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parmi les décombres; et la poule sultane s'y tient immobile, comme un oiseau hiéroglyphique de granit et de porphyre1.

La vallée de Tempé, les bois de l'Olympe, les côtes de l'Attique et du Péloponèse, étalent de toutes parts les ruines de la Grèce. Là, commencent à paraître les mousses, les plantes grimpantes et les fleurs saxatiles13a; une guirlande vagabonde de jasmin embrasse une Vénus antique, comme pour lui rendre sa ceinture 14. Une barbe de mousse blanche descend du menton d'une Hébéb; le pavot croît sur les feuillets du livre de Mnemosyne, aimable symbole de la renommée passée et de l'oubli présent de ces lieux. Les flots de l'Égée qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyonee qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d'un autel, le cygne qui fait son nid dans le sein d'une Léda; tous ces accidents, produits par les Grâces, enchantent ces poétiques débris. Un souffle divin anime encore la poussière des temples d'Apollon et des Muses, et le paysage entier, baigné par la mer, ressemble au beau tableau d'Apelles, consacré à Neptune, et suspendu à ses rivages.

CHÂTEAUBRIAND. (Voyez la page 63.)

Saxatile, (du latin saxum, rocher,) qui croît, qui habite dans les

rochers.

Hébé, déesse de la jeunesse.

e Mnemosyne, déesse de la mémoire.

Philomèle, métamorphosée en rossignol. (Voyez les Métamorphoses d'Ovide, et les Géorgiques de Virgile.)

e

"Qualis populeâ mærens Philomela sub umbrâ.”

C'est ainsi que Philomèle pleure à l'ombre d'un peuplier.

VIRG. Georg. lib. iv. 511.

Alcyone, fille d'Éole, ne pouvait se consoler de la mort du roi Céiyx son époux, qui s'était noyé dans la mer. et l'autre en halcyons, et voulurent que temps que ces oiseaux feraient leurs nids. Virgile dit qu'ils sont chéris de Thétis.

Les dieux les changèrent l'un la mer fût tranquille dans le C'est pour cette raison que

"Dilectæ Thetidi halcyones," etc.
Les halcyons, ces oiseaux chéris de (la mer) Thétis.

VIRG. Georg. lib. i. 399.

1 Cadmus, roi de Thèbes, métamorphosé en serpent. • Léda, femme de Tyndare. (Voyez Ovide.)

LES RUINES DE PALMYRE.

Un soir que je m'étais avancé jusqu'à la vallée des sépulcres, je montai sur les hauteurs qui la bordent, et d'où l'œil domine à la fois l'ensemble des ruines et l'immensité du désert. Le soleil venait de se coucher; un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace à l'horizon lointain des monts de la Syrie: la pleine lune à l'orient s'élevait sur un fond bleuâtre, aux planes rives de l'Euphrate: le ciel était pur, l'air calme et serein; l'éclat mourant du jour tempérait l'horreur des ténèbres; la fraîcheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embrasée; les pâtres avaient retiré leurs chameaux ; l'œil n'apercevait plus aucun mouvement sur la plaine monotone et grisâtre; un vaste silence régnait sur le désert; seulement à de longs intervalles l'on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals. ...L'ombre croissait, et déjà dans le crépuscule mes regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs. . . . Ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, imprimèrent à mon esprit un recueillement religieux1. L'aspect d'une grande cité déserte, la mémoire des temps passés, la comparaison de l'état présent, tout éleva mon cœur à de hautes pensées. Je m'assis sur le tronc d'une colonne; et là, le coude appuyé sur le genon, la tête soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m'abandonnai à une rêverie profonde.

...

Ici, me dis-je, ici fleurit jadis une ville opulente; ici fut le siége d'un empire puissant. Oui! ces lieux maintenant si déserts, jadis une multitude vivante animait leur enceinte; une foule active circulait dans ces routes aujourd'hui solitaires. En ces murs où règne un morne silence, retentissaient sans cesse le bruit des arts et les cris d'allégresse et de fêtes: ces marbres amoncelés formaient des palais réguliers; ces colonnes abattues ornaient la majesté des temples; ces galeries écroulées2 dessinaient les places publiques. Là, pour les devoirs respectables de son culte,

pour les soins touchants de sa subsistance, affluait un peuple nombreux; là, une industrie créatrice de jouissances appelait les richesses de tous les climats, et l'on voyait s'échanger la pourpre de Tyra pour le fil précieux de la Sérique, les tissus moelleux de Cachemire pour les tapis fastueux de la Lydied, l'ambre de la Baltique pour les perles et les parfums arabes, l'or d'Ophire pour l'étain de Thulé.

Et maintenant voilà ce qui subsiste de cette ville puissante, un lugubre squelette! Voilà ce qui reste d'une vaste domination, un souvenir obscur et vain! Au concours bruyant qui se pressait sous ces portiques a succédé une solitude de mort. Le silence des tombeaux s'est substitué au murmure des places publiques. L'opulence d'une cité de commerce s'est changée en une pauvreté hideuse. Les palais des rois sont devenus le repaire des fauves38; les troupeaux parquent au seuil des temples, et les reptiles immondes habitent les sanctuaires des dieux!. . .Ah! comment s'est éclipsée tant de gloire? Comment se sont anéantis tant de travaux?. . .Ainsi donc périssent les ouvrages des hommes! ainsi s'évanouissent les empires et les nations!

Et l'histoire des temps passés se retraça vivement à ma pensée je me rappelai ces siècles anciens où vingt peuples fameux existaient en ces contrées; je me peignis l'Assyrien sur les rives du Tigre, le Chaldéen sur celles de l'Euphrate, le Perse régnant de l'Indus à la Méditerranée. Je dénombrai les royaumes de Damas et de l'Idumée, de Jérusalem et de Samarie, et les États belliqueux des Philistins, et les républiques commerçantes de la Phénicie.

Voyez la description de cette ville par Fénelon, page 21.

b C'est-à-dire la soie, originaire du pays montueux où se termine la grande muraille, pays qui paraît avoir été le berceau de l'empire chinois, connu des Latins sous le nom de Regio Serarum, Serica.

Cachemire. Ville et province de l'Hindoustan. On appelle cachemires, les châles faits dans cette province, ou qui en ont la façon. Lydie. Royaume de l'Asie Mineure.

Ophir, en Asie, près du Golfe persique.

Thulé. Les anciens nommaient ainsi une île qu'ils regardaient comme l'extrémité septentrionale du monde: Ultima Thule, dit Virgile. On croit que c'est l'Islande.

Fauve, adjectif, ne s'emploie substantivement que pour désigner la couleur: le pelage du cerf change du fauve au blanc.

Cette Syrie, me disais-je, aujourd'hui presque dépeuplée, comptait alors cent villes puissantes. Ses campagnes étaient couvertes de villages, de bourgs et de hameaux. De toutes parts l'on ne voyait que champs cultivés, que chemins fréquentés, qu'habitations pressées. . . .Oh! que sont devenus ces âges d'abondance et de vie? Que sont devenues tant de brillantes créations de la main de l'homme? Où sont-ils ces remparts de Ninive, ces murs de Babylone, ces palais de Persépolis, ces temples de Balbeck et de Jérusalem? Où sont ces flottes de Tyr, ces chantiers d'Arada, ces ateliers de Sidon, et cette multitude de matelots, de pilotes, de marchands, de soldats? et ces laboureurs, et ces moissons, et ces troupeaux, et toute cette création d'êtres vivants dont s'enorgueillissait la face de la terre? Hélas! je l'ai parcourue, cette terre ravagée! J'ai visité les lieux qui furent le théâtre de tant de splendeur, et je n'ai vu qu'abandon et que solitude. . . .J'ai cherché les anciens peuples et leurs ouvrages, et je n'en ai vu que la trace, semblable à celle que le pied du passant laisse sur la poussière. Les temples se sont écroulés, les palais sont renversés, les ports sont comblés, les villes sont détruites, et la terre, nue d'habitants, n'est plus qu'un lieu désolé de sépulcres. . . .D'où viennent de si funestes révolutions? Par quels motifs la fortune de ces contrées a-t-elle si fort changé? Pourquoi tant de villes se sontelles détruites? Pourquoi cette ancienne population ne s'est-elle pas reproduite et perpétuée ?

Réfléchissant que telle avait été jadis l'activité des lieux que je contemplais: Qui sait, me dis-je, si tel ne sera pas un jour l'abandon de nos propres contrées? Qui sait si sur les rives de la Seine, de la Tamise, ou du Swiderzée, là où maintenant, dans le tourbillon de tant de jouissances, le cœur et les yeux ne peuvent suffire à la multitude des sensations; qui sait si un voyageur comme moi ne s'assiéra pas un jour sur de múettes ruines, et ne pleurera pas solitaire sur la cendre des peuples et la mémoire de leur grandeur? VOLNEY.

Arad, ville dans une île du même nom; fondée par les exilés de Sidon, une des plus anciennes villes du monde.

VOLNEY (Constantin-François, CHASSEBŒUF, comte de), Pair de France, membre de l'Académie française, né en 1757 en Bretagne, et mort en 1820. L'étude de l'histoire et des langues orientales fut, jusqu'à sa mort, son occupation constante.

LES RUINES DE POMPÉI.

À ROME, l'on ne trouve guère que les débris des monuments publics; et ces monuments ne retracent que l'histoire politique des siècles écoulés: mais à Pompéi, c'est la vie privée des anciens qui s'offre à vous telle qu'elle était. Le volcan qui a couvert cette ville de cendres l'a préservée des outrages du temps. Jamais des édifices exposés à l'air ne se seraient ainsi maintenus; et ce souvenir enfoui1 s'est retrouvé tout entier. Les peintures, les bronzes, étaient encore dans leur beauté première; et tout ce qui peut servir aux usages domestiques est conservé d'une manière effrayante. Les amphores sont encore préparées pour le festin du jour suivant; la farine qui allait être pétrie3, est encore là: les restes d'une femme sont encore ornés des parures qu'elle portait dans le jour de fête que le volcan a troublé; et ses bras desséchés ne remplissent plus le bracelet de pierreries qui les entoure encore. peut voir nulle part une image aussi frappante de l'interruption subite de la vie. Le sillon des roues est visiblement marqué sur les pavés dans les rues ; et les pierres qui bordent les puits portent la trace des cordes qui les ont creusées peu à peu. On voit encore sur les murs d'un corps de garde les caractères mal formés, les figures grossièrement esquissées que les soldats traçaient pour passer le temps, tandis que ce temps avançait pour les engloutir. Quand on se place au milieu du carrefour1 des rues, d'où l'on voit de tous les côtés la ville qui subsiste encore presque en entier, il semble qu'on attende quelqu'un, que le maître soit prêt à venir; et l'apparence même de vie qu'offre ce séjour, fait sentir plus tristement son éternel

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On ne

L'éruption du Vésuve qui engloutit les villes de Pompéi et d'Her culanum eut lieu dans la 79° année de l'ère chrétienne.

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