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Masc. Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas

des premiers out ce qui se fait; mais ne vous mettez pas en peine: je veux établir chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrimes un peu quand je veux; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits.

Mad. Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits: je ne vois rien de si galant que cela.

Masc. Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond: vous en verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas. Cat. Pour moi, j'aime terriblement les énigmes.

Masc. Cela exerce l'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner.

Mad. Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés.

Masc. C'est mon talent particulier; et je travaille à mettre en madrigaux toute l'histoire romaine.

Mad. Ah! certes, cela sera du dernier beau'; j'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer.

Masc. Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition; mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires qui me persécutent...... À quoi donc passez-vous le temps, mesdames?

Cat. A rien du tout.

Mad. Nous avons été jusqu'ici dans un jeûne effroyable de divertissements.

Masc. Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, și vous voulez; aussi bien on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble.

Mad. Cela n'est pas de refus.

Masc. Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là; car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici, qu'à nous autres gens de condition les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation: et je vous laisse à penser si, quand nous disous quelque chose, le parterre ose nous contredire! Pour

• On donnait le nom de ruelles aux assemblées de ce temps-là.

moi, j'y suis fort exact; et quand j'ai promis à quelque poëte, je crie toujours: Voilà qui est beau! avant que les chandelles soient

allumées.

[Scène suivante.]

CATHOS, MADELON, MASCARILLE, JODELET autre valet prenant les airs d'un homme à la mode, ALMANZOR.

Masc. Ah, vicomte !

Jod. [ils s'embrassent l'un l'autre.] Ah, marquis!

Masc. Que je suis aise de te rencontrer !

Jod. Que j'ai de joie de te voir ici !

Masc. Baise-moi donc encore un peu, je te prie.

Mad. [à Cathos.] Ma toute bonne1, nous commençons d'être connues; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir

voir.

Masc. Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhommeci: sur ma parole, il est digne d'être connu de vous.

Jod. Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes.

Mad. C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie.

Cat. Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bienheureuse.

Mad. [à Almanzor.] Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses? Voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un

fauteuil ?

Masc. Ne vous étonnez pas de voir le vicomte de la sorte; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez.

Jod. Ce sont fruits des veilles de la cour2, et des fatigues de la guerre.

Masc. Savez-vous, mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des vaillants hommes du siècle!

Jod. Vous ne m'en devez rien3, marquis; et nous savons ce que vous savez faire aussi.

Masc. Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion.

Jod. Et dans des lieux où il faisait fort chaud.

Masc. [regardant Cathos et Madelon.] Oui; mais non pas si chaud qu'ici. Hai, bai, hai.

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Jod. Notre connaissance s'est faite à l'armée; et la première fois que nous nous vîmes, il commandait un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.

Masc. Il est vrai: mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse; et je me souviens que je n'étais que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux.

Jod. La guerre est une belle chose; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous. Masc. C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée au croc. Cat. Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée.

Mad. Je les aime aussi; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure.

Masc. Te souvient-il, vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siége d'Arras?

Jod. Que veux-tu dire avec ta demi-lune? C'était bien une lune tout entière.

Masc. Je pense que tu as raison.

Jod. Il m'en doit bien souvenir, ma foi, j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenades, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quel coup c'était: là.

Cat. [après avoir touché l'endroit.] Il est vrai que la cicatrice est grande.

Masc. Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci; là, justement au derrière de la tête. Y êtes-vous?

Mad. Oui, je sens quelque chose.

Masc. C'est un coup de mousquet que je reçus, à la dernière campagne que j'ai faite.

Jod. [découvrant sa poitrine.] Voici un coup qui me perça de part en part à l'attaque de Gravelines.

est.

Masc. Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on

Cat. Nous ne doutons pas de ce que vous êtes.

Masc. Vicomte, as-tu là ton carrosse?

Jod. Pourquoi?

Masc. Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau".

Mad. Nous ne saurions sortir aujourd'hui.

Masc. Ayons donc les violons pour danser.

• Donner un cadeau signifiait autrefois donner une fête, donner un repas.

Jod. Ma foi, c'est bien avisé.

Mad. Pour cela nous y consentons: mais il faut donc quelque surcroît de compagnie.

Masc. Holà! Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette! Au diable soient tous les laquais! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul.

Mad. Almanzor, dites aux gens de monsieur le marquis qu'ils aillent quérir des violons, et nous faire venir ces messieurs et ces dames d'ici près pour peupler la solitude de notre bal. MOLIÈRE. (Voyez la page 444.)

Scène de L'AMOUR MÉDECIN, comédie.

SGANARELLE, LISETTE.

Lis. Que voulez-vous donc faire, monsieur, de quatre médecins? N'est-ce pas assez d'un pour tuer une personne?

Sgan. Taisez-vous. Quatre conseils valent mieux qu'un. Lis. Est-ce que votre fille ne peut pas bien mourir sans le secours de ces messieurs-là?

Sgan. Est-ce que les médecins font mourir?

Lis. Sans doute; et j'ai connu un homme qui prouvait, par bonnes raisons, qu'il ne faut jamais dire: Une telle personne est morte d'une fièvre et d'une fluxion sur la poitrine, mais elle est morte de quatre médecins et de deux apothicaires.

Sgan. Chut! N'offensez pas ces messieurs-là.

Lis. Ma foi, monsieur, notre chat est réchappé depuis peu d'un saut qu'il fit du haut de la maison dans la rue; et il fut trois jours sans manger, et sans pouvoir remuer ni pied ni pattea; mais il est bien heureux de ce qu'il n'y a point de chats médecins, car ses affaires étaient faites, et ils n'auraient pas manqué de le purger et de le saigner.

Sgan. Voulez-vous vous taire? vous dis-je. Mais voyez quelle impertinence! Les voici.

Lis. Prenez garde, vous allez être bien édifié. Ils vous diront en latin que votre fille est malade.

MOLIÈRE. (Voyez la page 444.)

• Ne remuer ni pied ni patte, expression proverbiale et familière qui signifie être sans mouvement.

Scène de l'AVOCAT PATELIN, comédie.

PATELIN (en robe d'avocat), et un peu après M. GUILLAUME, drapier.

Patelin. Cela est résolu: il faut aujourd'hui même, quoique je n'aie pas le sou, que je me donne un habit neuf....Ma foi! on a bien raison de le dire, il vaudrait autant être ladre que d'être pauvre. À me voir ainsi habillé me prendrait-on pour un avocat? ne dirait-on pas plutôt que je serais un magister de ce bourg? Depuis quinze jours que j'ai quitté le village où je demeurais pour venir m'établir en ce lieu-ci, croyant d'y faire mieux mes affaires... elles vont de mal en pis. J'ai de ce côté-là, pour voisin, mon compère le juge du lieu...pas un pauvre petit procès. De cet autre côté, un riche marchand drapier...pas de quoi m'acheter un méchant habit...ah! pauvre Patelin, pauvre Patelin!...Il te faut bien, par force, avoir recours à l'industrie...oui, tâchons adroitement à nous procurer, à crédit, un bon habit de drap dans la boutique de monsieur Guillaume, notre voisin. Si je puis une fois me donner l'extérieur d'un homme riche...[M. Guillaume entre.] Bon! le voilà seul; approchons.

M. Guil. [à part, feuilletant un livre.] Compte du troupeau...

six cents bêtes...

Pat. [à part, lorgnant le drap de la boutique.] Voilà une pièce de drap qui ferait bien mon affaire. [À M. Guillaume.] Serviteur,

monsieur.

M. Guil. [sans le regarder.] Est-ce le sergent que j'ai envoyé quérir? qu'il attende.

Pat. Non, monsieur, je suis...

M. Guil. [ l'interrompant en le regardant.] Une robe?...le procureur, donc? Serviteur.

Pat. Non, monsieur, j'ai l'honneur d'être avocat.

M. Guil. Je n'ai pas besoin d'avocat je suis votre serviteur. Pat. Mon nom, monsieur, ne vous est sans doute pas inconnu. Je suis Patelin, l'avocat.

M. Guil. Je ne vous connais point, monsieur.

Pat. [à part.] Il faut se faire connaître. [À M.Guillaume.] J'ai trouvé, monsieur, dans les mémoires de feu mon père, une dette qui n'a pas été payée, et...

M. Guil. [ l'interrompant.] Ce ne sont pas mes affaires; je ne dois rien.

Pat. Non, monsieur : c'est au contraire feu mon père qui devait

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