Page images
PDF
EPUB

masse entière resta dans sa demi-teinte obscure, et on voyait autour des nuages qui s'élevaient de ses flancs, les lueurs des tonnerres dont on entendait les roulements lointains. On aurait juré que c'était une terre véritable, située environ à une lieue et demie de nous. Peut-être était-ce une de ces réverbérations célestes de quelque île très-éloignée, dont les nuages nous répétaient la forme par leurs reflets, et les tonnerres par leurs échos". Plus d'une fois des marins expérimentés ont été trompés par de semblables aspects. Quoi qu'il en soit, tout cet appareil fantastique de magnificence et de terreur, ces montagnes surmontées de palmiers, ces orages qui grondaient sur leurs sommets, ce fleuve, ce pont, tout se fondit et disparut à l'arrivée de la nuit, comme les illusions du monde aux approches de la mort. L'astre des nuits, la triple Hécate, qui répète par des harmonies plus douces celles de l'astre du jour, en se levant sur l'horizon, dissipa l'empire de la lumière, et fit régner celui des ombres. Bientôt des étoiles innombrables et d'un éclat éternel brillèrent au sein des ténèbres. Oh! si le jour n'est lui-même qu'une image de la vie, si les heures rapides de l'aube, du matin, du midi et du soir représentent les âges si fugitifs de l'enfance, de la jeunesse, de la virilité et de la vieillesse, la mort, comme la nuit, doit nous découvrir aussi de nouveaux cieux et de nouveaux mondes!

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Harmonies de la nature. (Voyez la page 51.)

"L'écho qui répète la forme est une expression poétique des plus heureuses et des plus hardies: les vallées et les montagnes étant les causes les plus générales de l'écho, il est exact de dire que le ton reproduit la forme surtout lorsqu'un objet sensible à la vue révèle par quels accidents de la nature ce phénomène est accompli." BONIFACE. b Hécate, déesse célèbre qui avait trois noms: on l'appelait Lune ou Phœbé dans le ciel, Diane sur la terre, et Proserpine aux enfers.

Cette pensée, pleine de philosophie et de poésie, domine le tableau, l'achève en captivant l'imagination et l'esprit.

L'OCÉAN, ET LA PRIÈRE DU SOIR À BORD D'UN VAISSEAU.

"C'EST lorsque le jeune voyageur ne vit plus devant lui que l'immensité de l'Océan, que son âme s'exalta par ce beau idéal de la nature qui, ne fixant point de bornes aux regards, ne pose aucune barrière à l'imagination. Il se plaisait à veiller sur le tillac; et lorsque le pilote ne voyait sur les vagues que la route où il guidait la poupe de son navire, M. de Châteaubriand, contemplant avec enthousiasme le mouvement des flots, apercevait dans leurs verdoyantes sinuosités, ou dans leur blanche écume, toutes les beautés réunies des vallées du Sud et des frimas du Nord. . . . . . . . Les sons pieux de la cloche du navire ramenèrent M. de Châteaubriand près de ses compagnons, et lui firent joindre sa voix émue aux cantiques du vénérable aumônier, répétés par les mâles accents des marins. C'est surtout pendant cette prière du soir, quand le visage cicatrisé des intrépides enfants des mers s'abaissait devant l'Être des êtres, que les flots, en réfléchissant les feux du firmament, semblaient à ses yeux unir la terre au ciel pour célébrer la toute puissance du Roi de l'univers."-Extrait d'une notice biographique de M. de Châteaubriand.

Le tableau suivant, du pinceau de cet auteur célèbre, va nous offrir cette scène touchante et sublime.

LE globe du soleil, dont nos yeux pouvaient alors soutenir l'éclat, prêt à se plonger dans les vagues étincelantes," apparaissait entre les cordages du vaisseau, et versait encore le jour dans des espaces sans bornes. On eût dit, par le balancement de la poupe, que l'astre radieux changeait à chaque instant d'horizon. Les mâts, les haubans1a, les vergues2 du navire étaient couverts d'une teinte de rose. Quelques nuages erraient sans ordre dans l'orient, où la lune montait avec lenteur. Le reste du ciel était pur; et, à l'horizon du nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe3 chargée des couleurs du prisme s'élevait de la mer comme une colonne de cristal supportant la voûte du ciel.

Il eût été bien à plaindre celui qui, dans ce beau spectacle, n'eût pas reconnu la beauté de Dieu! Des larmes coulèrent malgré moi de mes paupières lorsque tous mes

mâts.

Les haubans sont de gros cordages qui tiennent et affermissent les

compagnons, ôtant leurs chapeaux goudronnés, vinrent à entonner, d'une voix rauque, leur simple et pieux cantique. Qu'elle était touchante la prière de ces hommes qui, sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemplaient un soleil couchant sur les flots! Comme elle allait à l'âme cette invocation du pauvre matelot! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'Infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; la nuit s'approchant avec ses embúches?, la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière; Dieu penché sur l'abîme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune à l'horizon opposé, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la faible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne saurait peindre, et ce, que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir.

CHÂTEAUBRIAND. (Voyez la page 63.)

LES INVALIDES AU PIED DES AUTELS.

Qui de nous n'a pas vu quelquefois ces vieux soldats qui, à toutes les heures du jour, sont prosternés çà et là sur les marbres du temple élevé au milieu de leur auguste retraitea? Leurs cheveux, que le temps a blanchis; leur front", que la guerre a cicatrisé; ce tremblement, que l'âge seul a pu leur imprimer, tout en eux inspire d'abord le respect: mais de quel sentiment n'est-on pas ému, lorsqu'on les voit soulever et joindre avec effort leurs mains défaillantes1 pour invoquer le Dieu de l'univers et celui de leur

L'hôtel des Invalides à Paris. C'est là que près de sept mille défenseurs de la patrie trouvent un refuge tranquille, lorsque l'âge ou les blessures les éloignent de la carrière militaire. Cet édifice fut fondé par Louis XIV en 1675.

Ici front au singulier est pris dans un sens général; c'est ainsi qu'on dit: Ils ont le front haut, la tête droite, etc.

cœur et de leur pensée; lorsqu'on les voit oublier, dans cette touchante dévotion, et leurs douleurs présentes et leurs peines passées; lorsqu'on les voit se lever avec un visage serein, et emporter dans leur âme un sentiment de tranquillité et d'espérance! Ah! ne les plaignez point dans cet instant, vous qui ne jugez du bonheur que par les joies du monde. Leurs traits sont abattus2, leur corps chancelle, et la mort observe leurs pas; mais cette fin inévitable, dont la seule image vous effraie, ils la voient venir sans alarmes : ils se sont approchés par le sentiment de celui qui est bon, de celui qui peut tout, de celui qu'on n'a jamais aimé sans consolation. Venez contempler ce spectacle, vous qui méprisez les opinions religieuses, et qui vous dites supérieurs en lumières; venez, et voyez vous-mêmes ce que peut valoir, pour le bonheur, votre prétendue science. Ah! changez donc le sort des hommes, et donnez-leur à tous, si vous le pouvez, quelque part aux délices de la terre, ou respectez un sentiment qui leur sert à repousser les injures de la fortune; et, puisque la politique des tyrans n'a jamais essayé de le détruire, puisque leur pouvoir ne serait pas assez grand pour réussir dans cette farouche entreprise, vous, que la nature a mieux doués, ne soyez ni plus durs, ni plus terribles qu'eux; ou si, par une impitoyable doctrine, vous vouliez enlever aux vieillards, aux malades et aux indigents, la seule idée de bonheur à laquelle ils peuvent se prendre, parcourez aussi ces prisons et ces souterrains, où des malheureux se débattent3 dans leurs fers, et fermez de vos propres mains la seule ouverture qui laisse arriver jusqu'à eux quelques rayons de lumière.

NECKER. Importance des opinions religieuses.

NECKER (Jacques),

Né à Genève en 1734, mort en 1804; ministre des finances en France en 1788. Connu par le rôle qu'il a joué dans la révolution française, et par plusieurs ouvrages estimés. Il fut le père de madame de Staël, et rien n'égale la vénération que son illustre fille professa toujours pour lui.

PHOSPHORESCENCE DE LA MER.

LA phosphorescence des eaux de l'océan, depuis Aristote et Pline, a été, pour les voyageurs et pour les physiciens, un égal objet d'intérêt et de méditation. Combien les phénomènes n'en sont-ils pas effectivement nombreux et variés! Ici, la surface de l'océan étincelle et brille dans toute son étendue, comme une étoffe d'argent électrisée dans l'ombre; là, se déploient les vagues en nappes immenses de soufre et de bitume embrasés; ailleurs, on dirait une mer de lait dont on n'aperçoit pas les bornes. Bernardin de Saint-Pierre a décrit avec enthousiasme ces étoiles brillantes qui semblent jaillir par milliers du fond des eaux, et dont, ajoute-t-il avec raison, celles de nos feux d'artifice ne sont qu'une bien faible imitation. D'autres ont parlé de ces masses embrasées qui roulent sous les vagues, comme autant d'énormes boulets rouges, et nous en avons vu nous-même qui ne paraissaient pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Plusieurs marins ont observé des parallelogrammes incandescents3d, des cônes de lumières pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. Dans quelques lieux

des mers, on voit souvent s'élancer au-dessus de leur surface des jets de feux étincelants; ailleurs on a vu comme des nuages de lumière et de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Quelquefois l'océan semble comme décoré d'une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse, dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de

[ocr errors]

Phosphorescence, du grec pŵs (phos), lumière, et pepw (phérő), je porte. Lumière que rendent certains végétaux et quelques animaux.

Aristote, fondateur de l'école péripatéticienne et le plus célèbre philosophe de toute l'antiquité. Il naquit à Stagire, en Macédoine, 384 av. J.-C. et mourut à Chalcis en Eubée, l'an 321 av. J.-C.

Pline, surnommé l'Ancien, le plus célèbre naturaliste de l'antiquité. Ce grand homme périt l'an 79 de l'ère chrétienne, dans la première éruption du Vésuve, dont l'histoire nous ait transmis la connaissance. (Voyez ci-après l'Exhortation à l'étude des sciences naturelles, par LACÉPÈDE.)

Incandescent, du latin incandescens, du verbe incandescere (devenir tout en feu), dérivé de candidus (blanc).

« PreviousContinue »