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nature pour lui n'a plus d'écho; et le vulgaire prend pour de la folie ce malaise d'une âme qui ne respire pas dans ce monde assez d'air, assez d'enthousiasme, assez d'espoir.

La fatalité, (continua Corinne, avec une émotion toujours croissante,) la fatalité ne poursuit-elle pas les âmes exaltées, les poëtes dont l'imagination tient à la puissance d'aimer et de souffrir? Ils sont les bannis d'une autre région ; et l'universelle bonté ne devait pas ordonner toute chose pour le petit nombre des élus ou des proscrits. Que voulaient dire les anciens, quand ils parlaient de la destinée avec tant de terreur? Que peut-elle, cette destinée, sur les êtres vulgaires et paisibles? Ils suivent les saisons; ils parcourent docilement le cours habituel de la vie. Mais la prêtresse qui rendait les oracles se sentait agitée par une puissance cruelle. Je ne sais quelle force involontaire précipite le génie dans le malheur : il entend le bruit des sphères que organes mortels ne sont pas faits pour saisir; il pénètre des mystères du sentiment inconnus aux autres hommes, et son âme recèle un Dieu qu'elle ne peut contenir !

les

Sublime Créateur de cette belle nature, protége-nous ! Nos élans sont sans force, nos espérances mensongères. Les passions exercent en nous une tyrannie tumultueuse, qui ne nous laisse ni liberté ni repos. Peut-être ce que nous ferons demain, décidera-t-il de notre sort; peut-être hier avons-nous dit un mot que rien ne peut racheter!...

Les Napolitains remarquaient avec étonnement la teinte sombre de la poésie de Corinne; ils admiraient l'harmonieuse beauté de son langage: néanmoins ils auraient souhaité que ses vers fussent inspirés par une disposition moins triste; car ils ne considéraient les beaux-arts, et, parmi les beaux-arts la poésie, que comme une manière de se distraire des peines de la vie, et non de creuser plus avant dans ses terribles secrets. Mais les Anglais, qui avaient entendu Corinne, étaient pénétrés d'admiration pour elle. Ils étaient ravis de voir ainsi les sentiments mélancoliques exprimés avec l'imagination italienne. Cette belle Corinne, dont les traits animés et le regard plein de vie étaient destinés à peindre le bonheur; cette fille du soleil, atteinte par des peines secrètes, ressemblait à ces fleurs encore fraîches et brillantes, mais qu'un point noir, causé par une piqûre mortelle, menace d'une fin prochaine. MADAME DE STAËL. (Voyez la page 80.)

N

PIÈCES RELATIVES

À L'HISTOIRE DE FRANCE,

MISES EN ORDRE CHRONOLOGIQUE.

LES GAULOISa.

ÉCOUTEZ ceux qui ont parlé du courage des Gaulois après l'avoir éprouvé, et de leur hospitalité, après avoir reposé sous leurs cabanes d'argile1 colorée : ils vous les peindront vaillants, fiers, impétueux, avides de périls et d'adversaires. Des serments, des vœux solennels, les liaient au culte de la victoire, et leur devise était vaincre ou mourir; ils trouvaient leurs plaisirs et leurs jeux dans le choc des batailles, et, quittant leurs casques au moment du combat, ils se couronnaient de fleurs.

Résister et braver était pour eux une si forte loi, qu'ils ne cédaient pas même à la fureur des éléments. Ils luttaient avec les courants rapides et les tourbillons de la tempête; s'ils s'étaient couchés sur le rivage de la mer lorsque le grand flot approchait, ils dédaignaient de se lever pour l'éviter, et ils sortaient plutôt qu'ils ne fuyaient d'un édifice embrasé. Cette témérité que les étrangers ont appelée démence et forfanterie avait pourtant une cause noble et sublime, car ce n'était pas seulement pour paraître exempts d'effroi qu'ils agissaient ainsi, mais surtout afin de prouver qu'ils croyaient à l'immortalité de l'âme. Les Gaulois avaient une haute stature, que plus d'une fois mesura notre

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S'il en faut croire les recherches savantes de l'historien Bouquet (Histoire des Gaulois), on trouve, dès l'an 1580 avant J.-C., et au temps même de la fondation d'Athènes par l'Égyptien Cécrops, des notions plus ou moins exactes sur les habitants de la Gaule.-ANQUETIL, Histoire de France.

LES FORÊTS CONSACRÉES AU CULTE DES DRUIDES. 267

œil étonné sur les ossements retrouvés dans de vieux tombeaux écroulés sous le pas du voyageur et sous la charrue du colon; ces hommes belliqueux étaient toujours armés pour la guerre et la chasse; ils fuyaient la vie sédentaire et abandonnaient à des esclaves le soin des humbles moissons, qu'on remarquait à peine dans les vastes déserts de la Gaule, dont les eaux et les bois couvraient presque la surface. Sur les lisières des sombres forêts se montraient quelquefois des bêtes fauves d'une grandeur démesurée; sur les bruyères des collines paissaient les onagres et les coursiers sauvages; des arbres fruitiers ombrageaient les ruisseaux et les rivières; le chèvre-feuille et les lianes errantes courbaient des arches de fleurs sur ces ondes parfumées ; les cygnes voguaient en grand nombre sur le lac périlleux, et des oiseaux aux longues ailes voltigeaient parmi les glaïeuls2 et les roseaux. MARCHANGY.

MARCHANGY (Louis-Antoine-François de),

Né à Clamecy (Nièvre) le 28 août 1782, mort en 1825. Ses principaux ouvrages sont la Gaule poétique et Tristan le voya

geur.

LES FORÊTS CONSACRÉES AU CULTE DES DRUIDES. Les forêts, dont ils faisaient leurs temples, n'étaient éclairées que par des rayons vacillants et presque éteints, par des reflets aussi pâles que les lueurs d'une lampe sépulcrale; les chênes, les sapins, les ormes, que n'avaient jamais atteints la foudre ni la cognée, étendaient leurs branches touffues sur le sanctuaire, que remplissaient les simulacres des dieux, représentés par des pierres brutes et des troncs grossièrement façonnés. L'eau du ciel, filtrée à travers cent étages de rameaux, traçait d'humides couleurs

• Ces animaux gigantesques étaient d'énormes buffles sauvages appelés urochs. Il en existait encore du temps de Charlemagne, qui aimait cette chasse périlleuse.

Onagres. Anes sauvages.

• Prêtres gaulois. Druide, du grec ôpûs (drus), chêne, arbre sous lequel les druides célébraient leurs mystères.

sur ces images livides que la mousse et les lichens rongeaient comme une lèpre affreuse.

C'est là que les druides, vêtus de la robe blanche des Platon et des Pythagore, armés de faucilles d'or et portant un sceptre surmonté du croissant des prêtres de l'antique Héliopolisa; c'est là que ces terribles semnothées, le front ceint de feuilles de chêne, et de bandeaux étoilés, emblème de l'apothéose, viennent chercher avec des cérémonies mystérieuses le gui3 sacré, que nos ancêtres appelèrent longtemps le rameau des spectres, l'épouvantail de la mort et le vainqueur des poisons.

C'est là qu'attentif à leur signal, le sacrificateur immole les captifs en l'honneur d'Esus et de Teutatès, c'est là qu'il brûle au milieu de la nuit les figures d'osier renfermant des victimes humaines; le sang rougit tous les autels et arrose le sol sur lequel les racines tortueuses des vieux arbres représentent d'énormes serpents.

Le Gaulois, soumis par la terreur à ce culte formidable, craint de rencontrer les dieux qu'il vient adorer dans ces vastes solitudes; il y pénètre les bras chargés de chaînes comme un esclave, afin de s'humilier encore plus devant ces divinités; il s'avance en tremblant, il frémit au seul bruit de ses pas. Effrayé de ce silence menaçant, son cœur bat avec force, sa vue se trouble, une sueur froide coule de tous ses membres; s'il tombe, ses dieux lui défendent de se relever; il se traîne hors de l'enceinte, il rampe comme un reptile parmi les bruyères sanglantes et les ossements des victimes.

Souvent du milieu de ces forêts lugubres, où l'on n'entendit jamais ni le vol des oiseaux, ni le souffle des vents, de ces forêts muettes et dévorantes, où coulait sans murmure une onde infecte, sortaient tout à coup des hurlements affreux, des cris perçants, des voix inconnues, et

a

Héliopolis. Ville fameuse de la Basse-Égypte, où était un temple

consacré au soleil.

b Vieillards druides. Semnothées, du grec oeuvòs (semnos) vénérable, et eeòs (theos) dieu. Esus, Teutates, dieux des Gaulois.

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soudain à l'horreur du tumulte succédait l'horreur du silence.

D'autres fois, de ces solitudes impénétrables la nuit fuyait tout à coup, et sans se consumer, les arbres devenaient autant de flambeaux dont les lueurs laissaient apercevoir des dragons ailés, de hideux scorpions, des cérastes impurs s'entrelacer, se suspendre aux rameaux éblouissants; des larves, des fantômes montraient leurs ombres sur un fond de lumière, comme des taches sur le soleil; mais bientôt tout s'éteignait, et une obscurité plus terrible ressaisissait la forêt mystérieusea.

DE MARCHANGY. La Gaule poétique. (Voyez la page 267.)

COMBAT DES ROMAINS CONTRE LES FRANCS.

APRÈS quelques jours de marche, nous entrâmes sur le sol marécageux des Bataves, qui n'est qu'une mince écorce de terre flottant sur un amas d'eau. Le pays, coupé par les bras du Rhin, baigné et souvent inondé par l'Océan, embarrassé par des forêts de pins et de bouleaux, nous présentait à chaque pas des difficultés insurmontables.

Épuisé par les travaux de la journée, je n'avais, durant la nuit, que quelques heures pour délasser mes membres fatigués. Souvent il m'arrivait, pendant ce court repos, d'oublier ma nouvelle fortune; et lorsqu'aux premières blancheurs de l'aube, les trompettes du camp venaient à sonner l'air de Diane, j'étais étonné d'ouvrir les yeux au milieu des bois. Il y avait pourtant un charme à ce réveil du guerrier échappé aux périls de la nuit. Je n'ai jamais entendu sans une certaine joie belliqueuse la fanfare du

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Ce fut dans la 43ième année de l'ère vulgaire qu'un décret du sénat romain, sous l'empire de Claude, ordonna l'abolition de la rehgion des druides dans les Gaules et dans la Grande-Bretagne, parce que ces prêtres ne cessaient de conspirer contre le gouvernement des Romains, et excitaient les peuples à rentrer dans leurs priviléges, et à se choisir des rois de leur nation.

b Aujourd'hui la diane se dit d'une batterie de tambour qui a lieu à la pointe du jour, pour éveiller les soldats ou les matelots.

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