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biens que lui prodigue la nature? Vous y voyez tous les climats, vous y rencontrez toutes les cultures; au Midi, l'olivier, le citronnier, l'oranger; au Nord, le mélèze et le sapin, les deux extrémités de la chaîne botanique. Les arbres de la Perse et des deux Amériques viennent s'y mêler à l'orme féodal et aux chênes de la vieille Gaule; les fruits parfumés de l'Asie, au pommier indigène; la flore entière de l'Orient, à l'humble violette, à nos couronnes de bluets, aux bouquets champêtres de la páquerettea et de la mystérieuse verveine. Ainsi la France se couvre des productions du nouveau monde et des trésors de l'ancien. Du haut de ses coteaux chargés de vignes, des fleuves de vin coulent éternellement dans la coupe de tous les peuples; tandis que, sur ses larges plaines, les moissons ondoient, comme les flots de la mer, sous le vent qui les courbe, sous le soleil qui les mûrit.

À la vue de tant de biens, mon cœur bondissait de joie. Je m'écriais: Chère patrie! terre fortunée! tu possèdes, tout, richesse, intelligence, liberté. Est-il sur le globe un spectacle comparable à celui de ta gloire! Tu t'es dépouillée de tes superstitions et de tes vices, comme on se dépouille d'un haillon flétri2; plus de moines inutiles, plus de droits féodaux, plus de corvées, plus de servage, plus de castes qui se méprisent, plus de provinces rivales et Jalouses; je ne vois dans ton sein qu'un peuple, et dans ce peuple qu'une famille!

AIMÉ-MARTIN. De l'éducation des mères de famille.

AIMÉ-MARTIN (Louis),

Né à Lyon en 1786, mort en 1847. Parmi les ouvrages de cet écrivain, on remarque les Lettres à Sophie sur la physique, la

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Pâquerette. Espèce de marguerite blanche, qui vient vers le temps de Pâques.

b Verveine. Plante odorante, de la famille des labiées, que les anciens employaient dans les cérémonies religieuses et dans les conjurations magiques. C'est sans doute à cause de cet usage qu'Aimé-Martin l'appelle mystérieuse. [En botanique, on appelle labiées certaines plantes dont la fleur est découpée en forme de lèvres.]

• Corvée. Travail et service gratuit qui était dû par le paysan ou le tenancier à son seigneur, soit en journées de corps, soit en journées de chevaux, de bœufs et de harnais.

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chimie et l'histoire naturelle; le roman de Raymond; et surtout le traité De l'éducation des mères de famille. On cite aussi avec éloge ses Commentaires sur Molière, Racine, etc., sa Vie de Bernardin de Saint-Pierre, son Introduction au Panthéon littéraire, etc.

VERSAILLES.

C'EST là un pèlerinage poétique. Partir de Paris à deux heures, traverser cette grande route par laquelle tout le dix-septième siècle a passé, ce chemin de Versailles à Paris, traversé par la royauté de France dans des appareils si divers et pour des causes si différentes. Au bord de ces chemins, quand passait Louis XIV, ses sujets s'agenouillaient dans la poussière; deux rois plus tard, ces mêmes sujets s'en allaient à main armée chercher de force le petitfils de Louis XIV, lui, sa femme, sa sœur, et son enfant; et du château de Versailles, cette monarchie de tant de siècles passait dans les prisons, et de là à l'échafaud. Quel drame de gloire et d'infamie s'est passé sur cette grande route aujourd'hui si tranquille! Aujourd'hui la bourgeoisie à remplacé la cour; elle va à Versailles pour voir jouer les eaux, elle en revient au galop des chevaux de coucoua; elle est la reine de ces beaux lieux, reine paisible et sans peur, et à l'abri de toute calomnie. Demandez à qui appartient le château de Louis XIV aujourd'hui? Il appartient au premier bourgeois qui s'y vient promener avec sa femme et son enfant. Ils foulent tranquillement ces belles allées où passèrent, comme un songe, tant de grandeurs et tant de beautés le grand Condé, M. de Turennes, Racine, Molière, la Vallièred, Montespan.

• Coucou, dans le langage familier, se dit de petites voitures à quatre ou six places, qui parcourent les environs de Paris.

b Condé, voyez la page 333, note b.

• M. de Turenne, voyez la page 333, note".

La Vallière (Louise-Françoise de La Baume-Le Blanc de), née en 1644, morte en 1710.

• Montespan (Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Montemart, marquise de), née en 1641, morte en 1707.

Le château de Versailles est beau, surtout quand vient l'automne souffler de sa tiède haleine sur la feuille qui jaunit et qui tombe. Alors, quand toute verdure a passé, quand tout oiseau fait silence, quand les eaux dorment dans leur prison de plomb, quand le buis seul, ce buis travaillé par Le Nôtre, en pyramides factices, jette seul, sur tout cet ensemble, son éternelle, languissante et monotone verdure; alors quand toutes les statues du parc, ce peuple de marbre et de bronze apparaît tout nu et tout froid à travers ces charmilles1 dépouillées; alors seulement, au milieu de cette désolation des jardins, qui s'accorde si bien avec le silence du palais, le château de Versailles vous apparaît dans toute son historique beauté. Il est grand, il est froid, il est solennel. Levez la tête! Peut-être que Louis XIV va se mettre là-haut à son balcon de marbre? Prêtez l'oreille, n'entendez-vous pas Bossuet qui se promène dans l'allée des philosophes? Quelle est cette robe blanche qui étincelle là-bas non loin des bains d'Apollon? Éloignezvous, c'est la belle Fontanges, qui ne veut pas être vue. Le château de Versailles est le seul château du monde qui perde sa beauté au printemps quand tout s'éveille, quand le soleil est chaud, quand l'eau murmure, quand l'oiseau chante dans l'air. Mais aussi, quand ces vastes jardins ne sont plus que désolation et silence, quand la lune se lève dans le ciel, jetant une clarté mourante sur ces arbres morts, enveloppant de son silence éternel tout ce grand silence royal, quelle joie d'être seul à parcourir ces grandes allées, à se perdre dans ces sinueux détours, à contempler ces grands arbres, tout ridés, témoins de tant de mystères, à poser son pied sur ce sable effleuré par tant de pieds légers. Quelle joie et quel orgueil de se dire: À cette heure, me voilà l'héritier de Louis XIV; à cette heure je foule le sol de Louis XV; à cette heure, je suis assis sui le même banc de pierre où la reine Marie-Antoinette© ve

• Le Nôtre (André), dessinateur des jardins de Louis XIV.

Marie-Angélique, duchesse de Fontanges, née en 1661, était fille d'honneur à la cour de Louis XIV. Elle mourut en 1681.

* Antoinette (Marie), reine de France, épouse de Louis XVI. Fille

nait s'asseoir pour entendre les sons lointains de la musique par une belle soirée d'été.

J. JANIN. (Voyez la page 152.)

· UN PAYSAGE DU BERRIa.

La partie sud-est du Berri renferme quelques lieues d'un pays singulièrement pittoresque. La grande route qui le traverse dans la direction de Paris à Clermont étant bordée des terres les plus habitées, il est difficile au voyageur de soupçonner la beauté des sites qui l'avoisinent. Mais à celui qui, cherchant l'ombre et le silence, s'enfoncerait dans un de ces chemins tortueux et encaissés qui débouchent sur la route à chaque instant, bientôt se révèleraient de frais et calmes paysages, des prairies d'un vert tendre, des ruisseaux mélancoliques et silencieux, des massifs d'aunes1 et de frênes, toute une nature suave, naïve et pastorale. En vain chercherait-il dans le rayon de plusieurs lieues une maison d'ardoises et de moellons3. À peine une mince fumée bleue, venant à trembloter derrière le feuillage, lui annoncerait le voisinage d'un toit de chaume, et, s'il apercevait, derrière les noyers de la colline, la flèche d'une petite église, au bout de quelques pas il découvrirait une campanille de tuiles rongées par la mousse, douze maisonnettes éparses entourées de leurs vergers et de leurs chènevières, un ruisseau avec son pont formé de trois soliveaux, un cimetière d'un arpent carré, fermé par une haie vive, quatre ormeaux en quinconce et une tour ruinée. C'est ce qu'on appelle un bourg dans le pays.

Rien ne saurait exprimer la fraîcheur et la grâce de ces petites allées sinueuses qui s'en vont serpentant avec caprice sous leurs perpétuels berceaux de feuillage, découvrant à chaque détour une nouvelle profondeur toujours plus mystérieuse et plus verte. Quand le soleil du midi embrase

de Marie-Thérèse d'Autriche et de l'empereur François Ier, elle naquit à Vienne en 1755, et mourut en 1793, victime de la fureur révolu tionnaire.

Le Berri, ancienne province de France, qui forme le département de l'Indre et celui du Cher.

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jusqu'à la tige l'herbe profonde et serrée des prairies; quand les insectes bruissent avec force, et que la caille glousse9 avec amour dans les sillons, la fraîcheur et le silence semblent se réfugier dans les traînesa. Vous y pouvez marcher une heure sans entendre d'autre bruit que le vol d'un merle effarouché à votre approche, ou le saut d'une petite grenouille verte et brillante comme une émeraude, qui dormait dans son hamac de joncs entrelacés. Ce fossé lui-même renferme tout un monde d'habitants, toute une forêt de végétation; son eau limpide court sans bruit en s'épurant sur la glaise1o, et caresse mollement des bordures de cresson, de baume et d'hépatiques; les fontinales, les longues herbes appelées rubans d'eau, les mousses aquatiques pendantes et chevelues, tremblent incessamment dans ses petits remousd silencieux; la bergeronnettee jaune y trotte sur le sable d'un air à la fois espiègle et peureux; la clématitea et le chèvre-feuille l'ombragent de berceaux où le rossignol cache son nid. Au printemps, ce ne sont que fleurs et parfums; à l'automne, les prunelles violettes couvrent ces rameaux, qui, en avril, blanchirent les premiers; la senelle rouge, dont les grives" sont friandes, remplace la fleur d'aubépine, et les ronces, toutes chargées de flocons de laine qu'y ont laissés les brebis en passant, s'empourprent de petites mûres sauvages d'une agréable saveur.

G. S.

⚫ Traîne, terme local donné à un chemin couvert. b Hépatique: on appelle de ce nom des expansions membraneuses et rampantes qui croissent généralement dans les lieux humides. Ce mot vient du grec nap (hepar), foie, parce que cette plante est employée avec succès dans les maladies du foie et du poumon.

Fontinale, plante de la famille des mousses; elle brûle difficilement à cause de l'humidité qu'elle conserve, et à laquelle elle doit son nom (du látin fons, fontis, source, fontaine).

d Remous, tournoiement d'eau à l'arrière quand le navire passe.

e

Bergeronnette, joli petit oiseau généralement noir et gris, trèsfamilier, qui suit les troupeaux et qui habite les rivages.

* Clématite, plante odorante et très-commune en Europe, dans les haies et dans les buissons. Son sarment sert à faire des liens, de jolis paniers, des ruches. Du grec кλñμa (kléma), branche de vigne.

h

Prunelle, espèce de prune sauvage.

Senelle, Cenelle, ou Cinèle, fruit de l'aubépine blanche.

T

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