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promptitude. Il parcourait sans cesse son vaste empire, portant la main partout où il allait tomber. Ses affaires renaissaient de toutes parts, il les finissait de toutes parts. Jamais prince ne sut mieux braver les dangers, jamais prince ne les sut mieux éviter. Il se joua de tous les périls, et particulièrement de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérants, je veux dire les conspirations. Ce prince prodigieux était extrêmement modéré; son caractère était doux, ses manières simples; il aimait à vivre avec les gens de sa cour. Il mit une règle admirable dans sa dépense: il fit valoir ses domaines avec sagesse, avec attention, avec économie; un père de famille pourrait apprendre dans ses lois à gouverner sa maison. On voit dans ses capitulairesa la source pure et sacrée d'où il tira ses richesses. Je ne dirai plus qu'un mot: il ordonnait qu'on vendît les œufs des basses-cours de ses domaines et les herbes inutiles de ses jardins, et il avait distribué à ses peuples toutes les richesses des Lombards et les immenses trésors de ces Huns qui avaient dépouillé l'univers.

MONTESQUIEU. Esprit des Lois.

MONTESQUIEU (Charles de SECONDAT, baron de), Président au parlement de Bordeaux; né en 1689, mort en 1755. Montesquieu avait trente ans lorsqu'il publia les Lettres persanes, satire pétillante d'esprit et pleine d'observations judicieuses et profondes. Sept ans plus tard, il fut reçu à l'Académie française, et publia son rapide et admirable tableau des Causes de la grandeur et de la décadence des Romains, sujet usé qu'il sut rajeunir par des considérations politiques de la plus haute portée et par d'énergiques peintures. Parut ensuite l'immortel ouvrage de l'Esprit des Lois, l'œuvre de toute sa vie, et son véritable titre à la gloire. "Le genre humain," a-t-on dit, "avait perdu ses titres : Montesquieu les a retrouvés et les lui a rendus."

Capitulaires. Constitutions sur les matières civiles, criminelles et ecclésiastiques faites par Charlemagne, Charles le Chauve, et par les autres rois de la seconde race. Elles étaient rédigées par chapitres.

PIERRE L'ERMITE®.

La gloire de délivrer Jérusalem appartenait à un simple pèlo rin, qui ne tenait sa mission que de son zèle, et n'avait d'autre puissance que la force de son caractère et de son génie. Quelques-uns donnent à Pierre l'Ermite une origine obscure, d'autres le font descendre d'une famille noble de Picardie; tous s'accordent à dire qu'il avait un extérieur ignoble et grossier. Né avec un esprit actif et inquiet, il chercha dans toutes les conditions de la vie un bonheur qu'il ne put trouver. L'étude des lettres, le métier des armes, le célibat, le mariage, l'état ecclésiastique, ne lui avaient rien offert qui pût remplir son cœur et satisfaire son âme ardente. Dégoûté du monde et des hommes, il se retira parmi les cénobites les plus austères. Le jeûne, la prière, la méditation, le silence de la solitude exaltèrent son imagination. Dans ses visions il entretenait un commerce habituel avec le ciel, et se croyait l'instrument de ses desseins, le dépositaire de ses volontés. Il avait la ferveur d'un apôtre, le courage d'un martyr. Son zèle ne connaissait point d'obstacles, et tout ce qu'il désirait lui semblait facile; lorsqu'il parlait, les passions dont il était agité, animaient ses gestes et ses paroles, et se communiquaient à ses auditeurs; rien ne résistait ni à la force de son éloquence, ni à la puissance de sa volonté. Tel fut l'homme extraordinaire qui donna le signal des croisades, et qui, sans fortune et sans renommée, par le seul ascendant des larmes et des prières, parvint à ébranler l'Occident pour le précipiter tout entier sur l'Asie.

MICHAUD. Histoire des croisades.

MICHAUD (Joseph),

Membre de l'Académie française, né en 1767, mort en 1839. Principaux ouvrages: Histoire des croisades, et le Printemps d'un proscrit, poëme.

La première croisade fut prêchée par Pierre l'Ermite, et publiée par le pape Urbain II, en 1095, au concile de Clermont.

DÉPART DES CROISÉS APRÈS LE CONCILE DE CLERMONT. Dès que le printemps parut, rien ne put contenir l'impatience des croisés; ils se mirent en marche pour se rendre dans les lieux où ils devaient se rassembler. Le plus grand nombre allait à pied; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude, plusieurs voyageaient montés sur des chars traînés par des bœufs ferrés'; d'autres côtoyaient la mer, descendaient les fleuves dans des barques; ils étaient vêtus diversement, armés de lances, d'épées, de javelots, de massues de fer, etc. La foule des croisés offrait un mélange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les rangs des femmes paraissaient en armes au milieu des guerriers...On voyait la vieillesse à côté de l'enfance, l'opulence près de la misère; le casque était confondu avec le froc, la mitre avec l'épée, le seigneur avec le serf, le maître avec le serviteur. Près des villes, près des forteresses, dans les plaines, sur les montagnes, s'élevaient des tentes, des pavillons pour les chevaliers, et des autels dressés à la hâte pour l'office divin; partout se déployait un appareil de guerre et de fête solennelle. D'un côté, un chef militaire exerçait ses soldats à la discipline; de l'autre, un prédicateur rappelait à ses auditeurs les vérités de l'Évangile. Ici, on entendait le bruit des clairons et des trompettes; plus loin, on chantait des psaumes et des cantiques. Depuis le Tibre jusqu'à l'Océan, et depuis le Rhin jusques au-delà des Pyrénées, on ne rencontrait que des troupes d'hommes revêtus de la croix, jurant d'exterminer les Sarrasins et d'avance célébrant leurs conquêtes; de toutes parts retentissait le cri des croisés: Dieu le veut! Dieu le veut!

Les pères conduisaient eux-mêmes leurs enfants, et leur faisaient jurer de vaincre ou de mourir pour Jésus-Christ. Les guerriers s'arrachaient des bras de leurs familles et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieillards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fils ou leurs époux dans la ville la plus voisine; et, ne pouvant

⚫ CLERMONT-FERRAND. Aujourd'hui, chef-lieu du département du Puy-de-Dôme.

se séparer des objets de leur affection, prenaient le parti de les suivre jusqu'à Jérusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croisés et ne pouvaient retenir leurs larmes; ceux qui allaient chercher la mort en Asie étaient pleins d'espérance et de joie.

Parmi les pèlerins partis des côtes de la mer, on remarquait une foule d'hommes qui avaient quitté les îles de l'Océan. Leurs vêtements et leurs armes, qu'on n'avait jamais vus, excitaient la curiosité et la surprise. Ils parlaient une langue qu'on n'entendait point; et pour montrer qu'ils étaient chrétiens, ils élevaient deux doigts de leur main l'un sur l'autre en forme de croix. Entraînés par leur exemple et par l'esprit d'enthousiasme répandu partout, des familles, des villages entiers partaient pour la Palestine; ils étaient suivis de leurs humbles pénates; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prévoyance, et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits des oiseaux laissât périr de misère des pèlerins revêtus de sa croix. Leur ignorance ajoutait à leur illusion, et prêtait à tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur pèlerinage. Les enfants des villageois, lorsqu'une ville ou un château se présentait à leurs yeux, demandaient si c'était là Jérusalem. Beaucoup de grands seigneurs qui avaient passé leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guère plus que leurs vassaux; ils conduisaient avec eux leurs équipages de pêche et de chasse, et marchaient précédés d'une meute, portant leur faucon sur le poing. Ils espéraient atteindre Jérusalem en faisant bonne chère, et montrer à l'Asie le luxe grossier de leurs châteaux.

Au milieu du délire universel, personne ne s'étonnait de ce qui fait aujourd'hui notre surprise. Ces scènes si étranges, dans lesquelles tout le monde était acteur, ne devaient être un spectacle que pour la postérité.

MICHAUD. Histoire des croisades. (Voyez la page 286.)

RÉCEPTION D'UN CHEVALIER AU DOUZIÈME SIÈCLE. Le jeune homme, Pécuyer qui aspirait au titre de chevalier, était d'abord dépouillé de ses vêtements et mis au bain, symbole de purification. Au sortir du bain, on le revêtait d'une tunique blanche, symbole de pureté; d'une robe rouge, symbole du sang qu'il était tenu de répandre pour le service de la foi; d'une saie ou justaucorps' noir, symbole de la mort qui l'attendait, ainsi que tous les hommes.

Ainsi purifié et vêtu, le récipiendaire observait pendant vingt-quatre heures un jeûne rigoureux. Le soir venu, il entrait dans l'église et y passait la nuit en prières, quelquefois seul, quelquefois avec un prêtre et des parrains qui priaient avec lui.

Le lendemain, son premier acte était la confession; après la confession, le prêtre lui donnait la communion; après la communion, il assistait à une messe, et ordinairement à un sermon sur les devoirs des chevaliers, et de la vie nouvelle où il allait entrer. Le sermon fini, le récipiendaire s'avançait vers l'autel, l'épée de chevalier suspendue à son cou; le prêtre la détachait, la bénissait, et la lui remettait au cou. Le récipiendaire allait alors s'agenouiller devant le seigneur qui devait l'armer chevalier: "À quel dessein," lui demandait le seigneur, "désirez-vous entrer dans l'ordre? Si c'est pour être riche, pour vous reposer et être honoré sans faire honneur à la chevalerie, vous en êtes indigne, et seriez à l'ordre de chevalerie que vous recevriez, ce que le clerc simoniaquea est à la prélature." Et, sur la réponse du jeune homme, qui promettait de se bien acquitter des devoirs de chevalier, le seigneur lui accordait sa demande.

Alors s'approchaient les chevaliers, et quelquefois des dames, pour revêtir le récipiendaire de tout son nouvel équipement; on lui mettait, 1° les éperons; 2o le haubert ou la cotte de mailles; 3o la cuirasse; 4° les brassards2 et les gantelets; 5° enfin on lui ceignait l'épée.

Il était alors ce qu'on appelait adoubé, c'est-à-dire adopté, Simoniaque, qui commet des simonies. Simonie. Convention illicite par laquelle on donne ou on reçoit une récompense temporelle, une rétribution pécuniaire pour quelque chose de saint et de spirituel.

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