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et combien ne l'ont pas! un abri, et combien ne savent où se retirer!

Il vous a, ma fille, donnée à moi: de quoi me plaindrais-je?" À ces dernières paroles, la jeune fille, tout émue, tomba aux genoux de sa mère, prit ses mains, les baisa, et se pencha sur son sein en pleurant.

Et la mère, faisant un effort pour élever la voix :-" Ma fille," dit-elle, "le bonheur n'est pas de posséder beaucoup, mais d'espérer et d'aimer beaucoup.

Notre espérance n'est pas ici-bas ni notre amour non plus, ou s'il y est, ce n'est qu'en passant.

Après Dieu, vous m'êtes tout en ce monde ; mais ce monde s'évanouit comme un songe, et c'est pourquoi mon amour s'élève avec vous vers un autre monde. . . ."

Ce disant, la femme aux cheveux blancs tressaillit, et serra sur son cœur la jeune fille.

NE

LAMENNAIS. (Voyez la page 130.)

LA JUSTICE ET LA CHARITÉ.

pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'autrui nous fît, voilà la justice.

Faire pour autrui, en toute rencontre, ce que nous voudrions qu'il fit pour nous, voilà la charité.

Un homme vivait de son labeur, lui, sa femme et ses petits enfants; et comme il avait une bonne santé, des bras robustes, et qu'il trouvait aisément à s'employer, il pouvait sans trop de peine pourvoir à sa subsistance et à celle des siens.

Mais il arriva qu'une grande géne1 étant survenue dans le

pays, le travail y fut moins demandé, parce qu'il n'offrait

plus de bénéfices à ceux qui le payaient, et en même temps le prix des choses nécessaires à la vie augmenta.

L'homme de labeur et sa famille commencèrent donc a souffrir beaucoup. Après avoir bientôt épuisé ses modiques épargnes, il lui fallut vendre pièce à pièce ses meubles d'abord, puis quelques-uns même de ses vêtements; et, quand il se fut ainsi dépouillé, il demeura privé de toutes ressources,

face à face avec la faim. Et la faim n'était pas entrée seule en son logis: la maladie y était aussi entrée avec elle.

Or, cet homme avait deux voisins, l'un plus riche, l'autre moins.

Il s'en alla trouver le premier et il lui dit: "Nous manquons de tout, moi, ma femme et mes enfants: ayez pitié de nous."

Le riche lui répondit: "Que puis-je à cela? Quand vous avez travaillé pour moi, vous ai-je retenu votre salaire, ou en ai-je différé le payement? Jamais je ne fis aucun tort ni à vous.ni à nul autre: mes mains sont pures de toute iniquité. Votre misère m'afflige, mais chacun doit songer à soi dans ces temps mauvais: qui sait combien ils dureront?"

Le pauvre père se tut; et, le cœur plein d'angoisse, il s'en retournait lentement chez lui, lorsqu'il rencontra l'autre voisin moins riche.

Celui-ci, le voyant pensif et triste, lui dit: "Qu'avezvous? il y a des soucis sur votre front et des larmes dans vos yeux.'

دو

Et le père, d'une voix altérée2, lui exposa son infortune. Quand il eut achevé: "Pourquoi," lui dit l'autre, "vous désoler de la sorte? Ne sommes-nous pas frères? et comment pourrais-je délaisser mon frère en sa détresse? Venez, et nous partagerons ce que je tiens de la bonté de Dieu."

La famille qui souffrait fut ainsi soulagée, jusqu'à ce qu'elle pût elle-même pourvoir à ses besoins.

LAMENNAIS. (Voyez la page 130.)

IMPROVISATION DU PRÉDICATEUR BRIDAINE, DANS UN

DES PREMIERS TEMPLES ET AU MILIEU DE LA PLUS HAUTE COMPAGNIE DE LA CAPITALE.

À LÀ vue d'un auditoire si nouveau pour moi, il semble, mes frères, que je ne devrais ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d'un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez quand on vient vous parler de votre salut. J'éprouve cependant aujourd'hui un sentiment différent; et, si je suis humilié, gardez-vous de croire

que je m'abaisse aux misérables inquiétudes de la vanité. À Dieu ne plaise qu'un ministre du ciel pense jamais avoir besoir d'excuse auprès de vous! car, qui que vous soyez, vous n'êtes, comme moi, que des pécheurs. C'est devant votre Dieu et le mien que je me sens pressé dans ce moment de frapper ma poitrine.

Jusqu'à présent j'ai publié les justices du Très-Haut dans des temples couverts de chaume; j'ai prêché la soumission et la patience à des infortunés qui manquaient de pain; j'ai annoncé aux bons habitants des campagnes les vérités les plus effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait, malheureux! j'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis de mon Dieu; j'ai porté l'épouvante et la douleur dans ces âmes simples et fidèles que j'aurais dû plaindre et consoler.

C'est ici, où mes regards ne tombent que sur des grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'humanité souffrante, ou des pécheurs audacieux et endurcis: ah! c'est ici seulement qu'il fallait faire retentir la parole sainte dans toute la force de son tonnerre, et placer avec moi dans cette chaire, d'un côté la mort qui nous menace, et de l'autre, mon grand Dieu qui vient vous juger. Je tiens aujourd'hui votre sentence à la main: tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoutez! La nécessité du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer, et par-dessus tout l'éternité: l'éternité! voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurais dû sans doute réserver pour vous seuls.

Et qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damneraient peut-être sans vous sauver? Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre vous parlera; car j'ai acquis une expérience de ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter entre mes bras en versant des larmes de componction et de repentir, et à force de remords, vous me trouverez assez éloquent. BRIDAINE (Jacques),

Né en 1701, mort en 1767.

INVOCATION À LA PAIXa.

GRAND Dieu, dont la seule présence soutient la nature et maintient l'harmonie des lois de l'univers, vous qui', du trône immobile de l'empyrée, voyez rouler sous vos pieds toutes les sphères célestes sans choc et sans confusion; qui, du sein du repos, reproduisez à chaque instant leurs mouvements immenses, et seul régissez dans une paix profonde ce nombre infini de cieux et de mondes; rendez enfin le calme à la terre agitée; qu'elle soit dans le silence! qu'à votre voix la discorde et la guerre cessent de faire retentir leurs clameurs orgueilleuses!

Dieu de bonté, auteur de tous les êtres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création; mais l'homme est votre être de choix; vous avez éclairé son 'âme d'un rayon de votre lumière immortelle; comblez vos bienfaits en pénétrant son cœur d'un trait de votre amour: ce sentiment divin, se répandant partout, réunira les nations ennemies; l'homme ne craindra plus l'aspect de l'homme, le fer homicide2 n'armera plus sa main; le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir3 la source des générations; l'espèce humaine, maintenant affaiblie, mutilée, moissonnée dans sa fleur, germera de nouveau, et se multipliera sans nombre ; la nature, accablée sous le poids des fléaux, stérile, abandonnée, reprendra bientôt avec une nouvelle vie son ancienne fécondité; et nous, Dieu bienfaiteur, nous la seconderons, nous la cultiverons, nous l'observerons sans cesse, pour vous offrir à chaque instant un nouveau tribut de reconnaissance et d'admiration. BUFFON. (Voyez p. 61.)

L'ÉTUDE DE LA NATURE.

LES âmes aimantes cherchent partout un objet aimable qui ne puisse plus changer: elles croient le trouver dans un livre; mais je pense qu'il vaut mieux pour elles s'attacher à la nature, qui, comme nous, change toujours. Le livre le plus sublime ne nous rappelle qu'un auteur mort, et la

Voyez la page 61, note ".

C'est le lieu le plus élevé du ciel. Empyrée est dérivé du grec év (en) dans, et de πup (pur) feu.

plus humble plante nous parle d'un auteur toujours vivant; d'ailleurs, le meilleur ouvrage sorti de la main des hommes peut-il égaler jamais celui qui est sorti de la puissance de Dieu? L'art peut produire des milliers de Théocrites et de Virgiles; mais la nature seule crée des milliers de paysages nouveaux en Europe, en Afrique, aux Indes, dans les deux mondes. L'art nous ramène en arrière dans un passé qui n'est plus : la nature marche avec nous en avant, et nous porte vers un avenir qui vient à nous. Laissonsnous donc aller comme elle au cours du temps; cherchons nos jouissances dans les eaux, les prés, les bois, les cieux, et dans les révolutions que les saisons et les siècles y amènent. Ne portons point, dans notre vieillesse caduque', nos regards et nos regrets vers une jeunesse fugitive; mais avançons-nous avec joie, sous la protection de la Divinité, vers des jours qui doivent être éternels.

L'étude de la nature est si étendue, que chaque enfant peut y trouver de quoi développer son talent particulier. On dit que d'Anvillea, étant au collége, n'étudia, dans Virgile, que les seuls voyages d'Énée. Il en fit un fort bon itinéraire; toutes les beautés de la poésie disparurent pour lui; il ne vit dans le poëte qu'un géographe, et il prouva ainsi qu'il le deviendrait lui-même.

Mais la nature offre à l'homme un poëme bien plus étendu que celui de l'Énéide: laissons chaque enfant l'étudier suivant son instinct; il en résultera toujours quelque bien pour la société. Un pré leur suffit: c'est un livre à plusieurs feuillets; le botaniste y verra des systèmes, le médecin des simples, le peintre des guirlandes, le poëte des harmonies, le guerrier un champ de bataille, l'amant un lieu de repos, le paysan des bottes de foin; mais quand ils ne devraient tous y voir que des bouquets, laissez-les en couronner leurs jeunes compagnes: les jeux naïfs et innocents de l'enfance valent mieux que les études pénibles et jalouses des hommes.

Bernardin de Saint-PierrE. (Voyez la page 51.)

a D'Anville, célèbre géographe, né à Paris en 1697, et mort dans la même ville en 1782. On lui doit d'excellentes cartes pour la géographie ancienne.

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