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CONTEMPLATION DU CIEL ÉTOILÉ.

Le temps était serein; la voie lactée, comme un léger nuage, partageait le ciel; un doux rayon partait de chaque étoile pour venir jusqu'à moi, et lorsque j'en examinais une attentivement, ses compagnes semblaient scintiller plus vivement pour attirer mes regards. C'est un charme pour moi que de contempler le ciel étoilé, et je n'ai pas à me reprocher d'avoir fait un seul voyage, ni même une simple promenade nocturne, sans payer le tribut d'admiration que je dois aux merveilles du firmament. Quoique je sente toute l'impuissance de ma pensée dans ces hautes méditations, je trouve un plaisir inexprimable à m'en occuper; j'aime à penser que ce n'est point le hasard qui conduit jusqu'à mes yeux cette émanation des mondes éloignés, et chaque étoile verse avec sa lumière un rayon d'espérance dans mon cœur. Eh quoi! ces merveilles n'auraient-elles d'autre rapport avec moi que celui de briller à mes yeux? Et ma pensée qui s'élève jusqu'à elles, mon cœur qui s'émeut à leur aspect, leur seraient-ils étrangers? . . . Spectateur éphémère d'un spectacle éternel, l'homme lève un instant les yeux vers le ciel, et les referme pour toujours; mais, pendant cet instant rapide, qui lui est accordé, de tous les points du ciel, et depuis les bornes de l'univers, un rayon consolateur part de chaque monde, et vient frapper ses regards pour lui annoncer qu'il existe un rapport entre l'immensité et lui, qu'il est associé à l'éternité.

DE MAISTRE (Xavier),

X. DE MAISTRE.

Naquit à Chambéry en 1764. Nous avons de cet écrivain plusieurs ouvrages estimés, dont les principaux sont le Voyage autour de ma chambre et Le preux de la cité d'Aoste.

LA MORT D'UN AMI.

J'EN avais un; la mort me l'a ôté: elle l'a saisi au commencement de sa carrière, au moment où son amitié était devenue un besoin pressant pour mon cœur. Nous nous

soutenions mutuellement dans les travaux pénibles de la guerre, et, dans les circonstances malheureuses où nous sommes, l'endroit où nous vivions ensemble était pour nous une nouvelle patrie. Je l'ai vu en butte à tous les périls de la guerre, et d'une guerre désastreuse. La mort semblait nous épargner l'un pour l'autre; elle épuisa mille fois ses traits autour de lui sans l'atteindre; mais c'était pour me rendre sa perte plus sensible. Le tumulte des armes, l'enthousiasme qui s'empare de l'âme à l'aspect du danger auraient peutêtre empêché ses cris d'aller jusqu'à mon cœur; sa mort eût été utile à son pays et funeste aux ennemis. Je l'aurais moins regretté; mais le perdre au milieu des délices d'un quartier d'hiver! le voir expirer dans mes bras au moment où il paraissait regorger de santé, au moment où notre liaison se resserrait encore dans le repos et la tranquillité! Ah! je ne m'en consolerai jamais. Cependant sa mémoire ne vit plus que dans mon cœur; elle n'existe plus parmi ceux qui l'environnaient et qui l'ont remplacé: cette idée me rend plus pénible le sentiment de sa perte. La nature, indifférente de même au sort des individus, remet sa robe brillante du printemps, et se pare de toute sa beauté autour du cimetière où il repose; les arbres se couvrent de feuilles et entrelacent leurs branches; les oiseaux chantent sous le feuillage; les mouches bourdonnent parmi les fleurs: tout respire la joie et la vie dans le séjour de la mort; et le soir, tandis que la lune brille dans le ciel, et que je médite près de ce triste lieu, j'entends le grillon' poursuivre gaiement son chant infatigable, caché dans l'herbe qui couvre la tombe silencieuse de mon ami. La destruction insensible des êtres et tous les malheurs de l'humanité sont comptés pour rien dans le grand tout. La mort d'un homme sensible, qui expire au milieu de ses amis désolés, et celle d'un papillon que l'air froid du matin fait périr dans le calice d'une fleur, sont deux époques semblables dans le cours de la nature : l'homme n'est rien qu'un fantôme, une ombre, une vapeur, qui se dissipe dans les airs . .

Mais l'aube matinale commence à blanchir le ciel; les noires idées qui m'agitaient s'évanouissent avec la nuit, et

l'espérance renaît dans mon cœur. Non, celui qui inonde ainsi l'orient de lumière ne l'a point fait briller à mes regards pour me plonger bientôt dans la nuit du néant. Celui qui étendit cet horizon incommensurable, celui qui éleva ces masses énormes dont le soleil dore les sommets glacés, est aussi celui qui a ordonné à mon cœur de battre et à mon esprit de penser.

Non, mon ami n'est point entré dans le néant ; quelle que soit la barrière qui nous sépare, je le reverrai. Ce n'est point sur un syllogisme que je fonde mon espérance. Le vol d'un insecte qui traverse les airs suffit pour me persuader ; et souvent l'aspect de la campagne, le parfum des airs, et je ne sais quel charme répandu autour de moi, élèvent tellement mes pensées, qu'une preuve invincible de l'immortalité entre avec violence dans mon âme et l'occupe tout entière.

X. de MaistrE. (Voyez la page 190.)

IMMORTALITÉ de l'âme.

PLUS je rentre en moi, plus je me consulte et plus je lis ces mots écrits dans mon âme: Sois juste, et tu seras heureux! Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospère, et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s'allume en nous quand cette attente est frustrée ! la conscience s'élève et murmure contre son auteur; elle lui crie en gémissant: "Tu m'as trompé !”

"Je t'ai trompé, téméraire! qui te l'a dit? Ton âme estelle anéantie? as-tu cessé d'exister? ô Brutus! ô mon fils! ne souille point ta noble vie en la finissanta: ne laisse point ton espoir et ta gloire avec ton corps aux champs de Philippes. Pourquoi dis-tu la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu; non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis."

On dirait, aux murmures des impatients mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est

Avant de se donner la mort à la bataille de Philippes, Brutus prononça ces mots: "Malheureuse vertu, je te crus une réalité: tu n'es qu'un nom."

obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premièrement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice, disait Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont parcourue.

Si l'âme est immatérielle, elle peut survivre au corps; et si elle lui survit, la Providence est justifiée. Quand je n'aurais d'autre preuve de l'immatérialité de l'âme que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m'empêcherait d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle me ferait chercher à la résoudre. Je me dirais: "Tout ne finit pas pour moi avec la vie, tout rentre dans l'ordre à la mort."

J.-J. ROUSSEAU. (Voyez la page 179.)

L'ÉVANGILE.

La majesté des écritures m'étonne; la sainteté de l'évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un livre à la fois si sublime et si simple scit l'ouvrage des hommes? Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs! quelle grâce touchante dans ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir, sans faiblesse et sans ostentation? Quand Platon peint son juste imaginaire couvert de tout l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ: la ressemblance est si frappante, que tous les Pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper.

Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie! Sophronisque, père de Socrate.

K

Quelle distance de l'un à l'autre! Socrate, mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son personnage; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres avant lui l'avaient mise en pratique: il ne fit que dire ce qu'ils avaient fait, il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avait été juste avant que Socrate eût dit ce que c'était que justice; Léonidas était mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer la patrie; Sparte était sobre avant que Socrate eût loué la sobriété; avant qu'il eût défini la vertu, la Grèce abondait en hommes vertueux. Mais où Jésus avait-il pris chez les siens cette morale élevée et pure dont lui seul a donné les leçons et l'exemple? Du sein du plus furieux fanatisme la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurić, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure; Jésus, au milieu d'un affreux supplice, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. J.-J. ROUSSEAU. (Voyez la page 179.)

LE SUICIDE.

Tu veux cesser de vivre: mais je voudrais bien savoir si tu as commencé. Quoi! fus-tu placé sur la terre pour n'y rien faire? Le ciel ne t'imposa-t-il point avec la vie une tâche pour la remplir? Si tu as fait ta journée avant le soir, repose-toi le reste du jour, tu le peux; mais voyons ton ouvrage. Quelle réponse tiens-tu prête au juge suprême qui te demandera compte de ton temps? Malheureux! trouvemoi ce juste qui se vante d'avoir assez vécu, que j'apprenne de lui comment il faut avoir porté la vie pour être en droit de la quitter.

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