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Le comte, [interrompant.] Avant d'aller plus loin, avocat, convient-on de la validité du titre?

Brid'oison, [à Figaro.] Qu'oppo.. qu'oppo-osez-vous à cette lecture?

Figaro. Qu'il y a, messieurs, malice, erreur, ou distraction dans la manière dont on a lu la pièce: car il n'est pas dit dans l'écrit, "laquelle somme je lui rendrai, ET je l'épouserai ;" mais, "laquelle somme je lui rendrai, OU je l'épouserai:" ce qui est bien différent.

Le comte. Y a-t-il ET dans l'acte, ou bien OU?
Bartholo. Il y a ET.

Figaro. Il y a OU.

Brid'oison. Dou-ouble-Main, lisez vous-même.

Double-Main, [prenant le papier.] Et c'est le plus sûr; car souvent les parties déguisent en lisant. [Il lit.] E. e. e. e. Damoiselle, e. e. e. de Verte-allure, e. e. e. Ha! laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition dans ce château...ET...OU...ET... OU...Le mot est si mal écrit...Il y a un páté".

Brid'oison. Un pâ-âté? Je sais ce que c'est.

Bartholo, [plaidant.] Je soutiens, moi, que c'est la conjonetion copulative ET qui lie les membres corrélatifs de la phrase: Je payerai la demoiselle, ET je l'épouserai.

Figaro, [plaidant.] Je soutiens, moi, que c'est la conjonction alternative OU qui sépare lesdits membres: Je payerai la donzelle, OU je l'épouserai. À pédant, pédant et demi: qu'il s'avise de parler latin, j'y suis grec; je l'extermine.

Le comte. Comment juger pareille question?

Bartholo. Pour la trancher, messieurs, et ne plus chicaner sur un mot, nous passons qu'il y ait OU.

Figaro. J'en demande actes.

Bartholo. Et nous y adhérons. Un si mauvais refuge ne sauvera pas le coupable: examinons le titre en ce sens. [Il lit.] Laquelle somme je lui rendrai dans ce cháteau, où je l'épouserai ; c'est ainsi qu'on dirait, messieurs: Vous prendrez deux gros' de rhubarbe, où vous mêlerez un peu de tamarin; c'est-à-dire dans lesquels on mêlera. Ainsi chateau où je l'épouserai, messieurs, c'est cháteau dans lequel...

Figaro. Point du tout: la phrase est dans le sens de celle-ci : ou la maladie vous tuera, ou ce sera le médecin, ou bien le médecin; c'est incontestable. Autre exemple: ou vous n'écrirez rien qui plaise, ou les sots vous dénigreront, ou bien les sots; le sens est clair; car, audit cas, sots ou méchants sont le substantif

qui gouverne. Maître Bartholo croit-il donc que j'aie oublié ma syntaxe? Ainsi, Je la payerai dans ce château, virgule, ou je l'épouserai...

Bartholo, [vite.] Sans virgule.

Figaro, [vite.] Elle y est.

je l'épouserai.

C'est virgule, messieurs, ou bien

Bartholo, [regardant le papier, vite.] Sans virgule, messieurs. Figaro, [vite.] Elle y était, messieurs. D'ailleurs l'homme qui épouse est-il tenu de rembourser ?

Bartholo, [vite.] Oui; nous nous marions séparés de biens. Figaro, [vite.] Et nous de corps, dès que mariage n'est pas quittance. [Les juges se lèvent, et opinent tout bas.]

Bartholo. Plaisant acquittement!
Double-Main. Silence, messieurs!

L'huissier, [glapissant.] Silence!

Bartholo. Un pareil fripon appelle cela payer ses dettes!
Figaro. Est-ce votre cause, avocat, que vous plaidez ?
Bartholo. Je défends cette demoiselle.

Figaro. Continuez à déraisonner; mais cessez d'injurier. Lorsque, craignant l'emportement des plaideurs, les tribunaux ont toléré qu'on appelât des tiers, ils n'ont pas entendu que ces défenseurs modérés deviendraient impunément des insolents privilégiés. C'est dégrader le plus noble institut. [Les juges continuent d'opiner bas.]

Antonio, [à Marceline, montrant les juges.] Qu'ont-ils tant à balbucifier"?

Marceline. On a corrompu le grand-juge, il corrompt l'autre, et je perds mon procès.

Bartholo, [bas.] J'en ai peur.

Figaro, [gaiment.] Courage, Marceline!

Double-Main, [à Marceline.] Ah! c'est trop fort! je vous dénonce, et pour l'honneur du tribunal, je demande qu'avant faire droit sur l'autre affaire, il soit prononcé sur celle-ci.

Le comte. Non, greffier, je ne prononcerai point sur mon injure personnelle; un juge espagnol n'aura point à rougir d'un excès digne au plus des tribunaux asiatiques: c'est assez des autres abus ! J'en vais corriger un second; en vous motivant mon arrêt tout juge qui s'y refuse est un grand ennemi des lois. Que peut requérir la demanderesse? mariage à défaut de payement; les deux ensemble impliqueraient 1o.

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Double-Main. Silence, messieurs.

L'huissier, [glapissant.] Silence!

Le comte. Que nous répond le défendeur? qu'il veut garder sa personne; à lui permis.

Figaro, [avec joie.] J'ai gagné.

Le comte. Mais comme le texte dit: laquelle somme je payerai à la première réquisition, ou bien j'épouserai, etc.; la cour condamne le défendeur à payer deux mille piastres fortes à la demanderesse, ou bien à l'épouser dans le jour. [Il se lève.] Figaro, [stupéfait.] J'ai perdu.

L'huissier, [glapissant.] Passez messieurs. [Le peuple sort.]

[Scène suivante.]

FIGARO, seul.

Non, monsieur le comte, vous ne l'aurez pas...vous ne l'aurez pas...P .Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !...noblesse, fortune, un rang, des places; tout cela rend si fier! Qu'avez-vous fait pour tant de biens? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus: du reste, homme assez ordinaire! tandis que moi, morbleu! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes.... Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ! Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs mœurs, je m'en dégoûte, et veux courir une carrière honnête; et partout je suis repoussé! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie; et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire !-Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre; me fussé-je mis une pierre au cou! Je broche une comédie dans les mœurs du sérail; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule: à l'instant un envoyé...de je ne sais où, se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant: Chiens de chrétiens!-Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant.-Mes joues creusaient; mon terme était échu: je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée dans sa perruque :

en frémissant je m'évertue. Il s'élève une question sur la nature des richesses; et comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n'ayant pas un sou, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net : sitôt je vois, du fond d'un fiacre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance et la liberté. [Il se lève.] Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil Je lui dirais...que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours; que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. [Il se rassied.] Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est question: on me dit que pendant ma retraite économique il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits, ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou! je vois s'élever contre moi mille pauvres hères à la feuille1; on mne supprime; et me voilà derechef sans emploi ! Le désespoir m'allait saisir; on pense à moi pour une place; mais par malheur j'y étais propre il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu'à voler; je me fais banquier de pharaon": alors, bonnes gens! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien pu me remonter; je commençais même à comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde; et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer, lorsqu'un dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse, et mon cuir anglais; puis, laissant la fumée aux sots qui

Pharaon. Jeu de hasard qui se joue avec des cartes.

s'en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville; il me reconnaît, je le marie; et pour prix d'avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne! intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d'épouser ma mère, mes parents m'arrivent à la file. [Il se lève en s'échauffant.] On se débat; c'est vous, c'est lui, c'est moi, c'est toi; non ce n'est pas nous; eh mais! qui donc? [Il retombe assis.] Ô bizarre suite d'événements! Comment cela m'est-il arrivé? Pourquoi ces choses, et non pas d'autres? Qui les a fixées sur ma tête? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaîté me l'a permis : encore je dis ma gaîté, sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m'occupe un assemblage informe de parties inconnues, puis un chétif être imbécile; un petit animal folâtre; un jeune homme ardent au plaisir; ayant tous les goûts pour jouir; faisant tous les métiers pour vivre; maître ici, valet là, selon qu'il plaît à la fortune! ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux...avec délices! orateur selon le danger, poëte par délassement; musicien par occasion, amoureux par folles bouffées; j'ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l'illusion s'est détruite, et trop désabusé...Désabusé!... Suson, Suson, Suson, que tu me donnes de tourments! BEAUMARCHAIS.

BEAUMARCHAIS (Pierre-Auguste-Caron de),

Né en 1732, mort en 1799. Auteur dramatique, et l'un des plus beaux génies du dix-huitième siècle. Ses principales pièces de théâtre sont le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro.

Scènes de la FÊTE DE CORNEILLE, comédie.

Pierre CORNEille.

Personnages.

DESBAUDIÈRES, procureur.

Thomas CORneille. MARIE, servante.

La scène est à Rouen dans la maison des deux frères Pierre et Thomas Corneille. L'introduction du procureur fournit à l'auteur l'occasion

Voyez la notice de Corneille dans les MODÈLES DE POÉSIE

FRANÇAISE.

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