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viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir1 dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l'avenir, te rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné. Hélas! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive2: ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que nous parlonsa; et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent: mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu, par la vue de l'avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix.

FENELON. Télémaque. (Voyez la page 25.)

RAPIDITÉ DE LA VIE.

LA vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux: on nous en avertit dès le premier pas, mais la loi est prononcée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner sur mes pas : "Marche, marche." Un poids invincible, une force invincible nous entraîne; il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route: encore si je pouvais éviter1 ce précipice affreux! Non, non, il faut marcher, il faut courir, telle est la rapidité des années. On se console pourtant, parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait arrêter: "Marche, marche." Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé; fracas effroyable, inévitable ruine! On se console parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir, quelques fruits qu'on perd en

"Dum loquimur, fugerit invida

HOR. i. Ode xi.

Etas."
"Le moment où je parle est déjà loin de moi."-BOILEAU.

les goûtant. Enchantement toujours entraîné, tu approches du gouffre. Déjà tout commence à s'effacer3; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires, tout se ternit, tout s'efface: l'ombre de la mort se présente; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord, encore un pas. Déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent, il faut marcher. On voudrait retourner en arrière, plus de moyen1; tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé. Je n'ai pas besoin de vous dire que ce chemin c'est la vie; que ce gouffre.... c'est la mort. BOSSUET.

BossUET (Jacques-Bénigne),

Né en 1627, mort en 1704. Il fut d'abord évêque de Condom et ensuite de Meaux. Nommé précepteur du fils de Louis XIV, il composa pour l'instruction de son royal disciple son fameux Discours sur l'histoire universelle, dans lequel il contemple de si haut et d'un regard si vaste tous les événements qui se passent sur la terre. Ses Oraisons funèbres furent prononcées en différents temps, et jamais paroles plus solennelles et plus terribles ne retentirent sous la voûte des temples, en présence d'un autel et d'un tombeau; jamais le néant des grandeurs humaines et la vanité de toute chose ici-bas ne furent étalés avec tant de force et de vérité.

TERME DE TOUTES LES GRANDEURS HUMAINES.

Où vas-tu, pauvre qui traînes une vie languissante, qui mendies ton pain de maison en maison, qui es dans de continuelles alarmes sur les moyens de te procurer des aliments pour te nourrir et des habits pour te couvrir, toujours l'objet de la charité des uns et de la dureté des autres? à la mort. Où vas-tu, noble qui te pares d'une gloire empruntée, qui comptes comme tes vertus les titres de tes ancêtres, et qui penses être formé d'une boue plus précieuse que le reste des humains? à la mort. Où vas-tu, roturier1 qui te moques de la folie du noble, et qui extravagues toimême d'une autre manière? à la mort. Où vas-tu, guerrier qui ne parles que de gloire, que d'héroïsme, et qui te

flattes de je ne sais quelle immortalité? à la mort. . . . Où allons-nous tous, mes chers auditeurs? à la mort. La mort respecte-t-elle les titres, les dignités, les richesses? Où est Alexandre? où est César? où sont les hommes dont le nom seul faisait trembler l'univers? Ils ont été, mais ils ne sont plus.. SAURIN. Sermons.

...

SAURIN (Jacques),

Né en 1677, mort en 1730. Ce ministre a été surnommé son éloquence, le Bossuet de la chaire protestante.

par

ABAISSEMENT QUE CAUSE LA MORT.

DANS cet auditoire, quels cris n'entendrait-on point, si, au lieu de ces discours vagues que nous vous adressons, Dieu nous donnait dans ce moment de pénétrer dans l'avenir, de lire dans ses décrets, d'y voir la destinée des personnes qui nous écoutent, et de vous dire à chacun ce qui vous intéresserait dans cette révélation nouvelle! Là, vous verriez cet homme superbe qui s'enfle par le vent de sa vanité, confondu dans la même poudre avec le plus vil d'entre les hommes. Ici, cette femme voluptueuse qui ne refuse rien à ses sens, vous la verriez couchée dans un lit d'infirmité, placée entre les douleurs d'une maladie mortelle, et la juste crainte de tomber entre les mains d'un Dieu vengeur.

Ailleurs, cet homme de guerre qui est couronné de lauriers, et qui en cherche une moisson nouvelle dans la campagne prochaine, vous le verriez couvert d'une tragique poussière, baigné dans son propre sang, et trouvant sa sépulture dans ce même lieu où son imagination lui offrait un champ de victoire.

Par tous les endroits de cet auditoire, à droite, à gauche, devant, derrière, à vos côtés, à votre place, je vous montrerais des cadavres; et dans cette supposition, celui qui nous écoute peut-être avec le plus d'indolence, et qui se moque en secret de ceux que notre voix épouvante, servirait lui-même de preuve aux vérités que nous prêchons, et occuperait la première place dans cette liste fatale.

SAURIN. Sermons. (Voyez ci-dessus.)

LA MÉDISANCE.

LA médisance est un feu dévorant qui flétrit1 tout ce qu'il touche, qui exerce sa fureur sur le bon grain comme sur la paille, sur le profane comme sur le sacré; qui ne laisse, partout où il a passé, que la ruine et la désolation; qui creuse jusque dans les entrailles de la terre, et va s'attacher aux choses les plus cachées; qui change en de viles cendres ce qui nous avait paru, il n'y a qu'un moment, si précieux et si brillant; qui, dans le temps même qu'il paraît couvert et presque éteint, agit avec plus de violence et de danger que jamais; qui noircit ce qu'il ne peut consumer, et qui sait plaire et briller quelquefois avant que de nuire.

La médisance est un orgueil secret qui nous découvre la pailles dans l'œil de notre frère, et nous cache la poutre qui est dans le nôtre; une envie basse, qui, blessée des talents ou de la prospérité d'autrui, en fait le sujet de la censure, et s'étudie à obscurcir l'éclat de tout ce qui l'efface; une haine déguisée, qui répand sur ses paroles l'amertume cachée dans le cœur ; une duplicité indigne, qui loue en face et déchire en secret; une légèreté honteuse, qui ne sait pas se vaincre et se retenir sur un mot, et qui sacrifie souvent sa fortune et son repos à l'imprudence d'une censure qui sait plaire; une barbarie de sang-froid, qui va percer notre frère absent; un scandale pour ceux qui nous écoutent; une injustice où vous ravissez à votre frère ce qu'il a de plus cher.

La médisance est un mal inquiet1 qui trouble la société, qui jette la dissension dans les cités, qui désunit les amitiés les plus étroites, qui est la source des haines et des vengeances, qui remplit tous les lieux où elle entre de désordres et de confusion; partout ennemie de la paix, de la douceur et de la politesse. Enfin, c'est une source pleine d'un venin mortel: tout ce qui en part est infecté, et infecte tout ce qui l'environne; ses louanges même sont empoisonnées, ses applaudissements malins, son silence criminel; ses

gestes, ses mouvements, ses regards, tout a son poison, et le MASSILLON.

répand à sa manière.

MASSILLON (Jean-Baptiste),

Né en 1663, mort en 1742. L'un des plus grands prédicateurs du siècle de Louis XIV. Ce fut en 1717 qu'il prononça son PetitCarême, chef-d'œuvre de raison, de style et d'éloquence. On remarque aussi son Oraison funèbre de Louis XIV, dont l'exorde commence ainsi : Dieu seul est grand, mes frères. "C'est un beau mot que celui-là," dit Châteaubriand, "ainsi prononcé devant le tombeau de Louis le Grand."

NÉCESSITÉ DE LA RELIGION.

L'ORDRE qui préside à l'univers est un grand modèle offert par la Divinité aux faibles humains. L'homme le plus parfait, le plus religieux, est celui qui sait le mieux dominer ses passions, diriger celles des autres, égaler ses besoins à ses ressources, placer son bonheur dans celui des siens, de ses semblables, et contribuer, par l'ordre particulier qu'il établit dans sa famille, à l'ordre, à la félicité générale; car la religion est le traité d'alliance universelle, le lien d'amour qui unit l'homme à son Dieu, l'épouse à son époux, le fils à son père, et tous les hommes entre eux. La religion embellit la vie, et réchauffe la mort : l'âme religieuse remonte avec confiance vers la source divine d'où découlent tous les plaisirs purs de ce monde; elle ose croire que le Dieu qui fit de l'amour sa plus sublime vertu sur la terre en fera aussi sa céleste récompense. La religion est la garantie de toutes les vertus; elle efface les fautes par le repentir, et place l'espérance à côté du malheur. L'homme faible devient fort en s'appuyant sur Dieu; l'homme de génie étonne par sa puissance, lorsqu'il cherche une gloire immortelle, et non les biens, les honneurs périssables de ce monde. MADAME SIREY.

MADAME SIREY,

Auteur vivant. Elle a publié plusieurs ouvrages dont le but est l'éducation morale et religieuse des jeunes personnes qui entrent dans le monde.

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