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conseils ne les avaient égarés, la guerre serait finie; nous sommes faits pour nous aimer, les Français et moi. Mais parce que les émissaires de Philippe les ont séduits, parce que la faction des Seize les opprime, faut-il pour cela nous baigner dans leur sang! méritent-ils la mort parce qu'on les trompe? Mes amis, l'action que vous me conseillez serait injuste. Je dois aimer les Parisiens malgré leurs égarements; leur constance m'étonne, et ne m'irrite pas; j'admire leur valeur dont je déplore l'usage; je les combats et je les plains. Du moins j'accomplis ainsi le précepte de la loi sainte qui commande l'oubli des injures, la clémence, la pitié. Je désire bien moins occuper le trône que le mériter.

Amis, si d'autres considérations étaient de quelque poids après ces grands motifs d'humanité et de justice, je vous dirais que mon intérêt, qui est celui de la France, m'ordonne aussi de respecter Paris. Cette capitale est pour tous nos Français un centre commun, une commune patrie; les sciences et les lettres y réunissent leurs lumières; les arts leurs chefs-d'œuvre, le commerce ses richesses. Que d'antiques monuments, que d'établissements utiles seraient dévastés par nos soldats dans l'ivresse de la victoire et dans l'ardeur du pillage! Voulez-vous dissiper en un seul jour ce trésor de la France? Et l'amour des peuples, que je perdrais pour jamais par cet acte de barbarie, n'est-ce pas aussi un trésor, et le plus précieux de tous? Où le retrouverais-je, grand Dieu! quand j'aurais élevé mon trône sur des ruines, quand je régnerais dans une ville déserte et ensanglantée ?

Cessez donc, messieurs, de m'adresser des conseils et des prières qui m'affligent sans m'ébranler. Non, je ne vous donnerai pas ce signal; c'est la première fois que Henri refuse le combat à sa brave noblesse: il ne trouve plus de courage contre un peuple sans défense qui porte le nom de Français. Mes amis, je vous dois tout, j'aime à le reconnaître hautement, et peut-être un jour vous prouverai-je que je ne suis pas un ingrat; mais ne me demandez jamais des choses que je sois forcé de vous refuser. Je puis vous sacrifier tout, hors mon amour pour mon peuple. Mon Philippe II, roi d'Espagne.

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peuple souffre et gémit, et vous me parlez de l'attaquer! Moi, je veux les nourrir. Qu'on m'amène tous les prisonniers parisiens; je veux leur rendre la liberté ; je les chargerai de dire à leurs concitoyens que Henri n'est pas leur ennemi, qu'il compatit à leurs besoins, qu'il veut les sauver de la famine. Ils viendront, ces malheureux Français, ils viendront se rassasier dans le camp du Béarnais; ils me verront, ils me connaîtront, ils m'aimeront peut-être, ou du moins ils ne mourront pas.

Je sais bien que la politique réprouve ce que je fais; je sais que nourrir les Parisiens, c'est renoncer à un succès certain, et nous soumettre de nouveau à toutes les chances de la guerre et de la fortune; je sais que le duc de Parme, avec ses Espagnols, arrivera bientôt sous les murs de Paris. Eh bien! Français, quel plaisir de combattre alors nos vrais ennemis! Quel est celui d'entre nous qui pourrait reculer devant ces honorables périls, et qui ne voudrait se trouver aux prises1 avec l'étranger? N'est-il pas vrai, Sullya, Biron, Mornay', Turenne, et toi, brave Crillon a, qui n'étais pas à Arquese, et vous tous, vaillants gentilshommes qui me pressez tant au champ d'honneur, n'est-il pas vrai qu'un jour de bataille sera pour vous tous un jour de fête, si au lieu d'égorger des Français, nous chassons les Espagnols? 0

mes compagnons, quand j'aurai nourri mon peuple rebelle, et repoussé l'ennemi loin du sol de la France, peut-être ne me contestera-t-on plus mes droits; je forcerai mes sujets à me chérir; c'est la seule violence que je veuille leur faire. Je les subjuguerai, mais à force de bienfaits et de gloire. Alors j'entrerai dans leur ville que le sang n'aura pas souillée,

a Sully (Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de). En 1594, il fut nommé secrétaire d'État. Il mourut en 1641, laissant des mémoires précieux sur le gouvernement de Henri IV.

b Mornay (Philippe de), seigneur du Plessis-Marly. Après l'abjuration de Henri IV, il devint le chef du parti protestant en France, et mourut en 1623.

Turenne (Henri de La Tour d'Orliègues, vicomte de), maréchal de France, père du célèbre vicomte de Turenne.

Crillon (Louis de Balbe de Berthon, seigneur de) fut un des plus grands capitaines de son siècle. Il mourut en 1615.

e Arques. Petite ville de France à 6 kilomètres de Dieppe. Henri IV y défit les ligueurs en 1589.

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n en ennemi, en conquérant, mais en roi, mais en père. C'est un bon exemple que je donnerai à la postérité; et si quelqu'un de mes descendants, après avoir plaint longtemps des sujets égarés, revenait prendre possession du palais de ses aïeux, il imiterait Henri IV, et comme moi il n'entendrait retentir sur son passage que des cris d'allégresse et d'amour. Je veux que la valeur et la clémence soient les vertus de mes enfants, je veux qu'ils prennent pour devise: Vaincre et pardonner. GOMBERT.

GOMBERT (Jules de),

Auteur vivant. Ses ouvrages sur divers sujets historiques sont remarquables par la pureté, l'élégance et l'énergie du style. Le discours de Henri IV, qui précède, est un de ses chefs-d'œuvre. Il est tiré du Manuel de l'orateur par M. Duquesnois.

PORTRAIT DE RICHELIEU.

Richelieu (Armand-Jean du Plessis, cardinal de), né à Paris en 1585, mort en 1642. Il fut le premier ministre de Louis XIII, et l'un des plus habiles politiques et des plus grands génies que la France ait produits. Malgré les graves reproches que lui fait l'histoire, on se rappelle avec reconnaissance que, protecteur des arts, des sciences et des lettres, il bâtit le Palais-Royal, établit le Jardin des Plantes, fonda l'Académie française, et prépara le beau siècle de Louis XIV.

Elle

MONTEZ les degrés du vieux archevêché, et entrons dans la première et la plus grande des salles. était fort longue, mais éclairée par une suite de hautes fenêtres en ogive', dont la partie supérieure seulement avait conservé les vitraux bleus, jaunes et rouges, qui répandaient une lueur mystérieuse dans l'appartement. Une table ronde, énorme, la remplissait dans toute sa largeur, du côté de la grande cheminée; autour de cette table, couverte d'un tapis bariolé et chargée de papiers et portefeuilles, étaient assis et courbés sur leurs plumes

de

Celui de Narbonne.

huit secrétaires occupés à copier des lettres qu'on leur passait d'une table plus petite. D'autres hommes, debout, rangeaient les papiers dans les rayons d'une bibliothèque, que des livres, reliés en noir, ne remplissaient pas tout entière, et marchaient avec précaution sur le tapis épais dont la salle était garnie.

Malgré cette quantité de personnes réunies, on eût entendu les ailes d'une mouche. Le seul bruit qui s'élevât était celui des plumes qui couraient rapidement sur le papier, et d'une voix grêle3 qui dictait, en s'interrompant pour tousser.

Elle sortait d'un immense fauteuil à grands bras, placé au coin du feu, allumé en dépit des chaleurs de la saison et du pays. C'était un de ces fauteuils qu'on voit encore dans quelques vieux châteaux, et qui semblent faits pour s'endormir en lisant, sur eux, quelque livre que ce soit, tant chaque compartiment en est soigné; un croissant de plume y soutient les reins; si la tête se penche, elle y trouve ses joues reçues par des oreillers couverts de soie, et le coussin du siége déborde tellement les coudes, qu'il est permis de croire que les prévoyants tapissiers de nos pères avaient pour but d'éviter que le livre ne fit du bruit et ne les réveillât en tombant.

Mais quittons cette digression pour parler de l'homme qui s'y trouvait, et qui n'y dormait pas. Il avait le front large et quelques cheveux fort blancs, une figure pâle et effilée, à laquelle une petite barbe blanche et pointue donnait cet air de finesse que l'on remarque dans tous les portraits du siècle de Louis XIII. Une bouche presque sans lèvres, et nous sommes forcé d'avouer que le docteur Lavatera regarde ce signe comme indiquant la méchanceté à n'en pouvoir douter; une bouche pincée, disons-nous, était encadrée par deux petites moustaches grises et une royale, ornement que nos officiers de hussards se laissent croître entre la lèvre inférieure et le menton, et qui ressemble assez à une virgule. Ce vieillard, qui avait sur la tête une calotte rouge, et qui était enveloppé dans une

a Lavater, ministre protestant et célèbre physionomiste, né à Zurich en 1741, mort en 1801.

vaste robe de chambre, portait des bas de soie pourprée, et n'était rien moins qu'Armand du Plessis, cardinal de Richelieu. ALFRED DE VIGNY. Cinq-Mars.

VIGNY (Alfred, comte de),

Né en Touraine vers 1798. Auteur vivant. Nous avons de cet écrivain des drames, des romans et des poëmes fort estimés.

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DÉCOUVERTES ET PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN DU TEMPS DE DESCARTES.

Réné Descartes, philosophe et mathématicien célèbre, né à La Haye en Touraine en 1596, mort en 1650: Il passa en Suède sur l'invitation de la reine Christine.

LAISSANT là les temps trop reculés, je veux chercher, dans le siècle même de Descartes, ou dans ceux qui ont immédiatement précédé sa naissance, tout ce qui a pu servir à le former, en influant sur son génie.

Et d'abord j'aperçois dans l'univers une espèce de fermentation générale. La nature semble être dans un de ces moments où elle fait les plus grands efforts. Tout s'agite, on veut partout remuer les anciennes bornes; on veut étendre la sphère humaine. Vasco de Gamaa découvre les Indes (1497); Colomb découvre l'Amérique (1492); Cortez et Pizarre subjuguent des contrées immenses et nouvelles; Magellan cherche les terres australes; Drake fait le tour du monde : l'esprit des découvertes anime toutes les nations. De grands changements dans la politique et les religions ébranlent l'Europe, l'Asie et l'Afrique; cette secousse se communique aux sciences. L'astronomie renaît dès le quinzième siècle. Copernice rétablit le système de Pythagore et le mouvement de la

le

Vasco de Gama, illustre navigateur portugais qui, le premier, doubla cap de Bonne-Espérance, en 1497.

Le Mexique et le Pérou.

Nicolas Copernic, célèbre astronome, né en Prusse en 1473, mort en 1543. Il découvrit le vrai système du monde.

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