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silence. C'est avec des morceaux de lave pétrifiée que sont bâties la plupart de ces maisons, qui ont été ensevelies par d'autres laves. Ainsi, ruines sur ruines, et tombeaux sur tombeaux! Cette histoire du monde, où les époques se comptent de débris en débris, cette vie humaine, dont la trace se suit à la lueur des volcans qui l'ont consumée, remplissent le cœur d'une profonde mélancolie. Qu'il y a longtemps que l'homme existe! qu'il y a longtemps qu'il vit, qu'il souffre et qu'il périt! Où peut-on retrouver ses sentiments et ses pensées? L'air qu'on respire dans ces ruines en est-il encore empreint? ou sont-elles pour jamais déposées dans le ciel où règne l'immortalité? Quelques

feuilles brûlées des manuscrits qui ont été trouvés à Herculanum et à Pompéi, et que l'on essaie de dérouler à Portici, sont tout ce qui nous reste pour interpréter les malheureuses victimes que le volcan, la foudre de la terre, a dévorées. Mais en passant près de ces cendres que l'art parvient à ranimer, on tremble de respirer, de peur qu'un souffle n'enlève cette poussière, où de nobles idées sont peut-être encore empreintes.

MADAME DE STAËL. Corinne, ou l'Italie.

STAËL-HOLSTEIN (Anne-Louise-Germaine-Necker, baronne de), Née à Paris en 1766, morte en 1818. Madame de Staël, fille de Necker, ministre des finances sous Louis XVI, est une des plus illustres renommées de notre époque; le 19° siècle l'a placée à côté de Châteaubriand, et la considère comme le premier apôtre des nouvelles doctrines littéraires et philosophiques. Nous lui devons Corinne, célèbre roman plein de charme et d'intérêt, et son bel ouvrage sur l'Allemagne. Ce dernier, le plus important de tous, a puissamment contribué à faire naître en France une ère nouvelle pour les arts, la littérature et la philosophie.

Parmi ses autres productions, on remarque ses Considérations sur les principaux événements de la révolution française et un livre intitulé: De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales.

Son style, qui réunit l'élégance et la force, est en rapport avec l'énergie des pensées et avec l'enthousiasme qui les caractérise très-souvent.

THÉORIE DE L'Aurore.

Les rayons qui se plient pour s'approcher de nous passent au-dessus de nos têtes avant de nous atteindre; ils se réfléchissent sur les particules grossières de l'air pour former d'abord une faible lueur, incessamment augmentée, qui annonce et devient bientôt le jour. Cette lueur est l'aurore. La lumière décomposée peint les nuages, et forme ces couleurs brillantes qui précèdent le lever du soleil: c'est dans ce phénomène coloré de la réfraction" que les poëtes ont vu la déesse du matin : elle ouvre les portes du jour avec ses doigts de rose, et la fille de l'air et du soleil a son trône dans l'atmosphère. Si cette atmosphère n'existait pas, si les rayons nous parvenaient1 en ligne droite, l'apparition et la disparition du soleil seraient instantanées ; le grand éclat du jour succéderait à la profonde nuit, et des ténèbres épaisses prendraient tout à coup la place du plus beau jour. La réfraction est donc utile à la terre, nonseulement parce qu'elle nous fait jouir quelques moments de plus de la présence du soleil, mais parce qu'en nous donnant les crépuscules, elle prolonge la durée de la lumière; et la nature a établi des gradations pour préparer nos plaisirs, pour diminuer nos regrets. Nous voyons poindre le jour comme une faible espérance; il s'échappe sans qu'on y songe, et la lumière se perd comme nos forces, comme la santé, les plaisirs, la vie même, sans que nous nous en apercevions. BAILLY. Astronomie moderne.

BAILLY (Jean-Silvain), maire de Paris, Né à Paris en 1736, mort en 1793; célèbre par le rôle qu'il a rempli dans la révolution française. On a de lui plusieurs ou vrages scientifiques très-estimés.

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Réfraction. Terme de Physique. Changement de direction qui se fait dans un rayon de lumière, lorsqu'il passe obliquement d'un milieu dans un autre. Un bâton, plongé en partie dans l'eau, paraît rompu à cause de la réfraction.

UNE TEMPÊTE DANS LES MERS DE L'INDE. QUAND nous eûmes doublé le cap de Bonne-Espérance, et que nous vîmes l'entrée du canal de Mozambique, le 23 de juin, vers le solsticea d'été, nous fumes assaillis par un vent épouvantable du sud. Le ciel était serein, on n'y voyait que quelques petits nuages cuivrés, semblables à des vapeurs rousses, qui le traversaient avec une vitesse plus grande que celle des oiseaux. Mais la mer était sillonnée par cinq ou six vagues longues et élevées, semblables à des chaînes de collines espacées entre elles par de larges et profondes vallées. Chacune de ces collines aquatiques était à deux ou trois étages. Le vent détachait de leurs sommets anguleux une espèce de crinière d'écume, où se peignaient çà et là les couleurs de l'arc-en-ciel. Il en emportait aussi des tourbillons d'une poussière blanche, qui se répandait au loin dans leurs vallons, comme celle qu'il élève sur les grands chemins en été. Ce qu'il y avait de plus redoutable, c'est que quelques sommets de ces collines, poussés en avant de leurs bases par la puissance du vent, se déferlaient1 en énormes voûtes, qui se roulaient sur elles-mêmes en mugissant et en écumant, et eussent englouti1 le plus grand vaisseau, s'il se fût trouvé sous leurs ruines. L'état de notre vaisseau concourait avec celui de la mer à rendre notre situation affreuse. Notre grand mát3 avait été brisé la nuit par la foudre, et le mát de misaine1, notre unique voile, avait été emporté le matin par le vent. Le vaisseau, incapable de gouverner3, voguait en travers, jouet du vent et des lames". J'étais sur le gaillard d'arrière, me tenant accroché aux haubans du mát d'artimont, tâchant de me familiariser avec ce terrible spectacle. Quand une de ces montagnes approchait de nous, j'en voyais le sommet à la hauteur de nos huniers 10, c'est-à-dire à plus de cinquante pieds au-dessus de ma tête. Mais la base de cette effroyable digue venant à passer sous notre vaisseau, elle le faisait

Solstice. Terme d'Astronomie. Temps auquel le soleil est arrivé a son plus grand éloignement de l'équateur, et paraît, pendant quelques ours, y être stationnaire.

tellement pencher que ses grandes vergues trempaient1 à moitié dans la mer, qui mouillait12 le pied de ses mâts, de sorte qu'il était au moment de chavirer13. Quand il se trouvait sur sa créte1, il se redressait15 et se renversait1 tout à coup en sens contraire sur sa pente opposée avec non moins de danger, tandis qu'elle s'écoulait de dessous lui avec la rapidité d'une écluse, en large nappe d'écume.

Il était alors impossible de recevoir quelque consolation. d'un ami, ou de lui en donner. Le vent était si violent, qu'on ne pouvait entendre les paroles même qu'on se disait en criant à l'oreille à tue-tête"?. L'air emportait la voix et ne permettait d'ouïr que le sifflement aigu des vergues et des cordages, et les bruits rauques 18 des flots, semblables aux hurlements des bêtes féroces. Nous restâmes ainsi entre la vie et la mort, depuis le lever du soleil jusqu'à trois heures après-midi.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. (Voyez la page 51.)

LE FRAISIER, OU LE MONDE D'INSECTES SUR UNE

PLANTE.

UN jour d'été, pendant que je travaillais1 à mettre en ordre quelques observations sur les harmonies de ce globe, j'aperçus sur un fraisier, qui était venu par hasard sur ma fenêtre, de petites mouches si jolies, que l'envie me prit de les décrire. Le lendemain, j'y en vis d'une autre sorte, que je décrivis encore. J'en observai, pendant trois semaines, trente-sept espèces toutes différentes; mais il y en vint à la fin un si grand nombre, et d'une si grande variété, que je laissai là cette étude, quoique très-amusante, parce que je manquais de loisir, ou, pour dire la vérité, d'expression.

Les mouches que j'avais observées étaient toutes distinguées les unes des autres par leurs couleurs, leurs formes et leurs allures. Il y en avait de dorées, d'argentées, de bronzées, de tigrées, de rayées, de bleues, de vertes, de rembrunies, de chatoyantesa. Les unes avaient la tête

Chatoyant, dont la couleur varie comme les yeux d'un chat.

:

arrondie comme un turban; d'autres, allongée en pointe de clou. À quelques-unes elle paraissait obscure comme un point de velours noir; elle étincelait à d'autres comme un rubis. Il n'y avait pas moins de variété dans leurs ailes quelques-unes en avaient de longues et de brillantes comme des lames de nacre; d'autres, de courtes et de larges, qui ressemblaient à des réseaux de la plus fine gaze. Chacune avait sa manière de les porter et de s'en servir. Les unes les portaient perpendiculairement, les autres horizontalement, et semblaient prendre plaisir à les étendre. Celles-ci volaient en tourbillonnant, à la manière des papillons; celles-là s'élevaient en l'air, en se dirigeant contre le vent, par un mécanisme à peu près semblable à celui des cerfs-volants de papier1o, qui s'élèvent en formant, avec l'axe du vent, un angle, je crois, de vingt-deux degrés et demi. Les unes abordaient sur cette plante pour y déposer leurs œufs ; d'autres, simplement pour s'y mettre à l'abri du soleil. Mais la plupart y venaient pour des raisons qui m'étaient tout à fait inconnues; car les unes allaient et venaient dans un mouvement perpétuel, tandis que d'autres ne remuaient que la partie postérieure de leurs corps. Il y en avait beaucoup d'immobiles, et qui étaient peut-être occupées, comme moi, à observer. Je dédaignai, comme suffisamment connues, toutes les tribus des autres insectes qui étaient attirées sur mon fraisier; telles que les limaçons qui se nichaient sous ses feuilles, les papillons qui voltigeaient autour, les scarabées qui en labouraient13 les racines, les petits vers qui trouvaient le moyen de vivre dans le parenchyme112, c'est-à-dire dans la seule épaisseur d'une feuille; les guêpes et les mouches à miel qui bourdonnaient autour de ses fleurs, les pucerons qui en suçaient les tiges, les fourmis qui léchaient les pucerons; enfin, les araignées qui, pour attraper ces différentes proies, tendaient leurs filets dans le voisinage.

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Parenchyme, du grec rapéyxvμa (paregchuma), effusion. Le parenchyme est un tissu cellulaire, tendre et spongieux, qui, dans les feuilles et les tiges, remplit les intervalles entre les plus fines ramifications.

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