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quelques moments, et contre les troupes qui les suivaient, et contre celles qu'Hydarnès avait amenées de l'autre côté du détroit.

Ombres généreuses! votre mémoire subsistera plus longtemps que l'empire des Perses auquel vous avez résisté; et, jusqu'à la fin des siècles, votre exemple produira dans les cœurs qui chérissent leur patrie, le recueillement3 ou l'enthousiasme de l'admiration.

Avant que l'action fût terminée, quelques Thébains, à ce qu'on prétend, se rendirent aux Perses. Les Thespiens partagèrent les exploits et la destinée des Spartiates; et cependant la gloire des Spartiates a presque éclipsé celle des Thespiens. Parmi les causes qui ont influé sur l'opinion publique, on doit observer que la résolution de périr aux Thermopyles fut dans les premiers un projet conçu, arrêté et suivi avec autant de sang-froid que de constance; au lieu que dans les seconds ce ne fut qu'une saillie de bravoure et de vertu, excitée par l'exemple. Les Thespiens ne s'élevèrent au-dessus des autres hommes, que parce que les Spartiates s'étaient élevés au-dessus d'euxmêmes.

Lacédémone s'enorgueillit de la perte de ses guerriers. Tout ce qui la concerne inspire de l'intérêt. Pendant qu'ils étaient aux Thermopyles, un Trachinien, youlant leur donner une haute idée de l'armée de Xercès, leur disait que le nombre de leurs traits suffirait pour obscurcir le soleil. "Tant mieux," répondit le Spartiate Diénécès, "nous combattrons à l'ombre." Un autre, envoyé par Léonidas à Lacédémone, était retenu au bourg d'Alpénus par une fluxion sur les yeux. On vint lui dire que le détachement d'Hydarnès était descendu de la montagne, et pénétrait dans le défilé. Il prend aussitôt ses armes, ordonne à son esclave de le conduire à l'ennemi, l'attaque au hasard, et reçoit la mort qu'il en attendait.

Deux autres, également absents par ordre du général, furent soupçonnés, à leur retour, de n'avoir pas fait tous leurs efforts pour se trouver au combat. Ce doute les couvrit d'infamie: l'un s'arracha la vie; l'autre n'eut

d'autre ressource que de la perdre quelque temps après, à la bataille de Platée.

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Le dévouement de Léonidas et de ses compagnons produisit plus d'effet que la victoire la plus brillante. Il apprit aux Grecs le secret de leur force, aux Perses celui de leur faiblesse. Xercès, effrayé d'avoir une si grande quantité d'hommes et si peu de soldats, ne le fut pas moins d'apprendre que la Grèce renfermait dans son sein une multitude de défenseurs aussi intrépides que les Thespiens, et huit mille Spartiates semblables à ceux qui venaient de périr. D'un autre côté, l'étonnement dont ces derniers remplirent les Grecs, se changea bientôt en un désir violent de les imiter. L'ambition de la gloire, l'amour de la patrie, toutes les vertus furent portées au plus haut degré, et les âmes à une élévation jusqu'alors inconnue. C'est là le temps des grandes choses, et ce n'est pas celui qu'il faut choisir pour donner des fers à un peuple libre.

Mort d'Épaminondas.

Épaminondas, célèbre Thébain, fils de Polymne, fut un des plus grands capitaines de l'antiquité. Il gagna la bataille de Leuctres (371 ans avant J.-C.), où Cléombrote, roi de Sparte, fut tué. Ayant tenu les troupes en campagne pendant quatre mois de plus qu'il ne lui avait été ordonné, Épaminondas fut remplacé : il servit alors comme simple soldat, et se signala par tant de belles actions, que les Thébains, honteux de lui avoir ôté le commandement, lui rendirent toute l'autorité pour faire la guerre en Thessalie, où ses armes furent toujours victorieuses. La guerre s'étant allumée entre les Éléens et les peuples de Mantinée, les Thébains volèrent au secours des premiers. Il y eut une bataille dans la plaine de Mantinée; et le général thébain, s'étant jeté dans la mêlée pour faire déclarer la victoire, reçut un coup mortel: il était âgé de quarante-huit ans. (362 av. J.-C.)

Leuctres, ville de la Béotie; la position en est incertaine.

Aujourd'hui la Livadie; c'est la contrée de la Grèce qui a porté le plus de noms. On y remarquait les montagnes les plus fameuses, I'Olympe, le Pélion et l'Ossa; elle était arrosée par le Pénée et le Sperchius.,

Les Éléens, habitants de l'Elide, contrée située à l'ouest du Péloponèse.

Mantinée, ville du Péloponèse, dans l'Arcadie.

Les deux armées furent bientôt en présence près de la ville de Mantinée. Celle des Lacédémoniens et de leurs alliés était de plus de vingt mille hommes de pied, et de près de deux mille chevaux; celle de la ligue thébaine, de trente mille hommes d'infanterie, et d'environ trois mille de cavalerie.

Jamais Épaminondas n'avait déployé plus de talent que dans cette circonstance. Il suivit dans son ordre de bataille les principes qui lui avaient procuré la victoire de Leuctres. Une de ses ailes, formée en colonne, tomba sur la phalange lacédémonienne, qu'elle n'aurait peut-être jamais enfoncée, s'il n'était venu lui-même fortifier ses troupes par son exemple, et par un corps d'élite dont il était suivi. Les ennemis, effrayés à son approché, s'ébranlent et prennent la fuite. Il les poursuit avec un courage dont il n'est plus le maître, et se trouve enveloppé par un corps de Spartiates qui font tomber sur lui une grêle de traits. Après avoir longtemps écarté la mort, et fait mordre la poussière à une foule de guerriers, il tomba percé d'un javelot, dont le fer lui resta dans la poitrine. L'honneur de l'enlever engagea une action aussi vive, aussi sanglante que la première. Ses compagnons, ayant redoublé leurs efforts, eurent la triste consolation de l'emporter dans

sa tente.

On combattit à l'autre aile avec une alternative à peu près égale de succès et de revers. Par les sages dispositions d'Épaminondas, les Athéniens ne furent pas en état de seconder les Lacédémoniens. Leur cavalerie attaqua celle des Thébains, fut repoussée avec perte, se forma de nouveau, et détruisit un détachement que les ennemis avaient placé sur les hauteurs voisines. Leur infanterie était sur le point de prendre la fuite, lorsque les Éléens

volèrent à son secours.

La blessure d'Épaminondas arrêta le carnage et suspendit la fureur des soldats. Les troupes des deux partis, également étonnées, restèrent dans l'inaction. De part et d'autre on sonna la retraite, et l'on dressa un trophée sur le champ de bataille. Épaminondas respirait encore. Ses

amis, ses officiers, fondaient en larmes autour de son lit. Le camp retentissait des cris de la douleur et du désespoir. Les médecins avaient déclaré qu'il expirerait dès qu'on ôterait le fer de la plaie. Il craignit que son bouclier ne fût tombé entre les mains de l'ennemi; on le lui montra, et il le baisa, comme l'instrument de sa gloire. Il parut inquiet sur le sort de la bataille; on lui dit que les Thébains l'avaient gagnée. "Voilà qui est bien," répondit-il; "j'ai assez vécu." Il demanda ensuite Daïphantus et Iollidas, deux généraux qu'il jugeait dignes de le remplacer : on lui dit qu'ils étaient morts. "Persuadez donc aux Thébains," reprit-il, "de faire la paix." Alors il ordonna d'arracher le fer; et l'un de ses amis s'étant écrié, dans l'égarement de sa douleur: "Vous mourez, Épaminondas! si du moins vous laissiez des enfants!"—" Je laisse," répondit-il en expirant, "deux filles immortelles: la victoire de Leuctres et celle de Mantinéea." BARTHÉLEMY.

BARTHÉLEMY (l'abbé Jean-Jacques), Né en 1716, mort en 1795. Auteur du Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, ouvrage immense d'études et de recherches. On admirera toujours le travail consciencieux de l'auteur, son érudition profonde, son habileté dans l'ordonnance des détails, et surtout l'élégance, la noblesse, le charme de son style, que l'on peut considérer un chef-d'œuvre de narration historique.

a Voici la cause de cette guerre. Les Lacédémoniens ayant détruit l'indépendance des Thébains, Pélopidas et d'autres amis de la liberté furent exilés. Ils revinrent secrètement à Thèbes, et, d'après l'avis d'Epaminondas, tuèrent les agents du gouvernement oppresseur. Le succès de cette entreprise fit éclater une guerre entre Sparte et Thèbes. Épaminondas, né dans cette dernière ville, fut nommé général de l'armée thébaine, et défit les Spartiates à Leuctres. Plus tard, mis de nouveau à la tête des troupes, il assista les Éléens contre les Spartiates, et mourut à la bataille de Mantinée, d'une blessure que lui avait faite Gryllus, fils de l'historien Xénophon, et qui y fut tué lui-même.

FRAGMENT D'UNE HARANGUE DE DÉMOSTHENE. EXTRAIT DU COURS DE LITTÉRATURE DE LA HARPE.

Démosthène, malgré la perte de la bataille de Chéronéea, bataille

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qu'il avait excitée par ses harangues, ne perdit point l'estime des Athéniens; on le chargea de pourvoir aux vivres ; on lui décerna même une couronne d'or, pour avoir fourni une somme pour réparer les murs de la ville. Eschyne attaqua ce décret, sous prétexte que Démosthène était comptable: la cause fut plaidée ; nous allons offrir une partie de la défense de ce grand homme; elle donnera une idée de son éloquence. Après avoir parlé longtemps avec sagesse, il s'écrie en s'adressant à Eschyne: “MALHEUREUX! si c'est le désordre public qui te donne de l'audace, quand tu devrais en gémir avec nous, essaie donc de faire voir dans ce qui a dépendu de moi, quelque chose qui ait contribué à notre malheur, ou qui n'ait pas dû le prévenir. Partout où j'ai été en ambassade, les envoyés de Philippe ont-ils eu quelque avantage sur moi? Non, jamais; non, nulle part; ni dans la Thessalie, ni dans la Thrace, ni dans Thèbes, ni dans Byzance, ni dans l'Illyrie. Mais ce que j'avais fait par la parole, Philippe l'a détruit par la force; et tu t'en prends à moi! Et tu ne rougis pas de m'en demander compte! Ce même Démosthène, dont tu fais un homme si faible, tu veux qu'il l'emporte sur les armées de Philippe! Et avec quoi? avec la parole? car il n'y avait que la parole qui fût à moi; je ne disposais ni des bras, ni de la fortune de personne; je n'avais aucun commandement militaire; et il n'y a que toi d'assez insensé pour m'en demander raison. Mais que pouvait, que devait faire l'orateur d'Athènes? Voir le mal dans sa naissance, le faire voir aux autres; et c'est ce que j'ai fait: prévenir, autant qu'il était possible, les retards, les obstacles de toute spèce, trop ordinaires dans les républiques alliées et jaloises; et c'est ce que j'ai fait : opposer à toutes les difficultés le zèle, l'empressement, l'amour du devoir, l'amitié, la conorde; et c'est ce que j'ai fait sur aucun de ces points

:

a Baaille de Chéronée, gagnée sur les Athéniens par Philippe, roi de Macédoine, 338 avant l'ère vulg.

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