître et qu'il ne peut le trouver, l'appelle par ses gémissements; le seul qui, dans un voyage long qu'il n'aura fait qu'une fois, se souvienne du chemin et retrouve la route; le seul enfin dont les talents naturels soient évidents et l'éducation toujours heureusea.

BUFFON. (Voyez la page 61.)

Même sujet.

LE chien est le modèle, le vrai prototypeb de l'amitié. Chaque espèce se distingue par un attribut particulier qui est, pour ainsi dire, un hommage rendu à ce noble et généreux sentiment: l'une est spécialement vouée à la garde

Dans le Génie du christianisme, M. de Châteaubriand signale une omission à cet admirable portrait: "Tous les chiens y sont cités," dit-il, "mais Buffon a oublié le chien de l'aveugle."

b

Prototype, du grec πρŵτos (prótos), premier; et rúños (tupos), modèle. Original, premier exemplaire.

des troupeaux, et le berger solitaire lui confie sans crainte ses plus chères espérances; l'autre veille autour de notre demeure, et nous donne la sécurité au milieu de nos immenses possessions. Nous dormons sur la foi de son instinct vigilant et protecteur. Le chien fait tourner tous les jours au profit de l'homme les dons les plus rares dont la nature l'a comblé. Il cherche, il interroge, il suit prudemment les traces de la proie que poursuit l'avide chasseur. On dirait que l'attachement qu'il porte à son maître aiguise en quelque sorte toutes les finesses de son odorat. Il s'expose pour lui, quand il s'agit de combattre les plus terribles habitants des forêts, et lui dévoue à chaque instant son infatigable intrépidité.

Mais considérons plutôt ces courageux animaux au milieu des glaciers du mont Saint-Bernarda, prêtant assistance aux voyageurs qui s'égarent, les guidant au sein des ténèbres, leur créant des routes au milieu des torrents, à travers mille abîmes, et partageant avec les hommes les plus vénérésb les soins périlleux d'une bienfaisance hospitalière.

Voyez les chiens de Terre-Neuve s'élancer dans les flots, affronter le courroux des vagues, braver le déchaînement1 des vents et de la tempête, se réunir pour mieux résister au courant des fleuves, plonger dans les gouffres de la mer, et ramener vers le rivage les malheureux naufragés.

Qui n'a pas entendu parler des chiens de la Sibérie? Il semble néanmoins qu'on n'ait pas assez célébré leur intelligence, leur dévouement, leurs services, leur générosité. Ces animaux servent à la fois, pour les Samoïèdes, de bêtes de somme et de bêtes de trait. Ils manifestent une étonnante vigueur, et transportent des fardeaux à des distances prodigieuses. On les attelle à des traîneaux2. Plus lestes que nos coursiers, ils savent se frayer des issues au travers des routes les plus escarpées. Ils ne font qu'effleurer le sol, et passent rapidement sur la neige sans jamais l'enfoncer. Aussi sobres que laborieux, il leur

Un des sommets des Alpes.

b Les solitaires de l'hospice du mont Saint-Bernard.
c Samoïèdes, peuple du nord de la Russie d'Asie.

suffit, pour se nourrir, de quelques poissons qu'on fait mariner, et qu'on met ensuite en réserve. Mais, ce qu'il y a de merveilleux dans les habitudes de ces bons chiens, c'est qu'ils restent libres et livrés à eux-mêmes tout le cours de leur été. Tant qu'on n'a pas besoin de leur assistance, ils vivent de leur seule industrie. Ce n'est qu'à un signal qu'on leur donne, après l'apparition des premiers froids, qu'ils accourent affectueusement auprès de leurs maîtres, pour leur rendre tous les services dont ceux-ci ont besoin. Ils les dirigent pendant les ténèbres de la nuit, et au milieu des plus terribles orages. Quand les Samoïèdes tombent engourdis sur la terre couverte de frimas, leurs chiens viennent les couvrir de leurs corps, et leur communiquer leur chaleur naturelle. Mais que fait l'homme, partout si ingrat, pour tant de bons offices? Il attend que ces animaux deviennent vieux pour exiger leur peau, et pour s'en revêtir. ALIBERT. (Voyez la page 73.)

LE CHEVAL.

La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats: aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte'; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche, et s'anime de la même ardeur: il partage aussi ses plaisirs; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais, docile autant que courageux, il ne se laisse pas emporter à son feu; il sait réprimer ses mouvements: nonseulement il fléchit sous la main de celui qui le guide,

a ANECDOTE.-Un jour Rivarol, un des écrivains les plus spirituels du 18e siècle, causait avec D'Alembert qui n'aimait pas Buffon. D'Alembert lui disait, "Ne me parlez pas de Buffon qui, au lieu de nommer simplement le cheval, dit: La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, etc. Que ne dit-il le cheval?" "Oui," reprit Rivarol, "c'est comme ce sot de J.-B. Rousseau, qui s'avise de dire:

'Des bords sacrés où naît l'Aurore,
Aux bords enflammés du couchant,

au lieu de dire de l'est à l'ouest."

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mais il semble consulter ses désirs; et obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir3; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour mieux obéir. BUFFON. (Voyez la page 61.)

LE SERPENT DEVINa, OU LE BOA,

C'EST surtout dans les déserts brûlants de l'Afrique qu'exerçant une domination moins troublée, le serpent devin parvient à une longueur plus considérable. On frémit lorsqu'on lit, dans les relations des voyageurs qui ont pénétré dans l'intérieur de cette partie du monde, la manière dont cet énorme serpent s'avance au milieu des herbes hautes et des broussailles, ayant quelquefois plus de dixhuit pouces de diamètre, et semblable à une longue et grosse poutre qu'on remuerait avec vitesse. On aperçoit de loin, par le mouvement des plantes qui s'inclinent sur son passage, l'espèce de sillon que tracent les diverses ondulations de son corps; on voit fuir devant lui les troupeaux de gazelles et d'autres animaux dont il fait sa proie ; et le seul parti qui reste à prendre dans ces solitudes immenses, pour se garantir1 de sa dent meurtrière et de sa force funeste, est de mettre le feu aux herbes déjà à demi brûlées par l'ardeur du soleil. Le fer ne suffit pas contre ce dangereux serpent, lorsqu'il est parvenu à toute sa longueur, et surtout lorsqu'il est irrité par la faim. L'on ne peut éviter la mort qu'en couvrant un pays immense de flammes qui se propagent avec vitesse au milieu de végé

2 Les naturels de l'Amérique méridionale mettent le serpent devin au nombre de leurs divinités.

b Gazelle, bête fauve plus petite que le daim, et qui est d'une grande légèreté.

taux presque entièrement desséchés, en excitant ainsi un vaste incendie, et en élevant, pour ainsi dire, un rempart de feu contre la poursuite de cet énorme animal.

Il ne peut être en effet arrêté ni par les fleuves qu'il rencontre, ni par les bras de mer dont il fréquente souvent les bords; car il nage avec facilité, même au milieu des ondes agitées, et c'est en vain, d'un autre côté, qu'on voudrait chercher un abri sur de grands arbres; il se roule avec promptitude jusqu'à l'extrémité des cimes les plus hautes: aussi vit-il souvent dans les forêts. Enveloppant les tiges dans les divers replis2 de son corps, il se fixe sur les arbres à différentes hauteurs; et y demeure souvent longtemps en embuscade, attendant patiemment le passage de sa proie. Lorsque, pour l'atteindre, ou pour sauter sur un arbre voisin, il a une trop grande distance à franchir, il entortille3 sa queue autour d'une branche, et suspendant son corps allongé à cette espèce d'anneau, se balançant, et tout d'un coup s'élançant avec force, il se jette comme un trait sur sa victime, ou contre l'arbre auquel il veut s'attacher.

Lorsqu'il aperçoit un ennemi dangereux, ce n'est point avec ses dents qu'il commence un combat, qui alors serait trop désavantageux pour lui; mais il se précipite avec tant de rapidité sur sa malheureuse victime, l'enveloppe dans tant de contours; la serre avec tant de force; fait craquer ses os avec tant de violence, que, ne pouvant ni s'échapper, ni user de ses armes, et réduite à pousser de vains mais d'affreux hurlements, elle est bientôt étouffée sous les efforts multipliés de ce monstrueux reptile.

Si le volume de l'animal expiré est trop considérable pour que le devin puisse l'avaler, malgré la grande ouverture de sa gueule, la facilité qu'il a de l'agrandir, et l'extension dont presque tout son corps est susceptible, il continue de presser sa proie mise à mort; il en écrase les parties les plus compactes; et, lorsqu'il ne peut point les briser avec facilité, il l'entraîne, en se roulant avec elle, auprès d'un gros arbre dont il renferme le tronc dans ses replis; il place sa proie entre l'arbre et son corps; il les

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