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EXHORTATION À L'ÉTUDE DES SCIENCES NATURELLES. ET comment ne conserveriez-vous pas à jamais votre ardeur pour les sciences naturelles ? Quelque destinée qui vous attende, dans quelque contrée du globe que vos jours doivent couler, la nature vous environnera sans cesse de ses productions, de ses phénomènes, de ses merveilles. Dans les vastes plaines et au milieu des bois touffus, sur le haut des monts et dans le fond de la vallée solitaire, vers le bord des ruisseaux paisibles et sur l'immense surface de l'Océan agité, vous serez sans cesse entourés des objets de votre étude.

Elle vous suivra partout, cette collection que la nature déploie avec tant de magnificence devant les yeux dignes de la contempler, et qui est si supérieure à toutes celles que le temps, l'art et la puissance réunissent dans les temples consacrés à l'instruction. Et quel est le point de la terre où la science aux progrès de laquelle nous nous sommes voués ne nous montre pas un nouvel être à décrire, une nouvelle propriété à reconnaître, un nouveau phénomène à dévoiler? Quel est le climat où transportant, multipliant, perfectionnant les espèces ou les races, et donnant à l'agriculture des secours plus puissants, au commerce des productions plus nombreuses ou plus belles, aux nations populeuses des moyens de subsistance plus agréables, plus salubres, plus abondants, vous ne puissiez bien mériter de vos semblables?

Ah! ne renoncez jamais à la source la plus pure du bonheur qui peut être réservé à l'espèce humaine. Tout ce que la philosophie a dit de l'étude en général, combien nous devons-nous le dire, avec plus de raison, de cette passion constante et douce qui s'anime par le temps, échauffe sans consumer, entraîne1 avec tant de charme, imprime à l'âme des mouvements si vifs et cependant si peu tumultueux, s'empare de l'existence tout entière, l'arrache au trouble, à l'inquiétude, aux regrets, l'attache avec tant de force à la conquête de la vérité, a pour premier terme l'observation des actes de la faculté créatrice, pour dernier but

le perfectionnement, pour jouissance une paix intérieure, un contentement secret et inexprimable, et pour récompense l'estime de son siècle et de la postérité! Comme elle embellit tous les objets avec lesquels elle s'allie! À quel âge, à quel état, à quelle fortune ne convient-elle pas? Elle enchante nos jeunes années, elle plaît à l'âge mûr, elle pare la vieillesse de fleurs, dissipant les chagrins, calmant les douleurs, écartant les ennuis, allégeant le fardeau du ponvoir, soulageant du souci des affaires pénibles, faisant oublier jusques à la misère, consolant du malheur d'une trop grande renommée; quelle adversité ne diminue-t-elle pas?

Jetez les yeux sur les hommes célèbres dont on nous a transmis les actions les plus secrètes. Quels ont été les plus heureux? ceux qui se sont livrés à la contemplation de la nature. J'en atteste Aristote, Linné, Buffon, Bonnet, et ce Bernard de Jussieu, dont la tendre sollicitude pour la conservation d'une plante nouvelle peignait si bien la paisible félicité; et ce naturaliste que nous possédons encore parmi nous, et dont la vieillesse, si justement honorée, jouit, au milieu du calme d'une vie très-prolongée, heureuse et sereine, de la reconnaissance de ses contemporains, et de l'affection de mes savants collègues. J'en atteste même les illustres victimes de leur passion sacrée: Pline, qui meurt au milieu du Vésuvee; tant de célèbres voyageurs qui expirent pour la science sur une terre étrangère; ces infortunés compagnons de La Peyrouse1, dont

Charles de Linné, médecin et célèbre naturaliste suédois, mort en 1778. Auteur du classement des plantes d'après les parties sexuelles, ou les pistils et les étamines.

b Charles Bonnet, de Genève, naturaliste (1793).

Bernard de Jussieu, de Lyon, médecin, botaniste et démonstrateur des plantes au Jardin du Roi (1777).

Le célèbre collaborateur de Buffon, Daubenton, que les sciences ont perdu depuis.

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• Pline l'Ancien. (Voyez la page 69, note c.) Déjà le volcan avait couvert de lave la ville d'Herculanum et de cendres brûlantes celles de Pompéi et de Stabia. Curieux de voir de près ce phénomène terrible, Pline s'approcha du volcan, tandis que tous les autres fuyaient, et fut étouffé par la fumée et la vapeur."

La Peyrouse, navigateur français, partit en 1786 avec les vaisseaux l'Astrolabe et la Boussole pour reconnaître la mer du Sud et les côtes nord-ouest de l'Amérique septentrionale.

la mer a tout dévoré, excepté leurs droits sur la postérité. Et les sacrifices utiles, le dévouement généreux, le saint enthousiasme, n'ont-ils pas aussi leur bonheur suprême ?

Non, après la vertu, rien ne peut nous conduire plus sûrement à la félicité que l'amour des sciences naturelles. Et vous qui m'écoutez, et qui, jeunes encore, formez notre plus chère espérance; vous, devant qui s'ouvre une carrière que vous pouvez illustrer par tant de travaux; ah! lorsque vous aurez éprouvé cette vérité consolante que le bonheur est dans la vertu qui aime, et dans la science qui éclaire; lorsqu'au milieu de l'éclat de la gloire, ou dans l'obscurité d'une retraite paisible, vous jouirez du charme attaché à l'étude de la nature, et que votre cœur vous retracera vos premières années, vos premiers efforts, vos premiers succès, mêlez quelquefois à ces pensées le souvenir de celui qui alors ne sera plus, mais qui aujourd'hui, et de toutes les facultés de son âme et de son esprit, vous appelle aux plus heureuses destinées.

LACÉPÈDE. Dis. de clôture du cours d'hist. nat. (Voyez la page 100.)

PROGRÈS DES SCIENCES.

JETÉ faible et nu à la surface du globe, l'homme paraissait créé pour une destruction inévitable; les maux l'assaillaient de toutes parts; les remèdes lui restaient cachés, mais il avait reçu le génie pour les découvrir.

Les premiers sauvages cueillirent dans les forêts quelques fruits nourriciers, quelques racines salutaires, et subvinrent ainsi à leurs plus pressants besoins; les premiers pâtres s'aperçurent que les astres suivent une marche réglée, et s'en servirent pour diriger leurs courses à travers les plaines du désert: telle fut l'origine des sciences mathématiques, et celle des sciences physiques.

Une fois assuré qu'il pouvait combattre la nature par elle-même, le génie ne se reposa plus; il l'épia sans relâche; sans cesse, il fit sur elle de nouvelles conquêtes, toutes marquées par quelque amélioration dans l'état des peuples.

Se succédant dès lors sans interruption, des esprits méditatifs, dépositaires fidèles des doctrines acquises, constamment occupés de les lier, de les vivifier les unes par les autres, nous ont conduits, en moins de quarante siècles, des premiers essais de ces observateurs agrestes, aux profonds calculs des Newton et des Laplace, aux énumérations savantes des Linnæus et des Jussieu. Ce précieux héritage, toujours accru, porté de la Chaldée en Égypte, de l'Egypte dans la Grèce, caché pendant des siècles de malheurs et de ténèbres, recouvré à des époques plus heureuses, inégalement répandu parmi les peuples de l'Europe, a été suivi partout de la richesse et du pouvoir: les nations qui l'ont recueilli sont devenues les maîtresses du monde; celles qui l'ont négligé sont tombées dans la faiblesse et dans l'obscurité. CUVIER.

CUVIER (George-Léopold-Chrétien-Frédéric-Dagobert, baron), L'un des quarante de l'Académie française, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, professeur d'histoire naturelle au muséum du Jardin des Plantes, pair de France, et membre du conseil royal de l'Université de Paris.

Il naquit à Montbelliard, le 25 août 1769. Livré de bonne heure à l'étude de l'histoire naturelle, il ne tarda pas à faire une révolution dans cette science, et détruisit à jamais cette classification superficielle des êtres, qui n'était fondée que sur des appa

a Isaac Newton, philosophe et mathématicien anglais, est l'un des plus grands génies que le monde ait produits. C'est à lui qu'on est redevable de la découverte de l'attraction. Il mourut en 1727, à l'âge de quatre-vingts ans.

Ce nom célèbre et celui du naturaliste français nous rappellent les vers du poëte Bignan:

"L'univers désormais s'explique tout entier :

Les cieux avaient Newton, et la terre a Cuvier."

Le marquis Pierre-Simon de la Place, fils d'un cultivateur, est devenu, par la force de son génie, l'un de nos premiers mathématiciens. Sa Mécanique celeste est un chef-d'œuvre. Ce célèbre astronome, membre de l'Institut et pair de France, fut enlevé aux sciences le 6 mars 1827.

Voyez la note ", page 206.

d Antoine de Jussieu, célèbre botaniste, né à Lyon en 1686, et mort à Paris en 1738. Ses deux frères, Bernard et Joseph, ont suivi la même carrière avec distinction.

rences, et dans laquelle Pline et Buffon substituèrent leur imagination à la réalité. Pour lui, la chaîne des êtres commence aux organisations les plus basses et les plus simples, et s'élève aux organisations les plus composées; il fit plus, il découvrit un monde tout entier enfoui sous le nôtre avec ses habitants (les fossiles); il exhume, aux yeux de l'Europe étonnée, les ossements gigantesques d'animaux inconnus aujourd'hui sur notre terre; et le reste de ces races détruites suffit à son regard intelligent pour les reproduire tout entières, telles qu'elles étaient avant le cataclysme3 qui les ensevelit.

Nous avons de Cuvier une foule d'ouvrages, parmi lesquels on distingué l'Histoire des progrès des sciences naturelles, son Anatomie comparée, ses Eloges historiques, etc.

Cet homme universel, aussi habile écrivain que savant naturaliste, expira le 13 mai 1832.

UTILITÉ DE L'HISTOIRE.

L'ÉTUDE de l'histoire est la plus nécessaire aux hommes, quels que soient leur âge et la carrière à laquelle ils se destinent. Les exemples frappent plus que les leçons; ils leur servent de preuves pour convaincre, ils les accompagnent d'images pour intéresser: l'histoire renferme l'expérience du monde et la raison des siècles.

Nous sommes organisés comme les hommes des temps les plus reculés; nous avons les mêmes vertus, les mêmes vices. Entraînés comme eux par nos passions, nous écoutons avec défiance les censeurs qui contrarient nos penchants et qui nous avertissent de nos erreurs, de nos dangers. Notre folie résiste à leur sagesse, nos espérances se rient de leurs craintes.

Mais l'histoire est un maître impartial, dont nous ne pouvons réfuter les raisonnements appuyés sur des faits. Il nous montre le passé pour nous annoncer l'avenir: c'est le miroir de la vérité.

Les peuples les plus fameux, les hommes les plus célèbres sont jugés à nos yeux par le temps, qui détruit toute illusion,

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Cataclysme, grande inondation. Dérivé du grec KarakλúLw (katakluző), j'inonde.

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