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Thomas Diaf. Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on voit sur votre visage... Bél. Monsieur, je suis ravie d'être venue ici à propos, pour avoir l'honneur de vous voir.

Thomas Diaf. Puisque l'on voit sur votre visage......puisque l'on voit sur votre visage......Madame, vous m'avez interrompu dans le milieu de la période, et cela m'a troublé la mémoire,

M. Diaf. Thomas, réservez cela pour une autre fois.

Arg. Je voudrais, m'amie, que vous eussiez été ici tantôt. Toin. Ah! madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été ici au second père, à la statue de Memnon, et à la fleur nommée héliotrope.

Arg. Allons, ma fille, touchez dans la main3 de monsieur, et lui donnez votre foi comme à votre mari.

Angél. Mon père !......

Arg. Hé bien! mon père! Qu'est-ce que cela veut dire?

Angél. De grâce, ne précipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connaître, et de voir naître en nous, l'un pour l'autre, cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite.

Thomas Diaf. Quant à moi, mademoiselle, elle est déjà toute née en moi; et je n'ai pas besoin d'attendre davantage.

Angél. Si vous êtes si prompt, monsieur, il n'en est pas de même de moi; et je vous avoue que votre mérite n'a pas encore fait assez d'impression dans mon âme.

Arg. Oh! bien, bien; cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble.

Angél. Hé! mon père, donnez-moi du temps, je vous prie. Le mariage est une chaîne où l'on ne doit jamais soumettre un cœur par force; et si monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne qui serait à lui par contrainte.

Thomas Diaf. Nego consequentiam, mademoiselle; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de monsieur votre père.

Angél. C'est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu'un que de lui faire violence.

Thomas Diaf. Nous lisons des anciens, mademoiselle, que leur coutume était d'enlever par force de la maison des pères les filles qu'on menait marier, afin qu'il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convolaient dans les bras d'un homme.

Angél. Les anciens, monsieur, sont les anciens; et nous

sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle: et, quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu'on nous y traîne. Donnez. vous patience; si vous m'aimez, monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.

Thomas Diaf. Oui, mademoiselle, jusqu'aux intérêts de mon amour exclusivement.

Angél. Mais la grande marque d'amour, c'est d'être soumis aux volontés de celle qu'on aime.

Thomas Diaf. Distinguo, mademoiselle. Dans ce qui ne regarde pas sa possession, concedo; mais dans ce qui la regarde,

nego.

Toin. [à Angélique.] Vous avez beau raisonner. Monsieur est frais émoulu 10 du collége, et il vous donnera toujours votre reste". Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d'être at tachée au corps de la faculté?

Angél. Pour finir toute discussion il vaut mieux que je me retire. Adieu.

[Scène suivante.]

ARGAN, M. DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS.

Arg. Je vous prie, monsieur, de me dire un peu comment je suis.

M. Diaf. [tátant le pouls d'Argan.] Allons, Thomas, prenez l'autre bras de monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis?

Thomas Diaf. Dico que le pouls de monsieur est le pouls d'un homme qui ne se porte point bien.

M. Diaf. Bon.

Thomas Diaf. Qu'il est duriuscule, pour ne pas dire dur.
M. Diaf. Fort bien.

Thomas Diaf. Repoussant.

M. Diaf. Benè.

Thomas Diaf. Et même un peu caprisant1.

M. Diaf. Optimè.

Thomas Diaf. Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c'est-à-dire la rate.

M. Diaf. Fort bien.

Parenchyme est un terme de médecine par lequel on désigne la substance d'un viscère. Parenchyme splénique signifie la substance de la rate (Voyez la note, page 84).

Arg. Non; monsieur Purgon dit que c'est mon foie qui est malade.

M. Diaf. Et dui: qui dit parenchyme dit l'un et l'autre, à du le moyen par cause de l'étroite sympathie qu'ils ont ensemble vas breve, du pylore3, et souvent des méats cholidoques". Il vous ordonne sans doute de manger force rôti?

Arg. Non; rien que du bouilli.

M. Diaf. Et oui: rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être entre de meilleures mains.

Arg. Monsieur, combien est-ce qu'il faut mettre de grains de sel dans un œuf?

M. Diaf. Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs.

Arg. Jusqu'au revoir, monsieur.

MOLIÈRE. (Voyez la page 444.)

Scènes du MARIAGE FORCÉ, comédie.

[Les hommes sont quelquefois la dupe des conseils qu'ils demandent, parce qu'ils n'en veulent que de conformes à leurs propres sentiments.]

SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.

Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne quérir vite chez le seigneur Géronimo; et, si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée.

[Scène suivante.]

SGANARELLE, GERONIMO.

Gér. [ayant entendu les dernières paroles de Sganarelle.] Voilà un ordre fort prudent.

Sgan. Ah! seigneur Géronimo, je vous trouve à propos; et j'allais chez vous, vous chercher.

Gér. Et pour quel sujet, s'il vous plaît?

a Vas breve, mots latins qui désignent un vaisseau situé au fond de l'estomac. Pylore, orifice inférieur de l'estomac. Méats choliloques, ou plutôt cholédoques, se dit du canal qui conduit la bile du foie dans le duodénum.

Sgan. Pour vous communiquer une affaire que j'ai én tête, et vous prier de m'en dire votre avis.

Gér. Très-volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté.

Sgan. Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.

Gér. Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vou n'avez qu'à me dire ce que c'est.

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Sgan. Mais, auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout, et de me dire nettement votre pensée.

Gér. Je le ferai, puisque vous le voulez.

Sgan. Je ne vois rien de plus condamnable qu'un aini qui ne nous parle pas franchement.

Gér. Vous avez raison.

Sgan. Et, dans ce siècle, on trouve peu d'amis sincères.
Gér. Cela est vrai.

Sgan. Promettez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise.

Gér. Je vous le promets.

Sgan. Jurez-en votre foi.

Gér. Oui, foi d'ami. Dites-moi seulement votre affaire. Sgan. C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.

Gér. Qui, vous?

Sgan. Oui, moi-même, en propre personne. Quel est votre avis là-dessus?

Gér. Je vous prie auparavant de me dire une chose.
Sgan. Et quoi?

Gér. Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant?
Sgan. Moi?

Gér. Oui.

Sgan. Ma foi, je ne sais; mais je mne porte bien.

Gér. Quoi! vous ne savez pas à peu près votre âge?

Sgan. Non est-ce qu'on songe à cela?

Gér. Eh! dites-moi un peu, s'il vous plaît: combien aviez

vous d'années lorsque nous fîmes connaissance?

Sgan. Ma foi, je n'avais que vingt ans alors.
Gér. Combien fûmes-nous ensemble à Roine?
Sgan. Huit ans.

• Mettez donc dessus, pour mettez donc votre chapeau.

Gér. Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre ?

Sgan. Sept ans.

Gér. Et en Hollande, où vous fûtes ensuite?

Sgan. Cinq ans et demi.

Gér. Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici?

Sgan. Je revins en cinquante-deux.

Gér. De cinquante-deux à soixante-quatre il y a douze ans, ce me semble; cinq ans en Hollande font dix-sept, sept ans en Angleterre font vingt-quatre, huit dans notre séjour à Rome font trente-deux, et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante-deux. Si bien, seigneur Sganarelle, que, sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année.

Sgan. Qui, moi? cela ne se peut pas.

Gér. Mon dieu! le calcul est juste; et là-dessus je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait1. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire: mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout; et si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin, je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage; et je vous trouverais le plus ridicule du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes.

Sgan. Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je recherche. Gér. Ah! c'est une autre chose! Vous ne m'aviez pas dit cela. Sgan. C'est une fille qui me plaît, et que j'aime de tout mon

cœur.

Gér. Vous l'aimez de tout votre cœur?

Sgan. Sans doute; et je l'ai demandée à son père.

Gér. Vous l'avez demandée ?

Sgan. Oui. C'est un mariage que je dois conclure ce soir; et j'ai donné ma parole.

Gér. Oh! mariez-vous donc. Je ne dis plus mot.

Sgan. Je quitterais le dessein que j'ai fait ! Vous semble-t-il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une femme? Ne parlons pas de l'âge que je puis avoir; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans

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